Les protestations sous le slogan « Occupy Wall Street », qui sont à
présent dans leur troisième semaine, ont trouvé un large écho partout aux
Etats-Unis avec des occupations identiques se développant à Boston, Chicago,
Los Angeles ainsi que dans d’autres villes à travers tout le pays
Les manifestants et leurs revendications pour l’égalité sociale ont
exprimé l’hostilité croissante de millions de personnes à l’encontre du
capitalisme, des banques et des grandes entreprises, ainsi que le besoin
brûlant d’emplois, d’un niveau de vie décent et de la garantie d’un accès
aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres besoins sociaux de base.
L’accroissement du mouvement provoque une inquiétude grandissante au sein
des cercles dirigeants américains. Cette préoccupation s'est exprimée mardi
dans un article du chroniqueur financier du New York Times, Andrew
Ross Sorkin, qui a cité un PDG de Wall Street craignant pour sa « sécurité
personnelle » en prévenant que les protestations constituaient « un coup de
semonce pour le genre de troubles sociaux susceptibles de voir le jour –
comme nous avons pu l’observer dans certains pays européens – si notre
économie continue d’avoir des difficultés. »
Ce ne sont pas les banquiers qui ont à craindre pour leur sécurité
personnelle, mais bien plutôt les manifestants qui sont constamment soumis à
la brutalité policière et à des arrestations de masse lorsqu'ils exercent
leur droit à la liberté d’expression.
Néanmoins, l’avertissement de Sorkin concernant les troubles sociaux est
entièrement justifié. Ceux-ci figurent parmi les premières protestations
sociales importantes ayant lieu aux Etats-Unis depuis plus de 30 ans. La
plupart des participants aux occupations n’ont jamais connu de toute leur
vie des luttes significatives pour un changement social. En survenant dans
la foulée des manifestations de masse à Wisconsin en février dernier, elles
indiquent la réémergence d’une lutte de classe ouverte aux Etats-Unis,
centre du capitalisme mondial.
De telles luttes ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont provoquées
par les puissantes contradictions inhérentes au système capitaliste mondial
qui, il y a trois ans après l’effondrement de Lehman Brothers, a produit des
niveaux de chômage catastrophiques et une aggravation de la pauvreté pour
des millions de gens tandis que ceux au sommet de l’échelle continuent
d’accumuler des niveaux de richesses obscènes.
Qu’est-ce qui a pendant si longtemps empêché de telles luttes aux
Etats-Unis ? Depuis la fin des années 1970, un transfert constant et de plus
en plus rapide de la richesse sociale s'est produit passant de la masse des
travailleurs vers l’oligarchie financière, le 1 pour cent au sommet. Depuis
la grève en 1981 des contrôleurs aériens, PATCO, l’opposition de la classe
ouvrière contre ce processus a systématiquement été trahie par les syndicats
qui se sont de plus en plus intégrés dans les organisations patronales, le
gouvernement et le Parti démocrate.
Nulle part on n'en voit les résultats plus clairement qu’à New York City.
Là, 50 pour cent du revenu total va au 1 pour cent au sommet, soit 90.000
ménages disposant d’un revenu annuel moyen de 3,7 millions de dollars. Cette
couche d’ultra riches engrange davantage, en une seule journée, que ce que
gagne, durant une année entière, le un million de personnes les plus pauvres
de la ville.
La lutte contre l’inégalité sociale et le système capitaliste dans lequel
elle est enracinée est avant tout une lutte politique. Comment pourrait-il
en être autrement lorsque les questions qui sont en jeu sont la distribution
de la richesse et la pauvreté dans la société ? Ceux qui participent à
« Occupy Wall Street » et qui veulent faire avancer les protestations sont
confrontés à de sérieux défis et décisions politiques.
Au fur et à mesure que ce mouvement se développe, il court le risque,
comme cela a souvent été le cas avec toutes les formes de protestation en
Amérique, d’être canalisé sous l’emprise du Parti démocrate. Ce fut le cas
des manifestations anti-guerre qui avaient débuté sous le gouvernement Bush,
elles ont été réglementées par le calendrier électoral pour finalement être
liquidées avec l’entrée d’Obama à la Maison Blanche d'où il poursuit et
élargit les guerres de Bush.
Dans sa couverture des manifestations anti-Wall Street, le New York
Times cite le professeur de l’université de Georgetown de Washington,
Michael Kazin, disant, « Fulminer des critiques basées sur le mécontentement
est la première étape de tout mouvement. » Kazin poursuit en précisant que
pour que les protestations se transforment en un « mouvement durable » il
est nécessaire que « les passions nouvellement déchaînées soient canalisées
vers des institutions et façonnées en objectifs politiques. »
Il ne fait pas de doute que les « institutions » auxquelles il pense sont
celles affiliées au Parti démocrate et à l’establishment politique.
Dans ce but précis, on a assisté à un pèlerinage auprès des protestations
anti-Wall Street d’un nombre de groupes de partisans de moins en moins
fiables dont l’ancien vice-président de la Banque mondiale, Joseph Stiglitz,
qui a assuré aux protestataires que le problème n’était pas le capitalisme
mais une « économie déformée », le milliardaire financier George Soros qui a
exprimé sa sympathie aux manifestants de Wall Street. C’est comme si, la
reine de France Marie-Antoinette (celle-là même à qui on attribue la fameuse
phrase « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche »), avait
décidé de faire une visite de courtoisie en offrant des pâtisseries aux
manifestants devant la Bastille.
Leur principale crainte est que les protestations concernant les
conditions créées par la crise du système capitaliste ne se cristallisent en
un mouvement doté d’un programme anticapitaliste.
Cette crainte est partagée par le groupe de syndicats qui participent
aujourd’hui mercredi au défilé allant du City Hall jusqu’au lieu des
protestations au Zuccotti Park. Ces syndicats cachent le fait que loin de
mener leur propre lutte contre Wall Street, ils collaborent activement pour
imposer les mesures d’austérité exigées par le capital financier à
l’encontre de leurs propres membres et de la classe ouvrière en général.
C’est ainsi par exemple que le plus important syndicat à soutenir les
protestations, le syndicat local 1199-SEIU, a rejoint en début d’année les
membres du Medical Redesign Team du gouverneur Cuomo en appuyant les
recommandations de ce dernier en faveur de coupes drastiques dans le
financement des soins de santé qui ont entraîné des licenciements et des
attaques contre Medicare. D’autres ont perpétré des trahisons identiques.
Si les bureaucrates syndicaux soutiennent les protestations de Wall
Street ce n’est pas pour rejoindre une lutte quelconque mais plutôt pour
l’étouffer et en faire un instrument au service du Parti démocrate et de la
campagne de réélection d’Obama.
Les questions soulevées par les protestations de Wall Street requièrent
une lutte contre le système capitaliste.
Cette lutte nécessite avant tout que l’on se tourne vers la classe
ouvrière en mobilisant indépendamment sa force contre les parasites
financiers qui ont pillé l’ensemble de la société. Ceci signifie la
construction de nouvelles organisations sur les lieux de travail, dans les
quartiers et dans les établissements scolaires.
Le point de départ politique de cette lutte est une rupture avec les
partis du patronat, tant les Démocrates que les Républicains. La classe
ouvrière doit unir à elle tous les opprimés – les travailleurs, les
étudiants, les jeunes, les chômeurs, les personnes âgées – dans la
construction d’un nouveau parti politique fondé sur un programme socialiste.
La revendication d’un programme d’urgence de travaux publics devra en
faire partie afin de fournir un emploi pour tous, dans des travaux
indispensables pour la reconstruction des écoles, des hôpitaux, des
logements et de l’infrastructure dans le but d’améliorer les conditions de
vie des travailleurs.
Le droit à un revenu décent, à des soins de santé de qualité, à
l’éducation, à un logement décent et abordable ainsi qu’à d’autres besoins
sociaux doit être garanti pour tous par le biais d’une réorganisation
fondamentale de la société et une redistribution des richesses.
La population laborieuse aux Etats-Unis comme partout dans le monde, ne
peut pas compter sur le système capitaliste. La seule alternative viable est
la réorganisation socialiste de la société, en socialisant les banques et
les grandes entreprises qui dominent l’économie américaine et mondiale, en
les plaçant sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière afin de
satisfaire les besoins sociaux au lieu des profits privés.
Tout comme en Egypte, en Grèce et ailleurs la population laborieuse aux
Etats-Unis est plongée dans de nouvelles luttes provoquées par la crise du
système capitaliste. Tout comme les manifestants de Wall Street, la classe
ouvrière s’engage dans ces luttes sans disposer du programme politique, des
organisations et de la direction qui sont indispensables pour que ces luttes
soient victorieuses. Seul le Parti de l’Egalité socialiste (Socialist
Equality Party, SEP) et le World Socialist Web Site travaillent sur
une base internationale à la construction de l’alternative révolutionnaire
qui est requise.
(Article original paru le 5 octobre 2011)