Le gouvernement Obama est en train
de transférer sa guerre contre la Libye au commandement de l’OTAN alors
que l’alliance menée par les Etats-Unis prédit que les combats vont durer
au moins encore trois mois.
L'accord consistant à placer sous les auspices de l’OTAN
la guerre menée par les Etats-Unis s’est faite de façon fragmentaire au
milieu d’âpres discussions entre Washington et ses alliés de
l’OTAN, dont chacun poursuit ses propres intérêts stratégiques en menant
une guerre impérialiste contre une ancienne colonie.
Après une période de 24 heures qui s’est terminée
vendredi matin et durant laquelle des navires de guerre américains ont tiré 16
missiles Tomahawk supplémentaires sur des objectifs libyens et que des avions
de combat de la « coalition », en majorité américains, ont effectué
153 sorties de plus, les responsables de l’OTAN à Bruxelles ont révélé
que la planification de l’intervention libyenne supposait qu’elle
durerait trois mois supplémentaires avec l’option de prolonger cette
période le cas échéant.
Le chef d’état-major des armées françaises, le
général Edouard Guillaud, a aussi mis en garde contre toute attente d’une
fin rapide des frappes. « Je doute que ce soit en jours. Je pense que ce
sera en semaines. J’espère que ce ne sera pas en
mois. »
La Libye a entretemps rapporté que le bilan des victimes
civiles dû au bombardement de l’OTAN et des frappes de missiles avait
atteint la centaine. A Tripoli, le personnel hospitalier et les responsables du
gouvernement ont dit que les dernières frappes sur la capitale libyenne avaient
tué un certain nombre de civils, dont des femmes.
Le réseau de télévision Al-Arabiya a cité vendredi une
source anonyme confirmant que le fils de Kadhafi, Khamis, figurait parmi les
victimes; il aurait été tué lors d’un raid aérien sur la
caserne-résidence à Tripoli.
Les avions de combat américains et de l’OTAN ont été
fortement utilisés ces derniers jours pour attaquer les forces au sol loyales
au gouvernement de Mouammar Kadhafi et pour détruire l’infrastructure du
pays. L’objectif de cette campagne est de fournir suffisamment de
puissance de feu pour permettre une offensive des soi-disant
« rebelles » basés à Benghazi dans le but de renverser Kadhafi et de
mettre en place un nouveau régime plus complaisant à l’égard des gouvernements
occidentaux et des principales compagnies pétrolières occidentales.
Mais, les « rebelles » n’ont donné aucun
indice laissant entendre qu’ils sont à la hauteur de cette tâche et des
rapports existent disant que d’autres mesures sont en préparation au cas
où ils ne réussiraient pas à déloger les loyalistes du gouvernement des villes
contestées d’Ajdabiya à l’Est et de Miisurata à l’Ouest et à
marcher sur Tripoli.
Selon le service d’information russe RIA Novosti, le
service de renseignement russe a appris que des préparatifs étaient en cours en
Libye pour des opérations terrestres des Etats-Unis et de l’OTAN et qui
pourraient commencer fin avril ou début mai.
« Des informations provenant de différentes sources
indiquent que les pays de l’OTAN, avec la participation active de la
Grande-Bretagne et des Etats-Unis, sont en train d’élaborer un plan
d’opération terrestres sur le territoire libyen, » a signalé le
service d’information en citant une source anonyme au sein du renseignement
russe.
« Tout indique qu’une opération au sol sera
lancée si l’alliance n’arrive pas à faire capituler le régime
Kadhafi à l’aide de frappes aériennes et d’attaques de
missiles, » a-t-elle ajouté en disant que les opérations pourraient débuter
fin avril-début mai. »
La résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations
unies, poussée en avant par Washington le 17 mars, a imposé une zone
d’exclusion aérienne sur la Libye tout en autorisant « toutes les
mesures nécessaires, » sous le prétexte de protéger des civils. Elle a
tout spécialement exclu « toute forme de force d’occupation
étrangère où que ce soit sur le territoire libyen. »
Mais, de plus en plus souvent, des analystes militaires
occidentaux plaident que l’interdiction de toute force d’occupation
n’exclut pas un déploiement plus provisoire de troupes et, aux dires du Wall
Street Journal de vendredi, « L’histoire des actions militaires
uniquement aériennes est qu’elles viennent rarement à bout d’un
adversaire, voire jamais, sans ‘présence sur le terrain’. »
Des rapports en provenance de la Libye concernant la
confusion régnant dans les rangs de l’armée d’opposition à Kadhafi
qui est basée à Benghazi indiquent la nécessité probable d’une telle
intervention dans le but de concrétiser l’objectif d’un
« changement de régime », à moins que Washington et ses alliés ne
soient capables de provoquer une espèce de coup d’Etat au sein de
l’actuel régime même.
L’un des comptes rendu les plus évocateurs et
détaillés de l’état des soi-disant rebelles a été fourni jeudi par Nancy
Youssef du quotidien McClatchy Newspapers.
« Les combattants rebelles qui avaient juré
d’arracher Tripoli au dirigeant Mouammar Kadhafi ont, au lieu de cela,
abandonné leurs positions avancées pour défendre leur maison en disant que
leur conseil rebelle ne les guidait pas, qu’ils ne faisaient pas
confiance à leurs commandants militaires et que leur armée était
divisée, » a-t-elle rapporté.
Elle a dit que des prétentions antérieures selon
lesquelles l’opposition arméemarcherait sur Tripoli avaient été
« anéanties au vu de l’aisance avec laquelle les forces de Kadhafi
sont entrées dans cette ville [Benghazi] il y a une semaine. »
« Peut-être que le plus déconcertant a été de
découvrir que des centaines sinon des milliers de sympathisants de Kadhafi se
trouvaient parmi eux, » a ajouté la journaliste. « Durant l'attaque
des loyalistes, les rebelles d’ici disent que des hommes en civils sont
sortis de leur maison à Benghazi pour attaquer la ville aux côtés des forces de
Kadhafi arrivant du Sud. »
Elle a cité des habitants de Benghazi décrivant le Conseil
national de Benghazi, qui s’est récemment proclamé « gouvernement
intérimaire », comme « ne servant à rien » et un autre résident
qui a prédit que la ville même pourrait sombrer dans la guerre civile.
La confusion persistait encore vendredi quant à la
véritable nature de l’accord par lequel l’OTAN assumerait
apparemment le contrôle des opérations de combat en Libye. Initialement, il
avait été rapporté que l’alliance menée par les Etats-Unis prendrait la responsabilité
du renforcement de la zone d’exclusion aérienne qui, compte tenu de la
destruction de la force aérienne de la Libye et de la plupart de ses capacités
de défense aériennes, n’est confrontée à aucun défi significatif.
Ceci laisserait l’armée américaine directement aux
commandes de l’unique véritable action de combat que sont le bombardement
et les frappes de missiles effectués par les avions de combat américains et de
l’OTAN contre des troupes au sol loyales au gouvernement libyen.
Vendredi après-midi, toutefois, il a été rapporté
qu’un accord avait été conclu dans lequel l’OTAN assumerait
officiellement le commandement de toutes les opérations libyennes, en prenant
immédiatement la responsabilité de la zone d’exclusion aérienne. Les
précisions quant à la planification des frappes aériennes destinées à détruire
les forces au sol pro-Kadhafi et à soutenir l’insurrection anti
gouvernement seront élaborées dans un document qui sera présenté aux pays
membres de l’OTAN dans les tous prochains jours.
L’accord est le résultat de quatre jours de débats
acharnés au sein de l’OTAN et s’achevant par une série de
conférences téléphoniques jeudi soir entre la secrétaire d’Etat
américaine Hillary Clinton, le ministre des Affaires étrangères français, Alain
Juppé, le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, William Hague et le
ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu.
Les pourparlers ont été marqués par des échanges
particulièrement hostiles entre la Turquie et la France. Le gouvernement turc,
déjà hostile au président Nicolas Sarkozy en raison de son opposition
catégorique à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, a été
exclu d’un sommet hâtivement organisé à Paris après l’adoption de
la résolution de l’ONU.
La France qui était intervenue prématurément dans
l’intervention militaire en effectuant les premières frappes aériennes,
apparemment sans les avoir coordonnées avec ses anciens alliés, avait insisté
préalablement que l’intervention devait être dirigée par un organe ad hoc
indépendant de l’OTAN, apparemment en raison d'une participation arabe
négligeable.
La Turquie a accusé le gouvernement français de chercher à
asseoir sa propre direction de l’intervention afin de promouvoir ses
propres objectifs en revendiquant les ressources pétrolières de la Libye. La
position du gouvernement turc a été reflétée dans le rapport du quotidien
pro-gouvernemental Zaman qui a affirmé :
« Les dirigeants turcs ont publiquement critiqué la
France pour ‘faire de l’opération une démonstration de force’
et ont remis en question les motifs français dans l’opération en
exprimant le soupçon que certains partenaires, agissant en dehors de
l’OTAN, lorgnaient les richesses minérales de la Libye. Le gouvernement
turc de ce fait exige que la planification concernant toute action militaire
soit faite au sein de l’OTAN, en stricte conformité avec les objectifs
énoncés dans la décision de l’ONU. »
La Turquie a ses propres vastes intérêts commerciaux en
Libye et ailleurs dans la région et n’a nullement l’intention de
les céder à la France. Elle a proposé plusieurs navires de guerre pour imposer
le blocus de la côte libyenne mais a insisté pour dire qu’elle ne
participera à aucune action militaire contre le peuple libyen.
Erdogan a exprimé vendredi sa satisfaction quant à la
décision de placer les opérations militaires sous le commandement de
l’OTAN et déclaré : « Paris commence à être mis sur la touche.
Je trouve cela très positif en particulier dans le processus en cours en
Libye. »
Stratfor, un conseil en sécurité, proche des services
secrets américains, a mis en exergue d’autres failles au sein de la
soi-disant « coalition » attaquant la Libye. Il a signalé que
l’Italie « a même suggéré que si un quelconque consensus
n’était pas trouvé au sujet de l’implication de l’OTAN, elle
retirerait son offre de bases aériennes de sorte que ‘les agissements de
quelqu’un d’autre ne retombent sur nous’, selon le ministre
italien des Affaires étrangères Franco Frattini. Rome s'inquiète que
l’alliance franco-britannique va soit réduire les intérêts de
l’Italie dans une Libye post-Kadhafi soit ne pas terminer
l’opération, laissant ainsi à l’Italie le soin de s’occuper
du chaos à quelques centaines de kilomètres sur l’autre rive de la
Méditerranée. »
Comme le remarque Statfor, toutes ces puissances
européennes – sans parler des Etats-Unis – avaient embrassé Kadhafi
et conclu des contrats pétroliers et d’armements à hauteur de plusieurs
milliards de dollars avec son régime avant de conclure qu’il devait être
renversé pour des raisons humanitaires.
En soulignant les divisions existant entre la
Grande-Bretagne et la France sur l’intervention libyenne, Strarfor a
commenté : « Les intérêts de Paris et de Londres dans cette guerre
contre la Libye ne sont pas les mêmes, et la Libye représente un poids différent
pour chacun des deux. Pour le Royaume Uni, la Libye constitue une opportunité
pour une exploitation énergétique. Ce n’est pas un pays dans lequel
Londres dispose pour le moment d’une relation acheteur-vendeur
privilégiée mais elle pourrait être développée si Mouammar Kadhafi était évincé
du pouvoir. Pour la France, Tripoli est déjà un important exportateur d'énergie
et un client de ses ventes d'armes. Les intérêts de Paris dans cette
intervention concernent aussi la politique intra-européenne. »
Au sein de l’establishment politique et du
complexe militaro-services secrets, il n’y a pas de confusion quant aux
motifs réels de l’intervention libyenne. Cette intervention n’a
rien à voir avec la question de « sauver des gens » ou
« d’humanitarisme », mais tourne entièrement autour du pétrole,
des profits et des intérêts stratégiques. Dans ce processus, l’OTAN
émerge comme instrument visant à réfréner les graves conflits
inter-impérialistes qui sont générés par la nouvelle ruée sur l’Afrique.
Le rôle que jouera l’OTAN par rapport à
l’armée américaine en Libye est comparable à celui qu’elle joue
actuellement en Afghanistan. Malgré les affirmations d’Obama et de
Hillary Clinton que les Etats-Unis «prennent du recul », des
commandants américains ont dit clairement que les forces américaines
continueront de jouer le rôle dominant dans l'attaque de la Libye alors que
l’OTAN même est commandée par l’amiral américain James Stavridis.
Les motifs de Washington pour présenter la guerre contre
la Libye comme étant menée par l’OTAN et soutenue par les pays arabes,
avec les forces américaines ne jouant prétendument qu’un « rôle
secondaire », sont doubles. D’un côté, avec 100.000 soldats
américains qui mènent une guerre pour réprimer la résistance du peuple afghan contre
l’occupation étrangère, avec une guerre aérienne qui s’intensifie
au Pakistan voisin et avec 50.000 soldats supplémentaires toujours déployés en
Irak, le gouvernement Obama est soucieux de masquer la réalité à savoir que
l’impérialisme américain est en train de mener une guerre de plus contre
un pays musulman.
De l’autre côté, le gouvernement est préoccupé par
l’opposition populaire inévitable au sein des Etats-Unis même, où un
récent sondage a montré que deux tiers de la population croient que la guerre
en Afghanistan ne vaut pas la peine d’être faite. Après une semaine
d’actions militaires américaines en Libye, Obama ne s’est toujours
pas adressé au peuple américain pour justifier cette nouvelle guerre. Il
n’a pas non plus cherché à obtenir un vote au Congrès autorisant cette
action, en violation flagrante de la Constitution américaine. Dans ce contexte,
le gouvernement démocrate est même allé plus loin que la Maison Blanche de Bush
en s’arrogeant le pouvoir d’organiser des interventions militaires
sur la seule base d’être le « commandant en chef. »