Le
25 mars de cette année, l'Union européenne a célébré le 55e anniversaire de sa
fondation par les traités de Rome. Les festivités ont été discrètes comparées
au faste qui avait marqué l'anniversaire de l'UE cinq ans auparavant. Cette
année-là les dirigeants des partis politiques et chefs d'Etats du continent
s'étaient rencontrés à Berlin, capitale allemande, avec des dirigeants
syndicaux pour s'adonner à une orgie d'autosatisfaction.
Sur
l'air de l'Ode à la joie de Beethoven, les dignitaires rassemblés avaient bu du
champagne et s'étaient félicités. Le texte rédigé pour l'occasion commençait en
ces termes: « Pendant des siècles, l'Europe a été une idée, un espoir de
paix et de compréhension. Cet espoir s'est aujourd'hui concrétisé.
L'unification européenne nous a apporté la paix et la prospérité. »
La
Déclaration de Berlin de l'UE se poursuit ainsi: « Nous aspirons à la paix
et à la liberté, à la démocratie et à l'état de droit, au respect mutuel et à
la responsabilité, à la prospérité et à la sécurité, à la tolérance et à la
participation, à la justice et à la solidarité. »
Loin
de garantir « la paix, la prospérité et la solidarité, » l'Union
européenne a été démasquée comme étant un piège réactionnaire, avec des
conséquences toujours plus dévastatrices pour les travailleurs d'Europe. Cette
évaluation est soulignée par une série d'événements récents qui se sont
produits sur tout le continent.
Mardi
dernier, un retraité grec de 77 ans s'est suicidé en plein jour devant le
bâtiment du parlement du pays. Avant de se tirer une balle, Dimitris
Christoulas a laissé une note qui comparait le gouvernement actuel d'Athènes au
régime grec qui avait collaboré avec les forces d'occupation allemandes
fascistes durant la Deuxième guerre mondiale.
Christoulas
partageait le sort de centaines de milliers de personnes âgées grecques. Ayant
travaillé toute sa vie comme pharmacien, il s'était vu retirer sa retraite du
fait des réformes budgétaires du gouvernement grec. Il déclare dans la note
qu'il a laissée «... Puisque je ne trouve pas de justice, je ne vois pas
d'autre moyen que celui de mettre fin, avec décence, à ma vie avant de devoir
faire les poubelles pour me nourrir ou de devenir un fardeau pour mon
enfant. »
Il
conclut sa note en prédisant que le même sort sera réservé à l'élite politique
grecque actuelle que celui réservé au leader fasciste italien: « Les
jeunes sans avenir vont un jour prendre les armes et pendre les traitres par
les pieds sur la Place Syntagma, comme les Italiens l'avaient fait pour
Mussolini en 1945. »
Le
même jour, un Albanais de 38 ans qui était sans emploi depuis quelque temps
s'est jeté du deuxième étage d'un bâtiment sur l'île de Crète et a trouvé la
mort. Les journaux locaux ont rapporté que les raisons de ce suicide étaient
des difficultés financières.
Les
mesures d'austérité brutales dictées par l'Union européenne, la Banque centrale
européenne et le Fonds monétaire international, ont fait que les retraites en
Grèce ont été réduites de façon draconienne, de 40 pour cent en moyenne. Le
taux de chômage de 21 pour cent est l'un des plus élevés d'Europe. Il y a
quelques années, la Grèce comptait le taux de suicide le plus bas d'Europe.
Selon les rapports de police, ce taux a doublé en l'espace de deux ans.
La
destruction du niveau de vie et des perspectives d'avenir ne se limite pas à la
Grèce.
Mardi
encore de cette semaine, une femme de 78 ans s'est jetée de son appartement en
Sicile et a trouvé la mort. Elle venait d'apprendre que sa retraite mensuelle
allait passer de 800 à 600 euros. Et la liste continue...
Lundi, un fabriquant de cadres s'est pendu à
Rome. Le mot laissé derrière lui faisait référence à des problèmes économiques
écrasants. Son suicide avait été précédé par deux tentatives de suicide dans le
nord de l'Italie la semaine dernière. Dans des incidents différents, deux
hommes, tous deux dans les métiers du bâtiment, ont essayé de se suicider en
s'immolant par le feu. Ils souffrent de brûlures graves. Les deux survivants
avaient laissé des notes déclarant que leur situation financière désespérée
expliquait leur geste.
La crise sociale en Europe ne touche pas
seulement les travailleurs adultes et les retraités. De plus en plus, les
perspectives de familles entières et de jeunes enfants sont sacrifiées à
l'autel de la « consolidation fiscale » et de la « réforme de
l'Etat providence » par une minuscule élite financière privilégiée. Un
récent reportage du journal Le Monde révélait que des dizaines de
milliers d'enfants italiens quittent l'école plus tôt pour trouver du travail
et soutenir leur famille. L'article parle d'enfants de dix ans faisant des
journées de travail de 12 heures pour des salaires d'un euro ou moins de
l'heure.
La
pauvreté et une polarisation sociale extrême sont en train de ravager tout le
continent. Selon des chiffres de l'UE pour 2009, qui sont déjà fortement
dépassés, plus de 20 pour cent de la population d'Espagne et de Grèce, pays
d'Europe occidentale, vivent dans la pauvreté. Ces taux sont plus élevés dans
bon nombre de pays d'Europe centrale ou de l'Est, tels la Lettonie, la
Lituanie, la Roumanie et la Bulgarie.
Tous
ces pays ont été soumis à des programmes d'austérité massive dictés par l'UE et
le FMI. Conséquence directe de la crise sociale, la population de Roumanie a
diminué de 12 pour cent durant les dix dernières années, du fait de la
combinaison du déclin de l'espérance de vie, du déclin du taux de natalité et
de l'émigration massive des jeunes cherchant un avenir à l'étranger. On note
des diminutions similaires de la population en Bulgarie et en Lettonie. Au
coeur de l'Europe, la pauvreté et la polarisation sociale augmentent aussi de
façon spectaculaire dans les plus grandes économies d'Europe, l'Allemagne et la
France.
Cet
anéantissement du niveau de vie et des perspectives d'avenir sur tout le
continent est une première par temps de paix. C'est un réquisitoire dévastateur
contre l'Union européenne et plus particulièrement contre ses apologistes dans
les syndicats et les partis de l'ex-gauche.
Le
désespoir qui a conduit Dimitris Christoulas à se suicider cette semaine ne
peut s'expliquer uniquement par ses difficultés financières. Les travailleurs
et leurs familles sont capables de surmonter même des problèmes aussi terribles
lorsqu'ils savent qu'ils ont le soutien d'une organisation ou d'un parti qui
est prêt à se battre pour eux. Mais c'est précisément ce qui manque dans la
situation actuelle.
Toutes
ces organisations qui prétendent toujours, en paroles, avoir une certaine
allégeance envers la classe ouvrière sont depuis longtemps passées de l'autre
côté. Il n'existe pas aujourd'hui de partisans plus résolus de l'UE et de sa
politique que les syndicats européens et leurs satellites soi-disant de gauche
tels SYRYZA en Grèce, le Parti de Gauche en Allemagne, et le NPA en France.
Toutes leurs palabres sur les réformes et la possibilité d'une « Europe
sociale » n'ont pour objectif que de camoufler le cordon ombilical qui les
relie à la bureaucratie syndicale et à ses groupes de réflexion et ses
lobbyistes de Bruxelles.
L'unique
alternative à la dévastation sociale qui enveloppe actuellement le continent
est la mobilisation de la classe ouvrière dans toute l'Europe contre la
bureaucratie syndicale et ses parasites, et la formation de gouvernements
ouvriers. De tels gouvernements répudieraient immédiatement les programmes
d'austérité et de remboursement de la dette dictés par les banques, se
retireraient de l'UE et de toutes ses institutions et entameraient le processus
de construction d'une alternative authentiquement démocratique fondée sur la
satisfaction des besoins des larges masses de la population, à savoir les Etats
socialistes unis d'Europe.