Le poème politique de l'écrivain de 84 ans, Günter Grass, qui
met en garde contre la politique guerrière d'Israël et qui a été publié
simultanément par un nombre important de journaux européens et internationaux
la semaine dernière, a déclenché une chasse aux sorcières sans précédent de la
part des médias ainsi que de personnalités politiques de hauts rangs.
La campagne de diffamation contre un des écrivains les plus
connus du monde, récipiendaire du prix Nobel de littérature et de plusieurs
autres récompenses, montre clairement que la classe dirigeante allemande et ses
homologues à Washington et Tel-Aviv ont l'intention d'intimider et de museler tous
ceux qui osent critiquer les préparatifs de guerre contre l'Iran.
Josef Joffe, le co-rédacteur en chef de Die Zeit, a
décrit Grass comme un antisémite qui a acquis sa haine contre les Juifs pendant
son séjour parmi les SS nazis lorsqu'il avait 16 ans.
Beate Klarsfeld, récente candidate à la présidence allemande
pour le parti La Gauche et partisane du président français Nicolas Sarkozy, est
allée jusqu'à comparer Grass à Hitler. La différence, dit-elle, est que le
premier utilise le mot « Israël » pour son agitation antisémite alors
que Hitler faisait référence à la « finance juive internationale ».
Mathias Döpfner, le directeur général du groupe médiatique
Axel Springer, a attaqué l'écrivain dans un article intitulé « Le coeur de
l'oignon est brun », faisant allusion à l'un des derniers romans de Grass.
Le bref séjour de Grass dans le Waffen-SS alors qu'il était
adolescent est une diversion qui sert à dévier le sujet vers une accusation
diffamatoire et sans fondement d'antisémitisme plutôt que vers l'opposition
correcte et de principe de l'écrivain aux préparatifs de guerre d'Israël contre
l'Iran. La méthode d'assassinat du personnage est cohérente avec la nature
politique de l'attaque contre Grass : une défense réactionnaire de
l'agression et de la provocation contre un pays du Golfe Persique riche en
pétrole.
Grass fut conscrit dans l'armée lorsqu'il avait 16 ans, peu
avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Durant les quelques semaines de
son adhésion aux SS, il n'a été impliqué dans aucun crime et n'a pas tiré une
seule fois. Après la guerre, il a dédié entièrement sa production littéraire à
un but : confronter le passé, c'est-à-dire le nazisme, la guerre et
l'holocauste, et lutter contre la réapparition de tels maux.
La diffamation sans pudeur et l'agressivité de la campagne par
toutes les publications médiatiques majeures en Allemagne rappellent la presse
pro-guerre durant la Première Guerre mondiale et les incitations à la violence
par les nationalistes et les fascistes contre les cercles pacifistes et les
écrivains comme Erich Maria Remarque, Kurt Tucholsky, Carl von Ossietzky et
Erwin Piscator.
Pour de telles forces, il n'y a pas de mensonge trop gros et
pas de calomnie trop ignoble.
Grass, dans son poème, énumère plusieurs vérités quant aux plans
de guerre américains et israéliens. Il accuse le gouvernement israélien de se
donner le droit de déclencher des « frappes préventives » contre un
pays qui construirait prétendument une bombe nucléaire, sans que personne en
ait la preuve. Il note qu'Israël a « une capacité nucléaire
grandissante » qu'il garde secrète et qui est « hors de
contrôle » parce qu'elle est « isolée de toute surveillance ».
Grass critique les politiques cyniques du gouvernement
allemand, qui a livré « un autre U-boat à Israël » qui a la capacité
de tirer « tout type d'ogive destructrice ». Le gouvernement justifie
cyniquement son approvisionnement d'armes à Israël, note-t-il, en le présentant
comme une réparation des crimes commis par l'Allemagne dans le passé.
Grass poursuit en déclarant franchement que « la
puissance nucléaire d'Israël met en danger une paix mondiale déjà
fragile ». Il parle du passé allemand, décrivant un « pays dont le
passé de crimes est sans comparaison ». Sa critique est dirigée, insiste-t-il,
contre le gouvernement israélien et non contre Israël même, « un pays
auquel je suis et resterai attaché ».
Le gouvernement israélien du premier ministre Benjamin
Netanyahou a immédiatement confirmé sa nature agressive et antidémocratique en
déclarant Grass persona non grata et en lui interdisant l'entrée au pays.
Ni les mesures antidémocratiques du gouvernement d'Israël ni
la chasse aux sorcières des médias et des personnalités politiques ne peuvent
changer la vérité des affirmations de Grass. Israël n'a pas signé le Traité de
non-prolifération nucléaire et maintient un arsenal illégal d'armes nucléaires
depuis des décennies. Le gouvernement allemand a appuyé cette politique
criminelle, plus récemment en livrant 6 U-boats capables de lancer des ogives
nucléaires.
Quant à l'Iran, il a signé le Traité de non-prolifération
nucléaire et a permis à l'Agence internationale de l'énergie atomique de
réaliser des inspections régulières de son programme de recherche et de ses
établissements nucléaires. L'Iran a fait cela malgré le fait qu'il n'y a
absolument pas de preuve présentée pour montrer que l'Iran utilise ses
établissements nucléaires à des fins militaires.
En plus des menaces militaires et des attaques diplomatiques
et économiques, les États-Unis et Israël ont, pendant des années, effectué des
opérations secrètes, dont des attaques terroristes, contre l'Iran. Cinq
scientifiques nucléaires iraniens ont été assassinés, des drones-espions volent
régulièrement au-dessus de l'Iran et des explosifs et des cyber-attaques ont
été employés pour saboter les établissements industriels dans le pays.
Aucun de ces faits n'est mentionné dans les journaux
allemands. Plutôt, ils ne font que répéter la propagande américaine, de l'Union
européenne et d'Israël selon laquelle l'Iran « aura très bientôt des armes
nucléaires et les utilisera contre Israël », un choeur unanime que Grass,
de manière très juste, désigne comme quelque chose à laquelle on pourrait
s'attendre des médias dans une dictature.
Comme dans toute diffamation, il n'y a pas de tentative
sérieuse pour appuyer les accusations d'antisémitisme contre Grass. Plutôt, la
critique de la politique d'Israël est, de manière démagogique, associée à la
haine des Juifs.
La campagne diffamatoire contre Grass vise à couvrir les
vraies raisons des préparatifs de guerre. Elles n'ont pas plus à voir avec la
prétendue tentative de l'Iran d'acquérir des armes nucléaires que la campagne
de guerre contre l'Irak avait à voir avec les prétendues armes de destruction
massive du pays ou ses liens avec Al-Qaïda. Une fois de plus, des mensonges
sont utilisés pour camoufler une tentative de maintenir la domination militaire
des États-Unis et de son principal allié du Moyen-Orient, Israël, sur une
région stratégique et sur de vastes ressources énergétiques.
Le caractère brutal et coordonné de la chasse aux sorcières
contre Grass indique que la classe dirigeante en Allemagne a décidé d'appuyer
une guerre contre l'Iran. Il y a certainement des inquiétudes à Berlin quant à
la possibilité d'une hégémonie militaire américaine dans la région, qui se sont
reflétées dans les réserves initiales de l'Allemagne face à la guerre de l'OTAN
contre la Lybie. Mais précisément parce que l'impérialisme allemand n'est pas
prêt à céder le contrôle du Moyen-Orient aux États-Unis ou aux rivaux européens
de l'Allemagne, comme la France et la Grande-Bretagne, il sent qu'il doit
participer au viol de l'Iran.
L'attaque cinglante du ministre des Affaires étrangères
allemand, Guido Westerwelle, contre Grass suggère que le gouvernement allemand
est déterminé à être de la partie dès le début de la prochaine guerre
impérialiste - contre l'Iran. Berlin voit l'accélération d'une agression contre
la Syrie comme un prélude bienvenu à une opération plus importante à venir.
Des personnalités importantes de tous les partis de
l'establishment politique allemand - le syndicat des chrétiens-démocrates, les
démocrates libres, le Parti social-démocrate, les Verts, le parti La Gauche -
ont tous participé à la vendetta contre Grass, démontrant qu'il y de l'appui
pour une nouvelle guerre impérialiste dans tout le spectre politique officiel,
y compris dans la « gauche ».
C'est cette campagne qui pose une réelle menace, autant pour
le peuple iranien que pour la population juive en Israël, et non Günter Grass.
Tous ceux qui s'opposent à une guerre contre le Moyen-Orient
et la menace grandissante d'une nouvelle guerre mondiale doivent défendre
Günter Grass et s'opposer aux militaristes à Berlin, Washington, Tel-Aviv ainsi
qu'à leurs valets des médias.