Relégué au second rang par François Hollande, son
adversaire du Parti socialiste (PS), lors du premier tour des élections
présidentielles de dimanche dernier, le président Nicolas Sarkozy cherche
désespérément à gagner les voix des 6,5 millions de personnes qui ont voté
pour la candidate arrivée en troisième position, la néo-fasciste Marine Le
Pen. Il en a besoin s'il veut battre Hollande lors du scrutin décisif du
second tour le 6 mai.
Les sondages d’opinion prédisent une victoire
confortable pour Hollande avec 56 pour cent des voix. Pour le moment, les
sondages montrent que 60 pour cent des électeurs de Le Pen transféreront
leurs voix à Sarkozy mais l’on estime toutefois que Sarkozy a besoin de 70
pour cent pour l’emporter.
Durant toute la campagne électorale, Sarkozy a
cherché à détourner l’attention de son bilan de mesures d’austérité
impopulaires et à gagner les électeurs potentiels de Le Pen en ayant recours
au sentiment anti-immigrés, antimusulman et sécuritaire.
Mardi, Sarkozy a déclaré que Marine Le Pen était
« compatible avec la République. » Les responsables de l’UMP, Jean-François
Copé et Xavier Bertrand, ont tout d’abord cherché à nier que Sarkozy avait
fait une telle remarque.
Un tel commentaire a des implications politiques
considérables. Un chef d’Etat français a officiellement déclaré qu’à son
avis, les structures juridiques du régime bourgeois français étaient
compatibles avec le néo-fascisme, et avec un membre du parti dont le
dirigeant de longue date, Jean-Marie Le Pen, a rejeté l’Holocauste comme
étant « un détail de l’histoire. » Cet état de fait reflète une crise
profonde du régime bourgeois en France et de par l’Europe.
Le Nouvel Observateur a remarqué,
« Jusque-là, à droite, hormis dans les rangs de la droite populaire, on se
contentait de souligner que le FN est un parti légal. Sarkozy suggère, lui,
que le parti lepéniste est un parti républicain qui défendrait des valeurs
républicaines, donc les mêmes que les siennes, donc que celles de l’UMP. »
Des voix inquiètes se sont fait entendre dans les
cercles de l’UMP (Union pour un Mouvement populaire) proches de l’ancien
président Jacques Chirac, qui craignent une identification du mouvement
gaulliste avec le fascisme. Toutefois, l’ancienne ministre des Sports de
Sarkozy, Chantal Jouanno, a déclaré qu’en cas de confrontation entre des
candidats du PS et du FN lors des élections législatives de juin prochain,
elle voterait PS. Elle a été critiquée par le premier ministre François
Fillon. La porte-parole de campagne de Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet a
dit qu’elle voterait PS comme Jouanno.
Sarkozy a clairement fait comprendre que sa
campagne compte bien continuer dans ce registre en vue d'attirer les voix
néofascistes. Conformément à sa loi anti-burqa islamophobe et à ses
déportations massives de Roms et de sans-papiers, Sarkozy a lancé des
affirmations mensongères selon lesquelles la plus grande partie de la viande
commercialisée en région parisienne était d’origine halal et, dernièrement,
que plus de 700 mosquées ont appelé à voter pour Hollande. Il a promis de
réduire de moitié l’immigration légale et de réimposer les contrôles aux
frontières nationales.
Les affirmations de dirigeants du PS, tel Arnaud
Montebourg, qui ont cherché à critiquer Sarkozy en déclarant que Le Pen
« n’est pas compatible avec la République », sont toutefois foncièrement
hypocrites.
La légitimation publique de Le Pen par Sarkozy ne
reflète pas seulement les vues de Sarkozy en tant que candidat, mais aussi
comme chef d’Etat depuis maintenant cinq ans. Il a appliqué une ligne
politique – notamment par rapport aux attaques contre les droits
démocratiques et les guerres impérialistes – qui a joué un rôle majeur dans
la légitimation de Le Pen, créant une situation où le Front National (FN)
est reconnu comme faisant partie de l’establishment politique.
Cette politique réactionnaire a reçu le plein
soutien du PS. Le PS a soutenu la loi de Sarkozy interdisant la burqa et,
précédemment, celle interdisant le port du foulard islamique à l’école. Le
PS et la bourgeoisie française ont dans l’ensemble soutenu les guerres
néo-coloniales de Sarkozy en Afghanistan, en Libye et maintenant en Syrie en
tentant de restreindre l’opposition populaire à ces guerres en promouvant
l’islamophobie. Ce soutien ne s’est pas limité au PS mais inclut aussi ses
satellites : le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le Parti communiste
français (PCF) et le Parti de gauche.
Ceci a une vaste signification et qui va bien
au-delà de la politique tant du candidat de l’UMP que du PS. Quatre ans
après le début de la crise financière mondiale, la bourgeoisie française
promeut à nouveau des conceptions politiques qu’elle n’avait pas adoptées
depuis la Grande Dépression des années 1930 – décennie qui s’était terminée
par la collaboration du gouvernement de Vichy du maréchal Philippe Pétain
avec le régime nazi durant l’occupation de 1940-1944. (Voir aussi :
Retour à
Vichy)
Ceci se reflète dans la conduite même de la
campagne de Hollande. Hollande capitule à présent devant le sentiment
raciste promu par l’UMP et le FN, en faisant marche arrière sur sa promesse
de légiférer à l’automne prochain sur le droit des étrangers de voter aux
élections locales. Il a dit l’envisager pour 2013, juste à temps pour les
élections municipales de 2014, en insistant pour dire qu’il n’y a « pas
d’échéance particulière. »
Le droit de vote des résidents étrangers aux
élections locales qui constitue depuis plus de 30 ans une promesse
électorale du PS et qui est abandonnée sitôt son arrivée au pouvoir, est
depuis longtemps chose courante dans la plupart des pays européens. Ségolène
Royal, la candidate vaincue à l’élection présidentielle de 2007, a affirmé
lundi : « Ça n’a jamais été notre priorité. » Elle a jouté : « Ceux qui
s’inquiètent des flux de clandestins ne sont pas des racistes. »
Depuis la politique de rigueur imposée en 1983 par
le gouvernement PS du président François Mitterrand, le PS et son allié, le
PCF, ont perdu toute crédibilité en tant que défenseurs de la classe
ouvrière. Les sondages d’opinion ont révélé que plus de 30 pour cent des
travailleurs des industries avaient voté Le Pen.
Mercredi, sur France 2, Hollande a affirmé :
« J’écoute la colère, je vois des ouvriers qui s’interrogent sur l’avenir de
leur emploi, qui se battent contre les délocalisations, qui n’acceptent pas
les plans sociaux, qui quelquefois… expriment leur colère en votant Marine
Le Pen. » A Hirson, il a dit avec insistance qu'il pouvait répondre à leurs
besoins en oeuvrant en faveur d’une réorientation de l’Europe et d’une
politique industrielle : « J’ai entendu les cris de colère, j’ai répondu par
un message d’espoir. »
Hollande a fait la promesse creuse, à l’annonce
que 5.000 emplois étaient menacés chez Néo Sécurité, qu’il ne permettrait
pas que la liste des plans sociaux soit annoncée après les élections. En
effet Sarkozy aurait, à plusieurs reprises, demandé aux responsables de ne
pas annoncer de licenciements massifs durant la campagne présidentielle, on
s’attend donc à ce que ces licenciements tombent une fois les élections
passées.
(Article original paru le 27 avril 2012)