« Durant
plusieurs semaines, on a assisté à un procès en suspicion mené, de
différents côtés, contre Nafissatou Diallo en s’appuyant sur son passé.
C’est cette entreprise de décrédibilisation sur laquelle s’appuie la
décision du juge » d’abandonner les chefs d’accusation contre Strauss-Kahn.
En fait, si le juge a mis fin au procès contre Strauss-Kahn, c’est que le
procureur new-yorkais Cyrus Vance a dû avouer que les témoignages de Diallo,
sur lesquels il comptait fonder ses arguments, étaient faux. Elle avait
menti sur ses agissements le jour où elle a accusé DSK de viol, ainsi que
sur un viol qu’elle avait dit avoir subi en Guinée. Elle a également reçu
d’importantes sommes d’argent envoyées par un petit ami actuellement en
prison pour trafic de drogue.
C’est ainsi sur des bases complètement fausses que Strauss-Kahn a été
publiquement humilié, et sa carrière politique détruite. Après la plainte
déposée contre lui le jour même, Strauss-Kahn a été débarqué de son avion et
paradé en menottes—ce qui l'a contraint à abandonner la présidence du Fonds
Monétaire International (FMI) et sa candidature éventuelle à l’élection
présidentielle française de 2012.
Il ne s’agit pas ici d’avoir une quelconque sympathie politique pour
Strauss-Kahn, qui a mené en tant que chef du FMI une politique réactionnaire
d’austérité sociale, soutenue par le PS et la bourgeoisie internationale.
Mais il faut être aveugle pour ne pas reconnaître le danger posé par le
comportement anti-démocratique des médias et de l’Etat, qui s’arrogent le
droit de détruire publiquement et sans preuves une personnalité politique
sur une question de mœurs.
Hayes continue : « Mais l’essentiel est ailleurs. Toute l’affaire est une
leçon de choses, du point de vue du rapport de domination exercé par les
hommes sur les femmes ».
Le NPA ne s’inquiète pas que les médias et le système judiciaire
ont démontré dans l’affaire Strauss-Kahn leur capacité de détruire la
réputation d’une personnalité publique sans preuves crédibles--même quand
l’accusé a, comme Strauss-Kahn, d’énormes ressources financières pour se
défendre. La question est présentée d’une manière fausse et réactionnaire,
comme faisant partie d’un affrontement généralisé entre les hommes dominants
et les femmes victimes. Cette manière petite-bourgeoise et réductrice de
voir les questions complexes soulevées par l’affaire Strauss-Kahn n’a rien à
voir avec le marxisme.
Le fait non négligeable que Strauss-Kahn n’ait pas été déclaré coupable
de viol n’entre même pas dans les calculs du NPA.
La presse américaine a publié des tracts hystériques pour salir
Strauss-Kahn, auxquels les milieux féministes français ont fait écho. Ainsi
dans le New York Times, Maureen Dowd écrivait : «C’est ce que désire
toute jeune veuve, pieuse, travailleuse qui s'échine à faire des petits
boulots dans un hôtel de Times Square afin d’élever seule sa fille
adolescente, justifier de son statut d’immigrée et profiter des opportunités
offertes par l’Amérique – un vieux satyre ridé, en rut et pris de folie, qui
se précipite nu de sa salle de bains, fonce sur elle et la traîne dans la
chambre, à la manière d’un homme des cavernes ».Cet article se fondait
uniquement sur l’imagination sombre du journaliste.
Ainsi la relaxe de DSK a mis en colère certains milieux féministes dans
le NPA, convaincus par la propagande anti-DSK dans la presse bourgeoise
américaine et française. Cette indifférence aux questions de droits
démocratiques et ce manque d’indépendance vis-à-vis de la presse bourgeoise
est caractéristique de la politique du NPA, et plus largement de toutes les
sections de la petite-bourgeoisie ex-radicale en France.
Ceux-ci ne s’intéressent même pas aux enjeux politiques et financiers
considérables liés au torpillage de Strauss-Kahn. Son remplacement à la tête
du FMI par Christine Lagarde, personnalité plus marquée à droite dans les
milieux bourgeois français, a aidé les banques à imposer encore un « plan de
sauvetage » pour piller la Grèce sans réduire sa dette—une mesure à laquelle
Strauss-Kahn s’était opposé. Le président sortant Nicolas Sarkozy voyait
aussi dans Strauss-Kahn son rival le plus menaçant pour les élections de
2012.
Aucune de ces questions n’est abordée, ni même sérieusement envisagée,
par Hayes dans son analyse de l’affaire Strauss-Kahn.
Au-delà de l’affaire DSK, le NPA adopte sur toutes les questions
sérieuses un point de vue borné, répondant aux besoins politiques de la
bourgeoisie et aux humeurs d’une couche droitière de la petite bourgeoisie.
Ainsi le NPA a avalé sans broncher le mensonge que la guerre de l’OTAN en
Libye est une guerre « humanitaire » ou même « révolutionnaire ». De même,
lors des grèves pétrolières de 2010 en France, il a fait écho à l’ordre de
Bernard Thibault et de la CGT qu’il ne devait y avoir au plus qu’une
opposition « ludique » ou « symbolique » à la décision de Sarkozy de briser
les occupations des raffineries.
Selon les arguments anti-démocratiques du NPA sur l’affaire Strauss-Kahn,
une analyse sérieuse des faits constitue même un obstacle à une bonne
procédure, qui doit surtout servir à empêcher l’accusé de se défendre en
discréditant les témoignages contre lui.
Ce qu’Ingrid Hayes confirme dans l’article « Affaire DSK : aux côtés de
toutes les femmes victimes de violence » paru le 21 septembre dans l’Hebdo
Tout est à nous. L’article explique : « En effet, ce qui a été établi de
la vie de Nafissatou Diallo avant les faits, les contradictions de ses
témoignages, constituent un opportun paravent derrière lequel s’abriter. ».
Cette position signifie que les mensonges de Diallo, révélés en détail
par le procureur de New York (« Faux témoignage de viol, » « Faux témoignage
sous serment, » « Nombreuses fausses déclarations complémentaires »)ne
doivent pas être pris en compte. Par contre, des accusations sans
crédibilité contre Strauss-Kahn doivent faire en sorte qu’il passe en
justice.
Le NPA n’a pas l’air de connaître le sens de l’expression « présomption
d’innocence ».
La logique d’une pareille argumentation est profondément réactionnaire :
Toute personne accusée de viol doit faire l’objet d’un procès, quelle que
soit la crédibilité des preuves contre elle. Ainsi la réputation de
n’importe quelle personne doit obligatoirement être à la merci de la bonne
foi de n’importe quelle accusatrice. C’est non seulement une profonde
attaque contre les droits démocratiques, mais un procédé qui touchera
principalement ceux qui, à la différence de Strauss-Kahn, n’ont pas les
moyens financiers de se défendre.