Des articles de presse et de commentaires de
la part de responsables des services du renseignements suggèrent que Mohamed
Merah, la personne présentée comme le tireur ayant tué sept personnes dont
trois écoliers juifs au cours d'une série d'attentats qui a duré neuf jours à
Toulouse, était un informateur des services du renseignement français.
Ces révélations soulèvent des questions sur l'incapacité
du renseignement français à interpeller Merah, et sur les considérations
politiques qui auraient pu la motiver. L'enquête sur Merah était dirigée par la
Direction centrale du renseignement
intérieur (DCRI), dirigée par Bernard Squarcini - un proche associé du
président sortant Nicolas Sarkozy. Sarkozy, qui avant cela était nettement
derrière le candidat socialiste François Hollande pour la présidentielle, a
bénéficié d'une importante couverture médiatique après les attaques et rattrape
maintenant Hollande dans les sondages.
Dans un
entretien accordé le 23 mars au Monde, Squarcini a confirmé que Merah s'était
rendu de nombreuses fois au Moyen-Orient, alors que ses revenus déclarés
étaient à peu près au niveau du salaire minimum : « Il
a passé du temps chez son frère au Caire après avoir voyagé au Proche-Orient :
Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, et même Israël. À Jérusalem, la police
découvre un canif dans son sac puis le relâche. Ensuite, il se rend en
Afghanistan en passant par le Tadjikistan. Il prend des parcours qui sont
inhabituels et n'apparaît pas sur nos radars, ni sur ceux des services
extérieurs français, américains et locaux. »
Squarcini semble vouloir renforcer la thèse
officielle sur la capacité de Merah à échapper à la police : il serait un
indétectable « solitaire » qui « semble s'être radicalisé seul. » Cette version
est démentie par des révélations selon lesquelles les agences du renseignement
françaises étaient apparemment en contact étroit avec Merah, essayant d'en
faire un informateur au sein des réseaux islamistes.
Les Inrockuptibles
ont cité des articles italiens selon lesquels Merah travaillait pour la
principale agence du renseignement extérieur française, la Direction générale
de la sécurité extérieure (DGSE). Ils citaient Il Foglio : « Selon des
sources au sein des services de renseignement qui ont parlé avec ll Foglio,
la Direction générale de la sécurité extérieure [.] a obtenu pour lui [Mohamed
Merah] - en le présentant comme un informateur - une entrée en Israël en
septembre 2010, via un poste de contrôle à la frontière avec la Jordanie.
[.] Son entrée en Israël, couverte par les Français, visait à prouver au
réseau djihadiste sa capacité à passer à travers la frontière avec un passeport
européen. »
Contactée par Les Inrockuptibles, la
DGSE a refusé de confirmer ou d'infirmer la version d'Il Foglio : « La DGSE ne s'exprime ni sur ses sources, ni sur ses
opérations, réelles ou supposées. »
Dans des
commentaires d'hier à La Dépêche du Midi, Yves Bonnet - ex-chef de la Direction de la
surveillance du territoire (DST), aujourd'hui absorbée par la DCRI - se
demandait également si Merah était un informateur de la DCRI.
Bonnet a dit, «
Ce qui interpelle, quand même, c'est qu'il était connu de la DCRI non pas
spécialement parce qu'il était islamiste, mais parce qu'il avait un
correspondant au Renseignement intérieur. Or, avoir un correspondant ce n'est
pas tout à fait innocent. Ce n'est pas anodin. » ; « [.] Alors appelez ça "correspondant", appelez ça "officier
traitant" [.] je ne sais pas jusqu'où allaient ces relations, voire cette
"collaboration" avec le service, mais on peut effectivement
s'interroger sur ce point. »
Squarcini a nié que Merah ait été « un
informateur de la DCRI ou de n'importe quel service français ou étranger. »
Cependant, son entretien dans Le Monde suggère que c'est tout à fait ce
qu'était Merah.
De l'aveu même de Squarcini, Merah s'était
rendu à plusieurs reprises dans les locaux de la DCRI après ses voyages en
Afghanistan et au Pakistan - en Octobre et novembre 2011 - pour discuter de ce
qu'il avait vu. Squarcini appelle cela « entretien administratif sans contrainte, puisque nous n'étions pas dans un
cadre judiciaire. » Merah donnait donc librement à la DCRI les informations
qu'elle lui demandait ; c'est-à-dire qu'il fonctionnait comme un informateur,
que ce soit officiellement ou non.
Ces révélations rendent
l'incapacité des services à identifier et arrêter Merah encore plus
inexplicables. Elles soulèvent également la question de savoir si des responsables
du renseignement français ont causé ce retard assez exceptionnel dans l'enquête
sur les tueries.
Bien que les attentats aient eu
lieu les 11, 15 et 19 mars, Merah n'a été soupçonné que le 20 - après que la
police a comparé une courte liste d'islamistes de la région de Toulouse avec
une liste d'adresses IP d'ordinateurs ayant consulté une annonce postée par la
victime du 11 mars.
Le journaliste Didier Hassoux a déclaré aux Inrockuptibles
que la police avait obtenu la liste de 576 adresses IP, « sur l'annonce du
premier militaire abattu le 11 mars. » Cependant, d'après le spécialiste des
technologies de surveillance Jean-Marc Manach, ce n'est que cinq jours après,
le 16 mars, que les adresses IP ont été envoyées aux fournisseurs d'adresses
Internet pour identification. Les fournisseurs ont répondu le lendemain.
Ce délai de cinq jours est très inhabituel,
Manach note : « D'ordinaire, nous confirme une source policière, ce genre
d'opérations ne prend que quelques minutes. Une autre source, proche de ceux
qui répondent à ce type de réquisitions judiciaires, indique de son côté
qu'elles sont traitées "en 48 heures maximum". »
Autre démenti à la thèse officielle d'un Merah
« solitaire, » une vidéo des tueries réalisée par le tireur est arrivée à Al
Jazeera lundi en fin de journée, dans une enveloppe affranchie par la poste
le 21mars. Pourtant, ce jour-là, Mohamed Merah était confiné dans son
appartement et assiégé par la police, qui avait également arrêté son frère,
Abdelkader. On ne sait pas qui a envoyé la vidéo, fortement retouchée pour
cacher les voix - ce qui pourrait indiquer que Merah avait des complices durant
ces tueries.
Les officiels français ont fortement réagi à
la nouvelle de la vidéo. Sarkozy a demandé à toutes les chaînes qui
recevraient de telles images de ne pas les diffuser, pendant qu'Hollande
prévenait Al Jazeera qu'elle risquait de perdre ses droits de diffusion
en France si elle publiait cette vidéo.
La position de Hollande sur les vidéos de
Toulouse reflète la capitulation des partis bourgeois "de gauche" en
France devant l'hystérie sécuritaire après ces tueries tragiques. Personne
n'a demandé une enquête sur le rôle des agences du renseignement dans la
tuerie, alors que les indices d'une implication de l'Etat se multiplient. Ni le
Parti communiste français, ni le Nouveau Parti anticapitaliste, Ni le PS n'ont
fait remarquer que le gouvernement de Sarkozy, qui a bénéficié électoralement
de ce crime, est légitimement suspect d'être impliqué dans cette affaire.
Cela reflète la dégénérescence de toute la
classe politique. Ayant soutenu les guerres impérialistes dans les pays
musulmans et les vagues de coupes sociales en France - pendant que les
responsables socio-démocrates en Grèce imposaient des coupes encore plus
dévastatrices exigées par l'Union européenne - les partis "de gauche"
s'appuient maintenant sur les invocations chauvines au patriotisme
anti-musulman. Cela les laisse prostrés devant les services de sécurité et la
tentative du gouvernement de Sarkozy de transformer les tueries de Toulouse en
une occasion pour un coup politique.