L'Organisation internationale du travail (OIT), une agence des Nations
unies, a publié un rapport lundi soulignant la situation désastreuse des
emplois dans le monde et le « cercle vicieux » qui entraîne l'économie
mondiale dans une nouvelle récession.
« Les prochains mois seront cruciaux pour empêcher une baisse dramatique
de l'emploi et une autre intensification importante des troubles sociaux »,
a souligné l'éditorial d'introduction au World of Work report, publié avant
la tenue d'une réunion du G20.
En plus de documenter la situation de l'emploi qui affecte tant les pays
avancés que ceux « en développement », le rapport trace un portrait
accablant du capitalisme mondial moderne : la croissance de la
financiarisation, la réduction des taxes sur les riches et les sociétés et
l'effondrement de la part du revenu allant à la classe ouvrière.
Trois ans après le krach de 2008, « la croissance économique dans les
grandes économies avancées est au point mort et certains pays sont de
nouveau en récession, surtout en Europe », note l'OIT. « La croissance
diminue aussi dans d'importants pays émergents et en développement. »
La grande majorité des pays dits économiquement avancés – surtout les
États-Unis et l'Europe – a subi une baisse dans la croissance de l'embauche
au dernier trimestre et plus de la moitié de ces pays a vu son nombre
d'emplois diminuer. De plus, environ la moitié des pays dits « émergents ou
en développement », dont la Russie et le Mexique, a aussi vu son nombre
d'emplois diminuer.
Il y a aujourd'hui 13 millions d'emplois de moins dans les pays avancés
qu'en 2007. Plus de la moitié de ces pertes sont survenues aux États-Unis
(6,7 millions d'emplois de perdus) et en Espagne (2,3 millions d'emplois de
perdus). En tenant compte de la croissance de la main-d'oeuvre, il faudrait
créer 27 millions d'emplois dans les pays avancés, et 80 millions
mondialement, au cours des deux prochaines années pour réduire les taux de
chômage à ce qu'ils étaient avant la crise.
La situation de l'emploi est particulièrement sombre pour la jeunesse, et
cela est vrai presque partout dans le monde. « Parmi les pays dont les
statistiques récentes sont disponibles, plus d'un jeune sur cinq [de 15 à 24
ans], soit 20 pour cent, était sans emploi au premier trimestre de 2011, par
rapport à un taux de chômage global de 9,6 pour cent. »
Selon les prévisions de l'OIT, qui sont basées sur la supposition qu'il
n'y aura pas une autre baisse marquée dans la croissance économique
mondiale, on anticipe que le taux de chômage global des pays avancés ne va
revenir à son état d'avant la crise que bien après 2016.
Prévisions du taux d'emploi pour les économies avancées (OIT)
Les possibilités d'une reprise dans l'emploi et la croissance économique
sont minées par plusieurs facteurs, dont une nouvelle crise financière en
Europe et un tournant vers l'austérité par les gouvernements à travers le
monde. La baisse marquée des salaires pour les travailleurs, notamment dans
les pays avancés, entraîne une chute dans la consommation.
« Bref, écrit l'OIT, il se développe un cercle vicieux où une économie
affaiblie affecte les emplois et la société, ce qui entraîne une réduction
des investissements réels et de la consommation, donc un ralentissement de
l'économie, et ainsi de suite. »
Toute perspective d'un retour à la croissance est aussi minée par la
montée de conflits nationaux de plus en plus acerbes entre les puissances
capitalistes. « Tandis qu'en 2008-09 on tentait de coordonner certaines
politiques, surtout parmi les pays du G20, il semble aujourd'hui que les
pays agissent chacun de leur côté », affirme le rapport.
L’OIT espère que les gouvernements instaureront des programmes de
création d’emploi afin de résoudre la crise. Toutefois, l’impossibilité que
cela se produise est soulignée par le fait que le rapport cite les
États-Unis comme le seul pays avancé à mettre de l’avant un « plan national
pour l’emploi ». En fait, la proposition de l’administration Obama, même si
elle était concrétisée dans sa totalité, ne serait qu’une goutte d’eau dans
l’océan. Depuis son annonce en septembre, elle a déjà été revue à la baisse
de façon significative. Peu importe la proposition adoptée, elle consistera
largement en une réduction d’impôts pour les sociétés.
La crise économique produit, comme il fallait s’y attendre, une forte
augmentation de la grogne populaire. L’année 2011 a déjà été marquée par une
intensification significative de la lutte de classe, en commençant par les
soulèvements révolutionnaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Depuis,
ils se sont étendus en Europe, en Amérique latine et aux États-Unis, y
compris le mouvement « Occupons Wall Street », qui a débuté en septembre.
Selon une échelle « d’agitation sociale », basée sur différents
indicateurs, y compris le chômage, l’OIT calcule que pour 40 pour cent des
pays sondés, il y a une hausse significative de risque d’agitation. La
probabilité d’agitation sociale a augmenté de façon drastique
particulièrement dans les pays avancés. De plus, mondialement, la majorité
des pays ont rapporté un effondrement de la confiance publique envers les
gouvernements nationaux.
Le mécontentement envers la disponibilité d’emplois de qualité est à plus
de 80 pour cent en Afrique subsaharienne et à plus de 70 pour cent en Europe
de l’Est et en Europe centrale. Il est à plus de 60 pour cent au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord, bien que significativement plus élevé
dans certains pays, y compris l’Égypte.
La colère envers la situation de l’emploi est au-delà de 70 pour cent en
Grèce, en Italie, au Portugal et en Espagne, soit les pays actuellement au
centre de la campagne européenne pour couper dans les programmes sociaux et
éliminer tous les gains antérieurs de la classe ouvrière.
La financiarisation de l’économie mondiale
Les conditions sociales mondiales se sont nettement détériorées depuis le
krach de 2008, précipité par l’effondrement massif de la bulle spéculative
qui a gonflé au cours de la décennie précédente. Alors que la chute des
marchés financiers mondiaux a mené à un déclin immédiat de la richesse de
l’aristocratie financière, les actions des gouvernements, les États-Unis en
tête, ont servi à renverser rapidement cette tendance.
En plus de documenter les conditions de travail mondiales, le rapport de
l’OIT inclue quelques données importantes par rapport à la financiarisation
de l’économie mondiale, et le processus parallèle de transfert de la
richesse, avant et après le krach de 2008.
Il note, avec désapprobation, qu’au lendemain du krach, « les pays se
sont progressivement concentrés à apaiser les marchés financiers » plutôt
que de rétablir l’emploi, et que cela « s’est souvent centré sur l’austérité
fiscale et l'aide aux banques, sans nécessairement réformer les pratiques
bancaires qui ont mené à la crise, ou élaborer un plan de reprise pour
l'économie réelle ».
En 2008, la part de capitaux parmi les sociétés financières a chuté
mondialement de plus de 25 pour cent, après une décennie de croissance
continue. Seulement un an plus tard, toutefois, les parts sont retournées
aux niveaux d’avant la crise, un produit direct des différents plans de
sauvetage des banques.
L’évolution des parts de capitaux par catégorie de sociétés (OIT)
« D’un autre côté, note l'OIT, le déclin dans le secteur non financier a
été plus graduel, mais la part de capital pour ce groupe – qui compte pour
87 pour cent des emplois dans les pays avancés – continuent de diminuer.
Cela produit ce que le rapport appelle un « paradoxe » : « L’impact de la
crise économique mondiale de 2007-2008 sur le secteur financier fut
initialement de courte durée – même s’il était à la base de la récession. »
La croissance des profits des entreprises depuis le krach a largement
profité aux entreprises financières. De plus, les sociétés non financières,
au lieu d’investir, ont misé sur les marchés boursiers. « En 2009, plus de
36 pour cent des profits ont été distribués sous forme de dividendes, par
rapport à moins de 35 pour cent en 2007 et moins de 29 pour cent en 2000… »
Ce processus de financiarisation fait partie d’une tendance à long terme,
dans laquelle l’accumulation de richesse par la spéculation a remplacé
l’investissement productif. Loin de renverser cette tendance, la crise
économique l’a plutôt exacerbée.
Au même moment, une partie de plus en plus petite des revenus va à la
classe ouvrière. Selon l'OIT, « le partage des salaires – la part du revenu
intérieur qui va aux travailleurs – a diminué dans près des trois quarts des
69 pays pour lesquels cette donnée est disponible ». C’est aussi une
tendance à long terme.
En plus des injections directes d’argent dans les banques, le transfert
de richesse vers l’aristocratie financière et patronale a été facilité par
des politiques fiscales qui placent une partie encore plus grande du fardeau
fiscal sur la classe ouvrière.
Le
taux d’imposition pour les revenus personnels les plus élevés – moyenne
mondiale (OIT)
Entre 2000 et 2008, 43 pour cent des pays ont diminué leur taux
d’imposition pour les revenus les plus élevés, alors que 70 pour cent des
pays ont diminué leur taux d’imposition sur les profits des sociétés.
Pendant la même période, 30 pour cent des pays ont augmenté leurs taxes sur
la valeur ajoutée et leurs taxes à la consommation et c’est la classe
ouvrière qui a été ciblée de manière disproportionnée.
Globalement, le taux d’imposition pour les revenus les plus élevés est
passé de 31,4 pour cent à 29,1 pour cent en 2009. Les taxes sur les sociétés
sont passées de 29,5 pour cent à 25 pour cent pour la même période.
Encore une fois, cette tendance n’a fait que continuer depuis la crise de
2008. La proportion des revenus du gouvernement qui proviennent des taxes
régressives à la consommation a augmenté, tandis que les taxes sur les
revenus et les entreprises ont diminué.
D’un autre côté, les politiques recommandées par l' OIT sont complètement
insuffisantes tout en étant impossibles à réaliser dans le cadre du
capitalisme. En plus d’un programme de création d’emplois, l'OIT espère que
les gouvernements vont coopérer pour augmenter la part du revenu qui revient
aux travailleurs, tout en plaçant plus de contraintes sur le système
financier.
En fait, le rapport démontre plutôt que toute tentative de résoudre la
crise dans les intérêts de la classe ouvrière entre directement en conflit
avec le système capitaliste et l’aristocratie financière qui le contrôle.