La classe ouvrière à travers le Canada et internationalement doit venir en aide aux étudiants en grève du Québec. Depuis onze semaines, des dizaines de milliers d’étudiants des universités et des cégeps boycottent les cours et organisent des manifestations en opposition à la hausse des droits de scolarité universitaires de 75 pour cent que le gouvernement libéral provincial a imposé pour les cinq prochaines années.
Le gouvernement et l’État, avec le soutien de la grande entreprise et de ses médias, ont réagi en tentant de criminaliser la grève étudiante.
Les tribunaux ont prononcé de nombreuses injonctions pour limiter, quand ce n’est pas interdire complètement, les piquets de grève étudiants et pour ordonner aux universités et aux cégeps de donner les cours et de procéder aux évaluations si même un seul élève voulait assister au cours.
La semaine dernière, le dirigeant du plus grand syndicat d’enseignants universitaires a accusé le gouvernement de chercher à embrigader ses membres dans une campagne pour briser la grève en donnant la directive aux administrations des universités de forcer les professeurs à donner leurs cours même si leurs étudiants avaient voté en faveur de la grève. Décrivant une situation digne d’un État policier, le président de la Fédération nationale des enseignants du Québec a dit que les policiers et les gardes de sécurité des universités, dont les rangs ont été récemment grossis, intimidaient ses membres : « Un climat de peur s'installe sur les campus universitaires, ce qui était inimaginable et qui est absolument inacceptable. »
Tentant à nouveau de briser la grève, le gouvernement libéral a organisé des négociations bidon cette semaine. Fidèle à la position prise par le gouvernement tout au long de la grève, la ministre de l’Éducation Line Beauchamp a refusé catégoriquement de discuter du retrait ou même de la modification de la hausse de frais de scolarité. Elle a plutôt demandé aux représentants des trois associations étudiantes provinciales d’accepter une amélioration de l’accès au programme de prêts étudiants du gouvernement, un programme qui est très profitable pour les banques du pays.
L’étudiant québécois moyen termine déjà ses études avec des dettes qui dépassent les 15.000 $. De plus, les étudiants du Québec sont très conscients des niveaux d’endettement beaucoup plus élevés qui frappent les étudiants ailleurs en Amérique du Nord, surtout aux États-Unis, où les droits de scolarité sont encore plus élevés.
Au troisième jour des négociations, Beauchamp a annoncé que le gouvernement excluait la plus militante des trois associations étudiantes des discussions. Elle a prétexté faire ce geste en raison d’une manifestation étudiante de la veille à Montréal qui était devenue violente. En fait, de nombreux témoins, dont des journalistes, ont soutenu que la manifestation était pacifique jusqu’à ce que la police la déclare « illégale » avant de s’en prendre aux étudiants.
Durant les deux derniers mois et demi, il est devenu pratique courante pour les policiers de rendre illégales les manifestations et de terroriser les étudiants par le poivre de Cayenne, les gaz lacrymogènes et la matraque. Cette campagne de répression a été facilitée par les médias, qui publient des reportages indignés sur une supposée violence étudiante tout en censurant la violence faite par les policiers. Des journalistes de la droite sont même allés jusqu’à associer la grève étudiante au terrorisme.
La criminalisation de l’opposition populaire, particulièrement les luttes de la classe ouvrière, devient la norme au Canada et internationalement. Le gouvernement conservateur fédéral a à maintes reprises eu recours à des lois d’urgence pour briser les grèves et imposer des concessions, notamment aux travailleurs des postes et d’Air Canada. L’automne dernier, les administrations municipales de Toronto, de Vancouver et de nombreuses autres grandes villes ont eu recours aux injonctions des tribunaux et à la police pour mettre un terme aux protestations du mouvement « Occupons ».
Si le gouvernement du Québec et toute l’élite canadienne ont été si implacables dans leur opposition à la grève, c’est qu’ils voient que l’opposition des étudiants à la hausse des frais de scolarité et leur conception que l’éducation doit être un droit social constituent un défi implicite à toute leur stratégie de classe.
Tout comme ses rivaux capitalistes aux États-Unis, en Europe et en Asie, l’élite dirigeante du Canada a réagi à la crise financière de 2008 en tentant de détruire ce qui reste des gains sociaux obtenus par la classe ouvrière dans les luttes sociales tumultueuses du siècle dernier. Les gouvernements à tous les paliers imposent des mesures d’austérité brutales qui ont pour cibles les services publics essentiels et les avantages sociaux, notamment l’éducation, la santé et les retraites.
Pour mettre de l’avant son programme de guerre de classe, la grande entreprise est catégorique : les étudiants doivent être défaits. Le gouvernement du Québec ne « doit ni céder ni faire de compromis », soutient le président et chef de la direction de la Chambre de commerce de Montréal, Michel Leblanc. Ce qui est en jeu pour la classe dirigeante a été exprimé encore plus clairement dans les pages de La Presse, le quotidien le plus influent de la province. Un ancien rédacteur en chef du journal a écrit récemment que les étudiants devaient être vaincus pour « casser » le « moule » de « l’attachement au statu quo… des droits acquis ». L’actuel rédacteur en chef a pour sa part déclaré que si le gouvernement libéral pliait devant les étudiants, « il n’y aurait plus moyen d’apporter quelque réforme que ce soit au Québec ».
Loin de mobiliser la classe ouvrière en défense des étudiants, les syndicats et des partis supposément de gauche isolent systématiquement la lutte des étudiants pour empêcher qu’elle ne devienne l’étincelle d’un mouvement plus large de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité des gouvernements libéral provincial et conservateur fédéral.
En effet, en réaction à la polarisation de classe accentuée par la grève, les syndicats pressent maintenant les étudiants d’abandonner leur demande que le gouvernement annule la hausse des frais de scolarité. Du même coup, ils intensifient leurs efforts pour rattacher le mouvement étudiant et la classe ouvrière au Parti Québécois, un parti de la grande entreprise qui, lorsqu’il était au pouvoir, a imposé d’immenses coupes dans les dépenses sociales.
« Pour assurer la fin du trimestre et la paix sociale », pour citer un dirigeant syndical, les syndicats du Québec demandent au gouvernement d’annoncer un « moratoire » d’un an sur la hausse des frais de scolarité pour permettre une « réflexion globale » sur le financement des universités.
Les syndicats du reste du Canada ainsi que le parti social-démocrate du pays, le NPD, ont été silencieux sur la répression à l’endroit des étudiants du Québec. Comme c’est le cas à travers le monde, les syndicats et les sociaux-démocrates ne font pas que saboter la résistance de la classe ouvrière, ils imposent directement les mesures d’austérité de la bourgeoisie. Mardi, le NDP, avec tout le soutien des syndicats, a facilité l’acceptation d’un budget d’austérité en Ontario qui comprend 17 milliards de dollars de coupes sur les trois prochaines années.
Les étudiants du Québec ne doivent plus lutter seuls. L’opposition implicite de leur lutte aux tentatives de la classe dirigeante d’imposer aux travailleurs le fardeau de la crise capitaliste doit devenir une stratégie explicite : pour la mobilisation de la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada contre le démantèlement des services publics, contre les suppressions d’emploi et les concessions.
Seule la classe ouvrière a le pouvoir social de défendre et de promouvoir les droits sociaux fondamentaux pour permettre une éducation et une vie de qualité à tous. Il faut pour cela que la classe ouvrière mène une lutte politique pour porter au pouvoir un gouvernement des travailleurs qui réorganisera la vie socioéconomique sur une base socialiste, en transformant les banques et la grande industrie en propriétés publiques. La production pourra alors être organisée pour combler les besoins humains, et non les profits d’une minorité.
(Article original paru le 27 avril 2012)