Dans le contexte de signes de plus en plus
aigus de crise dans la guerre menée par les Etats-Unis depuis une décennie, le
secrétaire à la Défense, Leon Panetta, a annoncé mercredi que l'armée
américaine opérerait une « transition » en passant des opérations de
combat à un « rôle d'entraînement » et de « conseil » des
forces afghanes fantoches d'ici fin 2013.
L'annonce a été faite la veille de la
réunion des ministres de l'OTAN à Bruxelles. L'échéance arrive un an plut tôt
que la date prévue par l'OTAN lors du sommet de Lisbonne en 2010. Le nouveau
calendrier est largement considéré comme une tentative de détourner les
retraits, avant la date prévue, de divers membres européens de l'OTAN.
Le président français, Nicolas Sarkozy,
avait soulevé le mois dernier la possibilité de rapatriement des troupes
françaises avant le terme officiel fixé par l'OTAN pour fin 2014 après qu'un
soldat afghan avait tué quatre soldats français. Toutefois, suites aux
pourparlers entre les responsables américains et français, Sarkozy a renoncé à
mettre à exécution sa menace, faite avec à l'esprit les prochaines élections
présidentielles et l'énorme hostilité de la population française à la guerre en
Afghanistan.
En Europe, de manière plus générale, le coût
du déploiement continu de troupes en Afghanistan a fait l'objet d'un examen
minutieux au moment où la crise économique et fiscale croissante suscite des
demandes de mesures d'austérité sur l'ensemble du continent.
Dans l'avion le menant à la conférence de
l'OTAN à Bruxelles, Panetta a dit aux reporters que les troupes américaines
resteraient en Afghanistan bien après la fin de 2014, date butoir précédemment
annoncée comme échéance du retrait, mais qu'elles y resteraient pour soutenir
les troupes du régime de Kaboul soutenu par les Etats-Unis.
« Notre objectif est d'achever
l'ensemble de la transition en 2013 en espérant qu'entre le milieu et la fin de
l'année 2013, nous serons capables de faire la transition d'un rôle de combat à
un rôle de formation, de conseil et d'assistance, » a dit le chef du
Pentagone.
Panetta a affirmé que l'intervention
américaine en Afghanistan avait atteint en 2011 un « tournant » fondé
sur la « capacité de vraiment poursuivre les Talibans » après la
montée en puissance annoncée par le président Barack Obama fin 2009 et l'expédition
de 33.000 soldats américains supplémentaires dans le pays.
Panetta a dit que la stratégie américaine
consiste à utiliser les forces fantoches afghanes pour mener les opérations de
sécurité tandis que l'armée américaine maintient une forte présence militaire,
y compris des unités « embarquées » (« embedded ») parmi
les forces afghanes ainsi que des troupes spécialisées pour effectuer des raids
et des frappes anti-insurrectionnelles.
Il a souligné que l'armée américaine
maintiendrait un « rôle robuste » en Afghanistan bien au-delà de
2014. « Nous sommes engagés à une présence durable ici, » a-t-il dit.
« Nous avons les missions dans lesquelles nous serons impliqués - les
opérations de CT [contre-terrorisme]. Nous serons impliqués dans l'entraînement,
le conseil et l'assistance, non seulement des forces afghanes, mais nous
continuerons à fournir des forces de soutien à l'ISAF [Force internationale
d'assistance et de sécurité] ainsi qu'à l'Afghanistan. Et il y aura une
importante présence civile qui s'occupera du développement. Donc, il y aura
manifestement une présence continue en Afghanistan à long terme. »
Alors que les troupes restantes seraient
officiellement désignées comme conseillers et formateurs, Panetta a jouté,
« Ecoutez, cela ne signifie pas, voyez-vous, que nous ne - nous n'allons
pas être prêts au combat. Nous le serons, parce que nous devons toujours être
prêts au combat pour pouvoir nous défendre. »
Tout en répétant la promesse du gouvernement
Obama de retirer les derniers 33.000 soldats du « surge » d'ici
l'automne 2012, il a dit qu'aucune décision n'avait été prise quant à une
feuille de route pour les 68.000 soldats américains restants qui continueront à
occuper l'Afghanistan.
L'insistance du secrétaire à la Défense sur
une « présence durable » des troupes américaines en Afghanistan
reflète un objectif clé poursuivi par Washington depuis le début de la guerre,
en octobre 2001 : sauvegarder des bases américaines permanentes près des
régions stratégiquement vitales et riches en pétrole en Asie Centrale ainsi
qu'aux frontières à la fois de la Chine et de l'Iran.
La description idyllique par Panetta de la
situation en Afghanistan est contredite toutefois par une série d'articles
publiés récemment.
Le dernier en date à avoir été divulgué est
un rapport secret de l'OTAN sous le titre, « L'état des Talibans
2012 », et décrivant les forces qui résistent à l'occupation menée par les
Etats-Unis comme reprenant des forces et jouissant d'un large soutien populaire
y compris au sein du gouvernement du président Hamid Karzaï soutenu par les
Etats-Unis et de ses forces de sécurité.
Fondé sur 27.000 entretiens avec 4.000
détenus afghans, le rapport relate que, « De nombreux Afghans s'apprêtent
déjà à affronter un éventuel retour des Talibans. » Il ajoute que de
nombreux membres de l'effectif gouvernemental « ont secrètement cherché à
atteindre les insurgés en quête d'options à long terme dans le cas d'une
possible victoire des Talibans. »
Selon le rapport, « Des photographies
prises montrant du personnel taliban roulant ouvertement dans des fourgonnettes
Ford Ranger vertes de l'armée afghane est chose courante partout en
Afghanistan. » Il est dit dans le rapport, que les véhicules ont soit
« été vendus soit été donnés ». Des fusils, des pistolets et des armes
lourdes transitent aussi des forces de sécurité du gouvernement vers les
Talibans par le biais de bazars d'armes au Pakistan. Le rapport fait également
état de la collaboration entre les agents afghans du renseignement et les
Talibans dans la mise ne place d'embuscades tendues aux soldats américains.
Publié le 6 janvier, le rapport déclare que
dans les régions où les troupes d'occupation américaines et autres ont été
retirées, les Talibans et autres résistants ont rétabli leur influence sans
qu'il y ait pratiquement eu une résistance des forces de sécurité du
gouvernement. Dans nombre de ces régions, précise-t-il, la population locale
préfère la gouvernance des Talibans, parce que contrairement au gouvernement
Karzaï, les combattants ne réclament ni dessous-de-table ni pot de vin.
Un autre point sur lequel se concentre le
rapport - et qui est certainement la raison pour laquelle il a été divulgué -
est la représentation de l'agence de renseignement militaire pakistanaise,
l'ISI (Inter Services Intelligence), comme étant « intimement
impliquée » dans les opérations des Talibans.
« L'ISI est parfaitement conscient des
activités des Talibans et de l'emplacement où se trouvent tous les cadres haut
placés des Talibans, » dit le rapport. Les dirigeants talibans clé,
ajoute-t-il, ont leur résidence à proximité des quartiers généraux de l'ISI à
Islamabad.
Le rapport a été dévoilé la veille de la
visite à Kaboul du ministre pakistanais des Affaires étrangères, Hina Rabbani
Khar, premier contact de haut niveau entre les deux gouvernements depuis
septembre dernier. Le but apparent du gouvernement pakistanais était
d'exploiter les divisions entre Washington et sa marionnette Karzaï au sujet
des efforts de médiation américains pour des pourparlers de paix avec les Talibans.
Le Pakistan est soucieux de préserver son
influence sur les forces de résistance afghanes comme moyen de sauvegarder ses
propres intérêts stratégiques dans la région, notamment face à l'influence
indienne en Afghanistan.
Khar rejette l'accusation de collaboration
ISI-Taliban comme étant « du vieux vin dans une bouteille encore plus
vieille. »
Une évaluation secrète publiée le mois
dernier par le National Intelligence Estimate (NIE) a également souligné la
crise de la décennie de guerre américaine, reflétant l'évaluation de la
situation en Afghanistan faite par la CIA et 15 autres services de
renseignement.
Selon le Los Angeles Times, le
service de renseignement de Washington estime que la guerre a abouti à une
« impasse » et réfute les affirmations du Pentagone de gains de
sécurité durable obtenus au cours de l'année écoulée. Selon un responsable qui
a parlé au journal, le rapport conclut que la « viabilité » du
gouvernement Karzaï est « précaire » et ne survivrait probablement
pas à un retrait important des Etats-Unis.
Enfin, les gradés américains ont témoigné
mercredi devant la Commission parlementaire sur les forces armées (House Armed
Services Committee) au sujet du nombre croissant d'incidents dans lesquels des
membres des forces de sécurité afghanes, soutenues par les Etats-Unis, ont
fusillé et tué des soldats américains et autres soldats de l'OTAN. La fréquence
accrue de telles attaques soulève des questions graves concernant la stratégie
du Pentagone de « transition » à une guerre menée par des unités
afghanes conjointement avec des « conseillers » américains.
Les généraux qui ont parlé à la commission
du congrès ont dit que 75 pour cent de ces 45 incidents qui avaient eu lieu
depuis 2007 s'étaient produits au cours de ces deux dernières années. Ils ont
impliqué à la fois des membres de la résistance qui se sont infiltrés dans les
forces fantoches et des soldats individuels indignés contre leurs
« alliés » américains et de l'OTAN. Le soldat afghan qui a tué les
quatre soldats français aurait agi après le visionnage d'une vidéo montrant des
marines américains en train d'uriner sur les cadavres de résistants tués.
Le jour de l'audience à Washington, un
marine américain a été tué par balle par un soldat de l'armée afghane dans la
province de Helmand dans le Sud du pays.