Jean-Luc Mélenchon du Front de
gauche est le candidat présidentiel le plus en vue de la « gauche »
de l'establishment politique français. Les sondages montrent qu'il reçoit 13,5
pour cent du vote, en hausse de 6 pour cent par rapport à décembre ; après
avoir organisé sa manifestation du 18 mars nommée « prenons la
Bastille » à Paris, il organise une série de manifestations à travers la
France.
Les médias font constamment une
couverture de Mélenchon et de ses demandes sociales clés : une
augmentation de 20 pour cent du salaire minimum pour l'amener à 1700 euros (2230 $)
par mois, un impôt de 100 pour cent sur les revenus de plus de 360 000
euros par an et la nationalisation des banques. Il a désigné Washington comme
étant la menace internationale la plus importante et a régulièrement dénoncé
les banquiers.
Il attire l'attention parce qu'il
y a beaucoup plus de soutien populaire pour de telles demandes que pour celles de
François Hollande, le candidat du Parti socialiste. Il est le principal
candidat de la « gauche » bourgeoise et il est le favori pour
remporter l'élection. Hollande veut équilibrer le budget, continuer la plupart
des coupes du président en fonction Nicolas Sarkozy et garder la France dans
l'OTAN. Mélenchon, qui a travaillé pendant 32 ans au PS et qui connaît bien
Hollande, l'a appelé « un grand bol d'eau tiède », mais il n'a pas
écarté de négocier un accord avec lui après les élections présidentielles.
Le message de Mélenchon est que
les travailleurs peuvent améliorer les salaires, les conditions de vie et les
services publics en élisant un politicien comme lui, qui parle franchement, mais
qui a cependant l'expérience d'un haut responsable de la République française.
Il a déclaré à La Voix du Nord : « Nous ne sommes pas
l'extrême-gauche, nous sommes la gauche de la radicalité concrète. »
Comme tout examen de son histoire
politique le montre, cependant, les promesses de Mélenchon sont vides. Il avance
des politiques qu'il n'a pas l'intention de mettre en place. Il donne ainsi un
faux vernis radical aux politiciens français sociaux-démocrates, au moment où
ils se préparent à instaurer d'autres politiques d'austérité.
Mélenchon a débuté en politique dans
les mouvements étudiants à Besançon, une ville de l'Est de la France, après la
grève générale de 1968. Il a adhéré à l'Organisation communiste internationale
(OCI) en 1972 - l'année après que l'OCI a rompu avec le Comité international de
la Quatrième Internationale, qui publie aujourd'hui le WSWS - et l'a quittée pour
rejoindre le PS en 1976.
À l'époque, la perspective de
l'OCI était la conception fausse qu'elle pouvait développer un mouvement
révolutionnaire de la classe ouvrière, basé en France, en faisant pression sur
le Parti communiste français (PCF) stalinien ainsi que le PS nouvellement formé
afin de lancer une « Union de la gauche » et de prendre le pouvoir. En
fait, cela a profité aux projets du leader du PS François Mitterrand. Un ancien
collaborateur du régime de Vichy, Mitterrand s'est redéfini comme un
social-démocrate et a cherché une alliance avec le PCF afin d'obtenir une base
électorale et de gagner la présidence.
Mélenchon a été gagné à la
perspective de « l'Union de la gauche » et a affirmé qu'il a été
renversé lorsqu'il a entendu pour la première fois Mitterrand parlé
publiquement : « Il a parlé du bonheur, il a parlé de la politique de
façon charnelle, il parlait de la beauté de la neige. Ça m'a délivré. Nous,
nous n'osions jamais dire 'je'. Lorsque je suis entré dans le PS, c'était un
parti révolutionnaire ».
En fait, le PS était un parti
bourgeois qui se préparait à étouffer le radicalisme post-1968 de la classe
ouvrière et Mélenchon était en train de passer des politiques de la
« gauche » petite-bourgeoise aux cercles de l'État. De son passage à
l'OCI, cependant, Mélenchon a retenu le chauvinisme français et la manière crue
de parler d'un ancien étudiant radical.
Lorsque Mitterrand a pris le
pouvoir en 1981, il a implanté une vague de nationalisations et de dépenses
étatiques afin d'augmenter temporairement le pouvoir d'achat des travailleurs
français. La bourgeoisie a réagi en retirant des capitaux de la France, poussant
le franc français à plonger en dessous de la relation avec le mark allemand
spécifiée par le Système monétaire européen, le précurseur de l'euro. Mitterrand
a ensuite rejeté des politiques réformistes en 1983, implantant un
« tournant de la rigueur » appuyé par la bureaucratie syndicale et
les partis de « gauche » petit-bourgeois. Il a diminué le pouvoir
d'achat, a fermé des usines d'acier et d'automobiles et a privatisé les
industries nationalisées.
De manière étonnante, compte tenu
des conséquences dévastatrices des politiques de Mitterrand pour la classe
ouvrière, Mélenchon a fait le commentaire suivant concernant ses liens avec Mitterrand
à l'époque : « J'étais aveuglé par l'affection et ma perception un
peu romanesque de ma proximité. Mais, je ne regrette rien ».
L'explication de Mélenchon pour
la défaite, dans sa biographie Mélenchon le Plébéien, est significative.
Il blâme le « syndrome Salvador Allende », affirmant :
« Nous avons tous en tête l'échec du Chili. »
Il sous-entend par là qu'il
craignait que, si le PS ne suivait pas la ligne de Mitterrand et n'abandonnait
pas les politiques réformistes opposées par la classe dirigeante, il pourrait
subir le même sort que le président social-démocrate du Chili, Salvador
Allende. En 1973, Allende fut renversé par un coup d'État appuyé par les États-Unis
et mené par le général Augusto Pinochet ; des milliers de travailleurs et
de jeunes Chiliens furent massacrés et Allende trouva la mort.
Cela donne un portrait beaucoup
plus réaliste que les discours électoraux de Mélenchon quant à l'état des
relations de classe dans la société moderne. La classe dirigeante utiliserait
les méthodes les plus impitoyables pour préserver sa richesse et les privilèges
sociaux. Comme l'expérience de 1983 le montre clairement, un programme
réformiste pour la classe ouvrière est un mensonge politique qui vise à semer
la confusion et la démoralisation ; la classe ouvrière peut seulement
imposer de telles politiques par la construction d'un mouvement politiquement
indépendant et révolutionnaire de la classe ouvrière afin de renverser la
bourgeoisie et de supprimer son opposition.
Cela s'applique tout aussi bien à
Mélenchon en 2012 au milieu de la crise de la dette européenne - pendant
laquelle le premier ministre grec George Papandreou s'est retiré de son poste
sous la pression des banques, après avoir fait face à un coup d'État militaire
l'automne dernier - qu'à Mélenchon et à Mitterrand en 1983.
Cependant, depuis 1983, Mélenchon
et la couche sociale qu'il représente ont viré encore plus abruptement vers la
droite. Mélenchon, qui a travaillé au sein du PS pour les relations avec les
entreprises dans la région de Paris durant le « tournant de la
rigueur », a fait une carrière lucrative ; Mitterrand lui a très bien
appris à dire « je ». Il a rejoint la franc-maçonnerie, est devenu sénateur
(il a dit que c'est un « boulot en or ») et a adapté sa rhétorique de
« gauche » aux politiques de droite du PS durant les années 1990.
Lorsque Mitterrand a participé à
la guerre du Golfe à côté des États-Unis contre l'Irak en 1991, Mélenchon a
rencontré Mitterrand trois fois afin d'obtenir son approbation pour sa
prétendue position « anti-guerre ». Il a appuyé le traité
libre-échangiste de Maastricht qui a fondé l'Union européenne (UE) en 1992 afin
d'éviter de causer des problèmes à Mitterrand, adoptant le slogan :
« Faisons l'Europe, sa partie sociale viendra immédiatement après. »
Il a de nouveau laissé tomber ses objections aux traités financiers européens
en 1996 afin d'aider Lionel Jospin du PS à se présenter à la course à la
présidence en 1997.
Ecarté dans le PS par la défaite
humiliante de Jospin lors des élections présidentielles de 2002, Mélenchon a
commencé à envisager de quitter le PS. En novembre 2008, ses partisans ont fait
scission avec le PS afin de lancer le Parti de la gauche (PG) ; ils ont
ensuite constitué le Front de gauche par une alliance avec le PCF stalinien et
les plus petits groupes petit-bourgeois.
Cependant, de telles manouvres
organisationnelles n'ont pas altéré les politiques réactionnaires de Mélenchon.
Malgré toute sa rhétorique chauviniste anti-américaine, il est un défenseur de
l'impérialisme américain : il a appuyé la guerre menée par les États-Unis
contre l'Irak en 1991 et la guerre de l'OTAN contre la Lybie l'année dernière.
Quant aux institutions européennes qu'il a aidé à construire, elles ont émergé
dans la crise de la dette grecque comme des instruments clés pour l'oppression
commune de la classe ouvrière européenne par les puissances impérialistes
européennes.
Mélenchon va inévitablement
décevoir les espoirs pour une politique de gauche que des millions de personnes
sont encouragées à placer en lui. Le risque principal est que, s'il n'est pas
politiquement exposé par un challenge provenant de la gauche, la colère et la
démoralisation émergeant de ces espoirs bafoués vont fournir la base pour
l'émergence d'un puissant parti d'extrême-droite.