Un quotidien de la ville de Québec, Le Soleil, a
publié sur son site Internet le 12 avril dernier le commentaire d'un haut
fonctionnaire du gouvernement québécois qui appelait ouvertement à la violence
contre les étudiants en donnant comme exemple les « mouvements
fascistes » des « années 1920 et 1930 ».
Bernard Guay, l'auteur du commentaire qui était présenté au
bas du texte comme un « militant anti-grèves de longue date », est un
haut fonctionnaire à la Direction générale de la
fiscalité du ministère des Affaires municipales. Dans sa diatribe, Guay exprime
son mépris pour la grève étudiante qu'il qualifie de « ruineuse et
antisociale » et appelle ouvertement à la violence en citant avec
approbation les actions des milices fascistes du siècle dernier.
Il écrit qu'« il faut s'organiser pour reconquérir
le terrain. Dans les années 1920 et 1930, c'est ce qu'ont fait les mouvements
fascistes, en appliquant aux gauchistes leur propre médecine. Ceux-ci en ont
gardé un souvenir si cuisant que, trois quarts de siècle plus tard, ils
s'acharnent encore à démoniser cette réaction de salubrité politique. »
Autrement
dit, l'intimidation, la répression violente et l'assassinat des travailleurs,
des jeunes et des intellectuels opposés au programme antisocial des élites sont
pour Guay un modèle de « salubrité politique » qui devrait être
appliqué au mouvement étudiant actuel. Nous parlons ici d'une idéologie
associée dans la conscience de millions de personnes aux nazis d'Hitler et à
l'holocauste.
Suite à la réaction de nombreux lecteurs, le
commentaire a été retiré et des excuses ont été publiées par le directeur de l'éditorial
du Soleil, Pierre-Paul Noreau. L'explication officielle qui a été donnée est
que le comité de rédaction avait fait une lecture « manifestement trop
rapide » de la lettre, sans remarquer que cela constituait une
« incitation à la violence ».
Cela n'est tout simplement pas crédible.
Le directeur éditorial du Soleil, tout en
condamnant les propos de Guay, a cherché à en minimiser le caractère fasciste.
« La marge est quelquefois mince entre la liberté d'expression et l'abus
de celle-ci », écrit Noreau. « Sur quoi Le Soleil doit-il être
jugé dans ce difficile débat autour de la hausse des droits de scolarité ?
Sur cette erreur avouée et corrigée le plus rapidement possible ou sur
l'ensemble de sa couverture journalistique ? », ajoute-t-il.
Il est en fait beaucoup plus probable que le comité de
rédaction était d'avis que ce commentaire de Bernard Guay était légitime et
méritait d'être publié. Le Soleil, rappelons-le, est la propriété du
groupe de presse Gesca, une filiale de Power Corporation appartenant à la
richissime famille Desmarais.
Noreau est loin d'être honnête quand il dit
qu'« il est bien évident que jamais Le Soleil ne cautionnera une
incitation à la violence ». Au contraire, c'est ce que cherchent à faire
les médias depuis le début de la grève étudiante en fournissant des prétextes
pour l'intervention brutale de la police anti-émeutes.
Des actes isolés de vandalisme, causés prétendument
par des étudiants en grève, sont utilisés par l'élite dirigeante et ses médias
pour dépeindre les étudiants comme une bande de « casseurs » et
certains commentateurs les plus à droite, comme le chroniqueur Éric Duhaime du Journal
de Montréal, n'hésitent pas à comparer la lutte étudiante à une « forme
de terrorisme ». Au même moment, les policiers ont le champ libre pour
exercer une répression systématique.
Peu de cas est fait des étudiants battus, incommodés
par les gaz lacrymogènes et le poivre de Cayenne, ou même sérieusement blessés
(un étudiant a en effet perdu l'usage d'un oil suite à l'explosion d'une
grenade assourdissante).
En fait la violence envers les étudiants est
cautionnée au plus haut niveau, en commençant par le gouvernement lui-même.
Tout au long du conflit, la ministre de l'Éducation Line Beauchamp a demandé
aux administrations des universités et des cégeps de défier les mandats et les
piquets de grève et de forcer le retour en classe, rendant les affrontements
pratiquement inévitables. Par les nombreuses injonctions des tribunaux et
l'omniprésence des forces policières, le gouvernement criminalise le mouvement
de grève et fait ultimement respecter ses politiques impopulaires par la
matraque.
Le chroniqueur Alain Dubuc de La Presse, le
quotidien le plus influent de la province et également une propriété des
Desmarais, avait appelé le gouvernement Charest à défier la volonté populaire
tandis qu'il s'apprêtait à réduire les services publics et à taxer davantage
les travailleurs en 2009. « Diriger, avait écrit
Dubuc, c'est d'abord et avant tout faire des choix et décider, même si cela est
impopulaire ».
Les étudiants et les travailleurs doivent prendre
garde. La publication d'une diatribe fasciste dans un journal de
l'establishment est un avertissement qu'il y a de moins en moins d'appui au
sein de l'élite dirigeante pour les principes démocratiques les plus
fondamentaux.
Alors que les inégalités sociales vont en
s'accroissant, la classe dirigeante est encline à avoir recours à la violence
et à des mesures dignes d'un État policier pour imposer ses politiques
impopulaires. Seul un puissant mouvement de la classe ouvrière, voué à
l'égalité sociale et à la défense des droits démocratiques, peut repousser
cette menace.