WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Hier, le gouvernement du président Nicolas Sarkozy a proposé de nouvelles lois antidémocratiques visant ostensiblement à empêcher des actes terroristes perpétrés par des « loups solitaires » ou des gens « auto-radicalisés » n'agissant pas dans des groupes organisés. Ces mesures sanctionneraient les gens qui visiteraient des sites internet « terroristes » ou se rendraient à l'étranger pour y recevoir une formation de terroriste.
La Dépêche écrit : « Selon le Garde des Sceaux, le projet prévoit de sanctionner les personnes qui naviguent "de manière habituelle et sans motif légitime" sur des sites incitant au terrorisme comme cela existe dans le cadre de la lutte contre la pédophilie... On ne peut laisser des individus, souvent jeunes et malléables, s'abreuver d'images de décapitation et d'appels à la haine sans réagir. Ceux qui les diffusent ne doivent pas vivre non plus dans l'impunité. »
Les peines, sur le modèle de celles concernant la lutte contre la pédophilie, pourraient aller jusque deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros (40 000 dollars) d'amende pour des « visiteurs habituels »
Ces mesures sont prises dans le contexte d'une avalanche de mesures antidémocratiques contre les immigrants proposées après les tueries de Mohamed Merah soupçonné d'avoir tué, entre le 11 et le 19 mars, trois militaires, un rabbin et trois écoliers juifs à Toulouse et Montauban.
Sarkozy a aussi annoncé une réduction de 50 pour cent de l'immigration légale et menacé de sortir la France de la zone Schengen de libre circulation si des mesures n'étaient pas prises pour empêcher l'immigration non voulue en provenance d'Europe ou hors d'Europe. Il a déclaré que, dans les cantines scolaires, il ne serait fait aucune concession pour les minorités, ce qui signifie la suppression de la possibilité d'un menu halal ou kasher.
La campagne anti-immigration de Sarkozy, juste avant le premier tour de l'élection présidentielle du 22 avril, sert à renforcer les pouvoirs de la police contre l'opposition politique en France, tout en insufflant dans la campagne électorale le poison des préjugés sécuritaires. Il existe une forte opposition de la classe ouvrière à l'égard de la politique sociale de Sarkozy : les dépenses publiques ont été encore réduites, des droits sociaux détruits et le chômage a fortement augmenté. Sarkozy cherche à renverser la situation dans les dernières semaines de la campagne.
L'effet immédiat des tueries de Toulouse sur les sondages d'opinion a été que Sarkozy a rattrapé son retard sur le candidat du Parti socialiste (PS) François Hollande et l'a dépassé dans les intentions de vote pour le premier tour. Le dernier sondage donnait le président à 29,5 pour cent contre Hollande à 29 pour cent, bien que l'avance du candidat du PS au second tour contre Sarkozy soit toujours confortable à 54 pour cent environ contre 46.
Mais avant tout, cette loi donne d'énormes pouvoirs pour incriminer des gens qui ne font rien d'autre que de visiter des sites internet ou de se rendre dans des pays musulmans. La définition du terme même de « terrorisme » étant notoirement vague et sujette à la manipulation politique par les autorités policières, cela ouvre la voie à la criminalisation de voyages complètement légitimes et de navigation sur le net.
L'exploitation par Sarkozy de l'affaire Merah pour promouvoir des lois aussi draconiennes soulève d'autres questions sur les conditions hautement suspectes dans lesquelles ce dernier a perpétré les tueries. Bien qu'il fût un informateur de la police et sous étroite surveillance, Merah a réussi à poursuivre les meurtres dont il est accusé, pendant neuf jours, sans être dérangé par les forces de sécurité. (Voir Le tireur de Toulouse aurait été un informateur des services de renseignement français.)
Il n'a pas pu avoir de procès et expliquer les relations qu'il entretenait avec le renseignement français, car il a été tué dans ce qui n'est autre qu'une exécution d'État supervisée par le ministre de l'Intérieur de Sarkozy, Claude Guéant et le directeur central du renseignement intérieur du président, Bernard Squarcini, qui avait donné l'ordre de lancer l'assaut sur l'appartement de Merah le 22 mars.
Il y a une autre raison à vouloir exploiter la tragédie de Toulouse et à stigmatiser les immigrants et les musulmans; en effet, cela fournit une justification à l'explosion du militarisme néo-colonial français. Les sondages montrent que la majorité e la population française s'oppose à l'occupation de l'Afghanistan et rejette aussi la guerre contre la Libye. Malgré cela, la classe dirigeante française soutient les forces pro-occidentales contre le régime syrien, menace l'Iran et envisage de soutenir une intervention militaire au Mali.
Juste après la mort de Merah, Sarkozy a profité de son avantage. Dans des actions hautement médiatisées, il a empêché au moins six religieux et prédicateurs musulmans d'entrer en France pour assister à des événements organisés par des organisations musulmanes officielles, reconnues par l'État. La police a arrêté 30 « suspects », dont la plupart ont été rapidement relâchés, car il n'existait aucune preuve contre eux.
Le PS a entièrement capitulé devant cette tentative de coup politique, rejoignant Sarkozy dans un appel à l'unité nationale et en le critiquant par la droite. Hollande l'a accusé de laxisme en matière de sécurité et a promis de faire mieux que lui s'il était élu.
Sur la question de la criminalisation des personnes qui visitent des sites internet, la réponse du PS a surtout consisté à critiquer ces mesures, au motif qu'elles ne sont pas assez efficaces contre les terroristes, laissant de côté la question du caractère profondément antidémocratique de la loi elle-même. L'« expert en sécurité » du PS, le sénateur Fraçois Rebsamen a déclaré que le projet pourrait « se révéler inutile, inefficace, voire contre-productif. »
Hollande a dit, « L'enjeu est trop grave pour légiférer dans la précipitation sans mesurer les conséquences des mesures et leur efficacité. »
Il réfute toujours les accusations selon lesquelles il serait trop tolérant en matière d'immigration en affirmant ses références sécuritaires. Il a dit sur France 2 le 16 mars, « Il y aura une brigade spécialisée de lutte contre les filières clandestines, les passeurs. C'est là que nous devons agir. »
Le PS et ses soutiens de la « gauche » petite-bourgeoise, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ou le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, qui comprend le Parti de Gauche (PG) et le Parti communiste français (PCF) stalinien, sont incapables de s'opposer sérieusement aux nouvelles lois antidémocratiques de Sarkozy. Ils ont tous soutenu les mesures sécuritaires utilisées par Sarkozy pour attiser des sentiments chauvins. Parmi elles on compte les lois interdisant le port du voile islamique à l'école et de la burqa dans tous les lieux publics ainsi que la guerre de Sarkozy contre la Libye.
Bien qu'il ait dénoncé le « délire de la famille Le Pen » dans un discours fait à Lille le 28 mars après les tueries de Toulouse, Mélenchon soutient lui aussi la politique impérialiste qui sous-tend la politique intérieure sécuritaire et droitière de la France. Dans ce même discours de Lille, il avait préconisé des visas sociaux et environnementaux aux frontières de l'Europe pour lutter contre les délocalisations. Mélenchon avait voté au parlement européen en faveur de l'intervention de l'OTAN en Libye.
(Article
original publié le 13 avril 2012)
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