Les possibilités que la crise mondiale de l'emploi se
prolonge ne cessent de croître, selon un nouveau rapport publié conjointement
par le Bureau international du Travail (BIT) et l'Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE).
Publié juste avant une réunion de deux jours des ministres
du Travail du Groupe des 20 (le G20 réunissant les 20 plus grandes puissances
économiques) à Paris, le rapport avertit que le chômage ne cesse de croître
dans les pays avancés et émergents du groupe, alors que l'activité économique
ne cesse de ralentir. Le rapport note que dans les économies du G20 « la
reprise semble presque s'être arrêtée ».
« Nous sommes très préoccupés par ce que nous voyons
dans les chiffres, a déclaré en conférence de presse Stefano Scarpetta, le chef
de l'OCDE responsable de l'analyse de l'emploi. L'emploi et les politiques
sociales devraient être au centre de la réponse politique à la situation
actuelle », a-t-il poursuivi.
Le rapport conjoint du BIT et de l'OCDE note que la
croissance de l'emploi au sein du G20 est déjà insuffisante pour compenser les
20 millions d'emplois détruits depuis la récession qui a débuté en 2008.
« Si l'emploi croît à un taux de 0,8 pour cent jusqu'à la fin de 2012, met
en garde le document, alors le déficit en matière d'emploi devrait augmenter de
quelque 20 millions de chômeurs de plus pour atteindre un total de 40 millions
d'emplois perdus dans les pays du G20. »
Le rapport prévient que la crise croissante de l'emploi exercera une
pression sur l'économie en abaissant les dépenses à la consommation, en plus
d'exacerber les tensions sociales. « La situation est inhabituelle, a
indiqué Scarpetta. Nous faisons face à une situation où les tensions sociales
vont aller en augmentant. C'est une question pour le G20 puisque la montée des
tensions sociales dans un pays a des implications dans les autres. »
Trois ans après l'effondrement économique, le chômage reste élevé dans tout
le G20, les taux dans la plupart des pays ne s'améliorant que d'une fraction de
point de pourcentage ou continuant à augmenter. Depuis le début de la
récession, les taux de chômage de trois pays - Espagne, Royaume-Uni et
États-Unis - ont augmenté de plus de 50 pour cent.
En ce moment, l'Afrique du Sud présente le plus haut taux de chômage
officiel au sein du G20, avec un impressionnant 25,7 %, suivie de près par
l'Espagne, avec 21,2 % de chômeurs. Le document fait état d'un taux de chômage
de 9,1 % aux États-Unis pour août 2011, soit une baisse de seulement 0,5 %
au cours de la dernière année. La crise de l'emploi dans ces trois pays en
particulier s'est accompagnée d'une forte baisse du PIB.
Les secteurs économiques les plus touchés par la crise mondiale varient d'un
pays du G20 à l'autre, mais l'emploi dans le secteur de la construction a été
particulièrement touché. De plus, la plupart des économies avancées ont subi de
grandes pertes d'emplois dans le secteur manufacturier. Le Canada, les États-Unis,
la France, l'Espagne et l'Union européenne dans son ensemble ont tous vu des
baisses de 5 % et plus dans les emplois du secteur manufacturier.
Alors que la crise de l'emploi s'enracine toujours plus, le nombre de
chômeurs de longue durée augmente fortement. Dès le premier trimestre de 2011,
un tiers ou plus des chômeurs étaient sans emploi depuis plus d'un an en France
(40,5 %), en Allemagne (47,3 %), en Italie (50 %), au Japon
(50,2 %), en Afrique du Sud (68,3 %) et en Espagne (40,5 %).
L'incidence du chômage de longue durée a augmenté le plus fortement au
Canada, en Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Au début de 2011, le
nombre de chômeurs de longue durée aux Etats-Unis a triplé, atteignant du coup
un sommet historique.
Dans tous ces pays, la croissance du nombre de chômeurs de longue durée
s'est accompagnée d'un assaut contre les programmes sociaux dont dépendent les
chômeurs et leurs familles. Le rapport met en garde contre les « graves
coûts sociaux liés au chômage de longue durée, car celui-ci présente un risque
accru de problèmes de pauvreté, de santé et d'échec scolaire pour les enfants
des personnes concernées ».
Le nombre de personnes sous-employées - c'est-à-dire voulant travailler des
heures supplémentaires et ayant la disponibilité pour le faire - a fortement
augmenté par rapport aux détenteurs d'emploi. En Espagne, en Indonésie et dans
certaines zones urbaines de l'Argentine, 10 % ou plus des effectifs totaux
de la classe ouvrière en 2010 étaient composés de travailleurs involontairement
à temps partiel, c'est-à-dire des personnes employées à temps partiel voulant
et ayant besoin d'un emploi à temps plein. Ces travailleurs sont à risque accru
de pauvreté.
Les jeunes ont été les plus durement touchés par la crise économique
mondiale et le rapport note une forte hausse du chômage parmi eux. Dans tous
les pays du G20, le taux de chômage des jeunes est deux ou trois fois plus
élevé que celui des adultes, en plus d'avoir augmenté durant la crise. Le taux
de chômage officiel de la jeunesse espagnole a plus que doublé, passant à près
de 45 %. Plus de la moitié de tous les jeunes sud-africains sont sans
emploi.
Le rapport note le phénomène croissant de jeunes n'étant pas aux études,
n'occupant pas d'emploi ou ne suivant aucune formation - le soi-disant groupe
des « NEET ». En nombre croissant, ces jeunes n'ont jamais réussi à
percer sur le marché du travail, et font face à la perspective d'une vie de
chômage et de pauvreté détruisant leur capacité à fonder un ménage et élever
une famille.
À part les jeunes, les autres sections de la population les plus durement
touchées par la crise de l'emploi comprennent les personnes peu qualifiées, les
travailleurs temporaires et les immigrants. Dans tous les pays du G20, les
femmes en âge de travailler connaissent un taux de chômage supérieur à celui
des hommes. Les travailleurs âgés sont aussi nettement sous-représentés dans
les effectifs au travail.
Dans les pays émergents du G20, le rapport note une incidence élevée de
l'emploi temporaire et occasionnel, ainsi que du nombre de travailleurs
employés dans le secteur dit informel. Ainsi, en Argentine, au Mexique et en
Inde, plus de la moitié de la main-d'ouvre non agricole est employée dans le
secteur informel.
La crise de l'emploi s'est accompagnée d'une inégalité croissante des
revenus. À l'exception du Japon et de la France, les revenus des 10 % les
mieux payés ont augmenté par rapport à ceux des 10 % des travailleurs
rémunérés les plus pauvres. Un certain nombre de facteurs contribue à cela,
selon le rapport, notamment des primes versées aux travailleurs techniques
qualifiés et le « déclin en force des syndicats et de la négociation
collective ».
Le document souligne également la « mondialisation du secteur financier
avec ses pratiques de rémunération très spécifiques », c'est-à-dire les
rangs des spéculateurs super riches qui ont profité de la crise alors que la
majorité de la population mondiale a été plongée encore plus profondément dans
le chômage et pauvreté.
« Au-delà d'un certain seuil, poursuit le rapport sur un ton
inquiétant, les niveaux d'inégalités de revenu génèrent des effets négatifs qui
peuvent nuire à la cohésion sociale et au rendement économique ». En
langage décodé, cela signifie que les fléaux de plus en plus importants du
chômage et des inégalités sociales risquent de provoquer des explosions
sociales comme les récentes émeutes au Royaume-Uni.
Les gouvernements des pays du G20 et d'ailleurs répondent à la crise de
l'emploi par des attaques croissantes contre les programmes sociaux et en
imposant des mesures d'austérité profondes. Aux États-Unis, pays comptant 26
millions de chômeurs, les sociétés sont assises sur plus de 2 billions de
dollars en trésorerie, somme obtenue par la réduction des effectifs, les
compressions salariales et l'augmentation de la productivité. Le monde
corporatiste américain pratique ce qui équivaut à une grève de
l'investissement, soumettant le pays au chantage dans un effort pour arracher
des concessions toujours plus grandes des travailleurs et obtenir des attaques
toujours plus importantes contre les programmes sociaux.
Les données fournies dans le rapport conjoint du BIT et de
l'OCDE soulignent le fait que trois ans après l'apparition de la crise
économique mondiale, aucune des contradictions exposées n'a été résolue.
L'actuelle crise de l'euro, la forte contraction de l'économie qui sévit dans
le monde entier, et la croissance du chômage qui l'accompagne soulignent toute
l'incapacité du système capitaliste à résoudre sa crise sans recourir à la
dictature et à la guerre.