Confronté à un soulèvement populaire et à un massacre de
masse en Libye, l’un des plus gros producteurs de pétrole du monde, le
président Barack Obama a parlé de « liberté », de
« justice » et de « dignité » et mis en garde que son
gouvernement était en train de préparer une « toute une gamme
d’options. »
Comme au cours des soulèvements révolutionnaires du mois dernier qui se sont
étendus depuis la Tunisie à l’Egypte, au Yémen, à Bahreïn et au-delà, la
réaction du gouvernement Obama à l’égard des événements sanglants de
Libye a été caractérisée par l’hypocrisie, le cynisme et le froid calcul.
Derrière ses phrases plutôt tièdes sur les « souffrances et le bain de
sang outrageants et inacceptables », l’objectif de Washington est de
sauvegarder dans la région les intérêts stratégiques de l’impérialisme
américain et de protéger les objectifs des groupes énergétiques géants américains
qui regardent la Libye comme une source de profits énormes.
En répétant sa réponse précédente à la Tunisie et à l’Egypte –
et son attitude à l’égard des événements survenus à Bahreïn et au Yémen
– la position initiale du gouvernement Obama sur la Libye apparaît comme
étant de miser sur la capacité du régime dirigé par le colonel Mouammar Kadhafi
de réprimer le soulèvement par la force.
Malgré les prétentions antérieurement révolutionnaires et même socialistes de
Kadhafi, Washington avait considéré pendant une décennie le dictateur libyen
comme une force de stabilisation et d’ordre au Moyen Orient. Sa police
secrète a collaboré étroitement avec la CIA dans la « guerre mondiale
contre le terrorisme » et il a ouvert la porte à un retour des entreprises
pétrolières américaines dans les affaires lucratives de l’exploitation
des 44,3 milliards de barils de réserves avérées de pétrole de la Libye, les
plus vastes d’Afrique et au neuvième rang dans le monde.
Kadhafi a été salué à la fois par le gouvernement Bush qui avait envoyé en
2008 à Tripoli sa conseillère pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice,
pour embrasser le despote, et celui d’Obama qui lui avait chaleureusement
serré la main en 2009 lors du sommet du G-8. Kadhafi est même allé plus loin en
exprimant sa cordialité vis-à-vis du gouvernement américain en proclamant
qu’Obama était son « fils ». En apparence, du moins, le temps semble
bien lointain où Ronald Reagan avait dénoncé le dirigeant libyen comme le
« chien fou du Moyen Orient » et envoyé des avions de combat pour
bombarder sa maison.
C’est dans ce contexte que Washington continue officiellement de couvrir
ses risques pendant que Kadhafi recourt aux avions de chasse, aux canons
antiaériens et aux mercenaires pour massacrer son propre peuple. « Ceci
est finalement et fondamentalement une question entre, vous savez, le
gouvernement libyen, son dirigeant, et le peuple libyen, » a déclaré mardi
lors d’une conférence de presse le porte-parole du département
d’Etat, P.J. Crowley. Il a ajouté, « Nous souhaitons que le
gouvernement réponde aux aspirations de son peuple, » alors même que la
« réponse » avait été de faire passer le bilan des victimes à un
millier de morts.
L’apparition d’Obama mercredi devant les cameras de télévision
semble avoir été motivée par des craintes grandissantes à Washington que
Kadhafi ne réussira pas à réprimer le soulèvement. Dans le même temps, les
responsables américains sont préoccupés qu’il n’y ait pas
d’opposition véritablement contrôlée pour prendre la place et pour
étouffer la lutte des masses. Ils ne sont pas sûrs qui finira par accéder au
pouvoir – et qui contrôlera la richesse pétrolière du pays. Contrairement
à l’Egypte, Washington ne peut pas tirer les ficelles dans une armée entraînée
et armée par les Etats-Unis dans le but de reconstituer un régime capable de
défendre les intérêts de l’impérialisme américain.
Dans ses remarques, Obama donnait l’impression de faire du sur place
pour gagner du temps tandis que les événements continuaient de se développer. Il
est remarquable que les commentaires du président américain n’incluaient pas
d’appel au renversement de Kadhafi.
La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, qui a été envoyée le
22 février à Genève pour discuter de la Libye avec les puissances européennes,
a dit le lendemain en guise de réponse aux événements libyens que « toutes
les options ser[aient] envisagées », une phrase qui reprenait la
rhétorique du gouvernement Bush dans la formulation de ses fréquentes menaces
d’une action militaire contre l’Iran.
Des impératifs économiques décisifs pressent le gouvernement américain à
entreprendre une quelconque action. La Libye a attiré l’attention de Wall
Street bien plus directement que les soulèvements précédents. La bourse de Wall
Street a chuté de près de 300 points au cours de ces deux derniers jours, et le
prix du baril de pétrole a dépassé les 100 dollars.
Ces inquiétudes ont trouvé mercredi leur place dans les pages éditoriales du
Wall Street Journal qui a accusé le gouvernement Obama
d’« atermoiement », déclarant qu’une unique
« occasion » se présentait aux Etats-Unis qui consistait à
« stopper un bain de sang, à prévenir une crise de réfugiés, à améliorer
la sécurité énergétique et à mettre fin à une menace de longue date à
l’ordre public international. »
Bref, le Wall Street Journal propose un changement de régime. Le
journal suggère qu’une intervention pourrait débuter sous un prétexte
humanitaire, en acheminant des « fournitures médicales que seul
l’Occident peut fournir » et en menaçant de « détruire l’aviation
libyenne. »
Toute intervention militaire américaine en Libye ne servirait pas à
promouvoir la démocratie, à défendre les droits humains ou à libérer le peuple
libyen. Quelle que soit la tentative qui est entreprise pour draper
l’action américaine dans un manteau humanitaire, l’objectif de
l’armée américaine est de défendre les intérêts stratégiques de
l’impérialisme américain et de protéger les profits et la propriété de
l’élite dirigeante américaine. Comme dans le cas des invasions en
Afghanistan et en Irak, toute incursion en Libye représenterait la
réaffirmation de la domination néocoloniale sur un pays opprimé.
Il est impossible de dire si une telle intervention est imminente. Ce qui
est évident, toutefois, c’est que Washington est de plus en plus catastrophé
face à l’effilochage de sa position au Moyen Orient et face notamment à
la menace d’une perturbation de l’approvisionnement pétrolier. Les
dirigeants désespérés sont enclins à adopter des mesures désespérées.
La Libye a une longue et tragique histoire de colonisation. L’Italie
en a pris le contrôle en 1911, en menant pendant 30 ans une guerre contre un
peuple rebelle. Ceci avait abouti au recours par le régime fasciste de Benito
Mussolini aux bombardements aériens, au gaz, aux camps de concentration et à la
famine pour annihiler près de la moitié de la population.
Après la Seconde guerre mondiale, Washington a tenté de faire de ce pays sa
propre plateforme afin de s’arroger le contrôle des territoires
précédemment dominés par les puissances coloniales européennes. Washington
installa la base aérienne de Wheelus en Libye comme l’une de ses
installations stratégiques clé outre-mer et garantit des contrats lucratifs à
Standard Oil et à d’autres entreprises pétrolières américaines pour
piller les ressources naturelles du pays.
L’arrivée au pouvoir de Kadhafi et de son groupe d’Officiers
libres en 1969 invalida cette relation pendant un certain temps. Mais, tout
comme les mouvement nationalistes bourgeois partout au Moyen Orient, la
« Jamahiriya libyenne populaire et socialiste » des colonels libyens
s’est révélée être incapable de résoudre aucune des tâches historiques
requises pour la suppression de l’héritage du colonialisme et de
l’oppression impérialiste. Après 40 ans de pouvoir, les sociétés
pétrolières américaines sont de retour, les forces de sécurité libyennes
collaborent avec la CIA et le régime « révolutionnaire » a dégénéré
en une cleptocratie népotique qui est en train de massacrer son propre peuple.
Les travailleurs aux Etats-Unis et en Europe ne doivent pas se laisser
mystifier par les tentatives de leurs propres élites dirigeantes d’exploiter
l’indignation face aux atrocités commises par un régime à l’agonie
pour justifier une intervention militaire. Le mot d’ordre doit
être : les plus grands ennemis des peuples en Libye et au Moyen Orient
sont les Etats-Unis et les impérialistes européens.
Le renversement de la dictature est la tâche non pas de l’impérialisme
qui veut poursuivre sa domination de la Libye avec ou sans Kadhafi, mais des
masses libyennes – et elles sont en mesure de le faire.
La chute du régime constituera le premier pas dans ce qui se révélera être
une lutte prolongée. Les travailleurs libyens doivent établir leur indépendance
politique vis-à-vis de toutes les forces bourgeoises
« démocratiques » et « nationalistes » pour former leurs
propres organes du pouvoir populaire afin d’organiser leur lutte et de
remplacer le régime Kadhafi par un gouvernement ouvrier. La victoire de cette
révolution ne peut être garantie qu’en unissant les travailleurs libyens
à leurs frères et sœurs de classe dans les pays voisins, en Egypte et en
Tunisie, partout au Moyen Orient, et dans les pays capitaliste avancés.
C’est est la perspective internationaliste et socialiste pour laquelle
lutte le Comité International de la Quatrième Internationale.