Le premier tour des élections présidentielles
françaises de dimanche a clairement mis en évidence la crise politique qui
existe en France et partout en Europe ainsi que les immenses dangers
auxquels est confrontée la classe ouvrière. Le principal bénéficiaire
politique des quatre années de crise économique mondiale, de guerre
impérialiste au Moyen-Orient et d’effondrement des budgets de l’Etat a été
le Front national (FN) néofasciste de Marine Le Pen.
Le FN a recueilli 18 pour cent des voix, son plus
fort score jamais obtenu, arrivant en troisième position derrière les deux
candidats, François Hollande du Parti socialiste (PS) et le président
conservateur sortant, Nicolas Sarkozy, qui s’affronteront au second tour du
scrutin le 6 mai.
Les élections ont révélé l’énorme mécontentement
populaire provoqué par la politique d’austérité pratiquée par le
gouvernement de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). Toutefois, ce
mécontentement est incapable de trouver une expression progressiste parce
que tout mouvement indépendant de gauche de la classe ouvrière est bloqué
par le PS, la bureaucratie syndicale et les partis petits bourgeois
pseudo-gauches qui ressassent des discours radicaux tout en restant attachés
aux principaux partis bourgeois.
Dans ces conditions, les forces les plus
réactionnaires de l’establishment politique sont en mesure de se
présenter comme étant « anti-establishment » et « anti-austérité » et
de canaliser la colère populaire vers le racisme anti-immigrants et
anti-musulman et le nationalisme français fanatique. Le tournant droitier de
la « gauche »officielle et de ses alliés soi-disant d’« extrême gauche » a
permis au FN de sortir ragaillardi de la crise.
Le second tour des élections entre le PS et l’UMP
ne propose rien à la classe ouvrière. Le PS et les diverses tendances
droitières qui forment l’UMP ont assuré l’alternance au poste de président
et de premier ministre pendant 43 ans, depuis que Charles de Gaulle a
démissionné de ses fonctions de président de la République après la grève
générale de 1968. La tâche cruciale à laquelle est confrontée la classe
ouvrière en France est celle de développer un mouvement politique
indépendant contre le prochain président, qu’il s’agisse de Sarkozy ou de
Hollande, et contre le capitalisme européen.
Mis à part le nom, il n’y a rien de socialiste
dans le PS. Transformé après sa fondation en 1969, en un instrument
électoral pour le politicien François Mitterrand, l'ancien collaborateur du
régime de Vichy, le PS a associé une couche de fonctionnaires bourgeois et
des membres des partis petits-bourgeois de « gauche ». Parmi ceux-ci on
compte des figures tel Lionel Jospin, membre de l’Organisation communiste
internationaliste ex-trotskyste (OCI) qui fut au service de Mitterrand puis
occupa ensuite les fonctions de premier ministre de 1997 à 2002.
Sous la pression des déficits budgétaires
grandissants et de la fuite des capitaux organisée par les banques,
Mitterrand qui, dans une situation de radicalisation de la classe ouvrière,
avait été élu en 1981 sur la base d’une alliance avec le Parti communiste
français (PCF) stalinien, abandonna rapidement son programme de réforme. Il
entama ensuite son « tournant de la rigueur » - une décision impitoyable
pour démanteler les industries non compétitives telles les industries
sidérurgique et minière qui dans les années 1970 avaient été les bastions du
radicalisme de la classe ouvrière.
Cherchant
à diviser le
score en hausse de la droite, Mitterrand contribua à gonfler le profil
médiatique du FN. Le parti néofasciste sortit de l’ombre, bénéficiant des
attaques perpétrées contre la classe ouvrière par la « gauche » bourgeoise
et les trahisons répétées des luttes ouvrières par la bureaucratie syndicale
aidée par les alliés petits-bourgeois de « gauche » de la bureaucratie.
Le gouvernement Jospin (1997-2002) vint au pouvoir
après la grève des cheminots de 1995 contre la réduction des retraites et
avait forcé le gouvernement d’Alain Juppé à démissionner. Les attaques de
Jospin contre les programmes sociaux et le niveau de vie de la classe
ouvrière jetèrent les bases pour le plus gros score jamais réalisé par le FN
lors d’une élection présidentielle avant les résultats de dimanche dernier.
Lors de l’élection actuelle, Hollande a fait référence à la politique de
privatisation de Jospin lorsqu’il a rassuré les banques que le PS n’avait
rien à voir avec le socialisme. « Aujourd’hui, il n’y a plus de communistes
en France, » a-t-il dit. « La gauche…[a] libéralisé l’économie et ouvert les
marchés à la finance et aux privatisations.
Il n’y a
plus de craintes à avoir. »
En 2002, le candidat du FN à la présidentielle,
Jean-Marie Le Pen, avait évincé de justesse au premier tour l’impopulaire
Jospin en accédant au second tour de l’élection présidentielle contre le
président gaulliste sortant, Jacques Chirac. Bien qu’ils aient recueilli des
millions de voix et obtenu un total de 11 pour cent pour en se présentant
eux-mêmes comme des partis socialistes radicaux, les groupes
petits-bourgeois de « gauche » - la LCR (prédécesseur du Nouveau Parti
anticapitaliste), Lutte Ouvrière et le Parti des Travailleurs (successeur de
l’OCI) - ne cherchèrent pas à mobiliser la classe ouvrière contre une
élection qui était largement considérée comme illégitime. Ils préférèrent
opérer comme des groupes de pression contre la bourgeoisie en se rangeant
derrière Chirac et en appelant à la défense de la République française
bourgeoise contre Le Pen.
Le Comité international de la Quatrième
Internationale (CIQI) lança un appel en faveur d’un boycott actif des
élections présidentielles comme moyen de développer un mouvement politique
indépendant de la classe ouvrière contre les coupes sociales que Chirac
entreprendrait. L’ensemble des trois groupes petits-bourgeois de « gauche »
rejeta l’appel du CIQI. Et, comme avait prévenu le CIQI, leur politique de
capitulation consistant à rester à la traîne des principaux partis
bourgeois, loin de bloquer le FN ne fit que le renforcer, en permettant
ainsi aux néofascistes de se présenter comme l’unique tendance d'opposition.
Armés de ce soutien de la « gauche »
petite-bourgeoise, Chirac, puis Sarkozy ont continué à appliquer les mesures
d’austérité. La résistance de la classe ouvrière a été sabordée à maintes
reprises par la bureaucratie syndicale dont la trahison a été masquée et
facilitée par les organisations pseudo-gauches. Ces mêmes groupes (ou les
organisations qui ont pris la relève) ont soutenu les attaques contre les
immigrants et les Musulmans, telles l’interdiction du port du foulard et de
la burqa. Ils ont appuyé l’année dernière le bombardement de la Libye par la
France et ils soutiennent à l’heure actuelle son intervention impérialiste
contre la Syrie.
Dans cette élection dominée par une grave crise
sociale, la « gauche » petite-bourgeoise n’a rien eu d’autre à proposer à la
classe ouvrière que la démagogie du candidat du Front de Gauche, Jean-Luc
Mélenchon. Sa « révolution ‘citoyenne’ » - qu’il définit comme ancrée dans
les protestations syndicales mais qui « se déclenche et se mène par les
urnes » en reflétant « l’intérêt général » de la nation – combine
l’hostilité à l’égard d’une lutte révolutionnaire pour le pouvoir de la
classe ouvrière avec le nationalisme réactionnaire français. Mélenchon
pousse ce fait au point de souscrire dans ses écrits à un programme
expansionniste français en Belgique et qui vise l’Allemagne.
La « gauche » petite-bourgeoise – issue en grande
partie des couches privilégiées hostiles à la classe ouvrière, y compris les
bureaucraties d’Etat et syndicales – oeuvre ainsi à embrouiller les lignes
entre le socialisme et la droite, voire même les tendances fascisantes.
Maintenant, avec le choix entre Sarkozy et Hollande au second tour, elle
soutient le candidat PS, cédant un peu plus encore le rôle d'opposition à Le
Pen qui se présente comme critique du statu quo et qui est susceptible
d’appeler à voter blanc.
Cette situation pose de graves dangers à la classe
ouvrière. En France – tout comme en Grèce, en Espagne, en Italie et dans
d’autres pays ciblés par les banques – la classe ouvrière est confrontée à
des attaques historiques sans pouvoir se défendre au moyen des organisations
politiques existantes. La question cruciale en France et de par l’Europe est
la construction d’un parti révolutionnaire – c’est-à-dire un parti
trotskyste et une section du CIQI – sans lesquels la politique réactionnaire
des sociaux-démocrates et de la « gauche » petite-bourgeoise aura pour la
classe ouvrière comme conséquence de mener à de nouvelles défaites et à un
nouvel essor du mouvement néofasciste.
Le CIQI rejette avec mépris l’argument qu’un vote
pour Hollande est indispensable pour vaincre la droite. L’on peut prédire
avec assurance que si Hollande arrive au pouvoir, il fournira aux
néofascistes français encore davantage de munitions politiques.