Lors d’audiences tenues au Congrès
mardi et mercredi et dans le cadre de déclarations faites aux médias, de hauts
responsables de l’administration Obama et du Congrès débattent
publiquement de la possibilité d’une intervention militaire américaine en
Libye. Le Pentagone déploie pendant ce temps des navires et des avions de
guerres vers ce pays du nord de l’Afrique. Le même débat prend place de
l’autre côté de l’Atlantique, parmi les puissances européennes qui
ont déployé leurs propres matériels militaires dans la région.
Dans ce débat officiel, les droits et les
intérêts du peuple libyen ne valent rien. Les impérialistes américains et
européens sont préoccupés par les difficultés pratiques d’un déploiement
de forces militaires dans une région vaste et principalement désertique. Ils
s'inquiètent aussi des implications du déclenchement d’une troisième
intervention majeure contre un pays majoritairement musulman : la Libye
viendrait rejoindre l’Irak et l’Afghanistan dans la liste des pays
occupés.
Le secrétaire à la Défense des
États-Unis, Robert Gates, questionné hier par le sous-comité de la Chambre sur
les affectations à la défense, a mis en garde que « franchement, j'entends
beaucoup de propos vagues sur certaines de ces options militaires ». Il a
poursuivi : « Appelons un chat un chat : une zone
d’exclusion aérienne débute avec une attaque sur la Libye, pour détruire
les défenses aériennes. C’est comme ça que l'on fait une zone
d’exclusion aérienne… Cela nécessite également plus d’avions
qu’on en trouve sur un seul porte-avions. C’est donc une grosse
opération dans un gros pays. »
Gates a indiqué les conséquences plus
importantes d’une intervention en Libye. « Si nous déployons encore
de l’équipement militaire, quelles seront les conséquences pour
l’Afghanistan, pour le golfe Persique? » a-t-il dit. « Et quels
sont les alliés qui sont prêts à travailler avec nous dans cela? » il a
terminé ses remarques en disant : « Nous devons aussi penser franchement
à l’utilisation de l’armée américaine dans un autre pays du
Moyen-Orient. »
Le chef du Pentagone répondait à une
attaque contre la politique de l’administration Obama faite par le
sénateur John McCain, le candidat républicain aux présidentielles de 2008, et
le sénateur Joseph Lieberman, le démocrate de droite qui a ardemment soutenu
l’administration Bush pendant la guerre en Irak. Mardi, McCain a dit au
Conseil de l’Atlantique, un groupe de réflexion de Washington, que les
États-Unis devraient immédiatement imposer une zone d’exclusion aérienne
sur la Libye.
« Bien sûr, nous devons avoir une
zone d'exclusion aérienne », a déclaré McCain. « Nous dépensons plus
de 500 milliards $, sans compter l’Irak et l’Afghanistan, pour
défendre notre pays. Ne me dites pas que nous ne pouvons imposer une zone
d’exclusion aérienne sur Tripoli. » Il a critiqué les officiers de
l’armée du Pentagone de tenter de « trouver des raisons pourquoi on
ne peut pas faire quelque chose plutôt que des raisons pourquoi on peut le
faire ».
Le sénateur démocrate, John Kerry,
président de la commission des Affaires étrangères, a utilisé un langage moins
belliqueux pour mettre de l'avant la même politique. Mercredi, lors d’une
audience, il a dit que même si une zone d’exclusion aérienne sur la Libye
« n’est pas une proposition de longue durée », l’armée
américaine doit être prête à l’implanter. Il a affirmé que le peuple
libyen « a besoin des outils pour prévenir le massacre d’innocents
dans les rues de la Libye, et je crois que la communauté internationale ne peut
rester passive tandis que des avions bombardent et mitraillent ».
Des responsables de
l’administration Obama ont minimisé l'importance des propos suggérant
qu’une zone d’exclusion aérienne sur la Libye est imminente.
S’adressant à la commission des Affaires étrangères du Sénat, la
secrétaire d’État Hillary Clinton a déclaré : « Cela prendra du
temps avant que nous puissions déterminer si une zone d’exclusion
aérienne de la Libye est nécessaire. » Admettant son inquiétude de voir le
pays « s'enfoncer dans le chaos et devenir une Somalie géante »,
Clinton a tout de même mis l’accent sur le fait que « nous faisons
très attention à toutes actions que nous pourrions entreprendre qui ne visent
pas le soutien de missions humanitaires ».
La Libye possède un système de défense
antiaérien relativement avancé. Pour le détruire, des bombardements intensifs
seraient nécessaires, et les pertes civiles seraient inévitables.
Gates parle au nom d'une section de
l'armée qui s'inquiète profondément des implications du déclenchement d'une
autre guerre potentiellement longue, considérant la situation désastreuse dans
laquelle se trouvent les forces américaines ailleurs. La semaine dernière, il a
déclaré que quiconque appellerait au déploiement d'une large force terrestre
des États-Unis en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique « devrait aller se
faire examiner le cerveau ».
Des inquiétudes similaires ont été
exprimées en Europe. Le premier ministre britannique David Cameron a semblé
vouloir se distancier de son discours belliqueux qui proposait entre autres
d'armer les forces d'opposition en Libye. Le Guardian a rapporté :
« des sources haut placées de l'armée britannique on dit s'inquiéter du
fait que Downing Street semble ignorer les dangers d'être entraîné dans une
longue et potentiellement dangereuse opération... au moment où les forces
britanniques sont utilisées au maximum en Afghanistan, et dans le contexte
d'une importante crise budgétaire pour les forces militaires. »
James Hackett de l'Institut international
d'études stratégiques, basé à Londres, s'est entretenu avec le Financial Times
à propos de la possibilité d'armer l'opposition basée à Benghazi. « La
question que l'on doit se poser est celle-ci : qui armerions-nous
réellement », a-t-il mis en garde. « On a probablement à faire à un
éventail de différentes tribus et communautés qui ont des plans bien différents
après le départ de Kadhafi. »
Le ministre allemand des Affaires
étrangères, Guido Westerwelle, a affirmé qu'une zone d'exclusion aérienne
devrait être considérée, mais a averti qu'« il ne doit pas apparaître,
sous toutes conditions, qu'il est question ici d'une intervention
militaire ». Il a ajouté que discuter publiquement d'intervention
militaire par les États-Unis et l'Europe contre la Libye allait probablement
« encourager la propagande du dictateur » et renforcer politiquement
le chef libyen Mouammar Kadhafi.
Les assertions des médias que des forces
loyales au régime de Kadhafi auraient procédé à toute une série de frappes
aériennes ont alimenté les appels à intervention militaire étrangère. Mais
l'amiral Mike Mullen, chef de l'état-major interarmées, a dit lors d'une
audience du Congrès à Washington que l'armée des États-Unis n'avait pu
confirmer que de telles attaques avaient eu lieu.
Le Washington Post a de plus cité
mardi un haut responsable de l'administration qui niait que de telles attaques
s'étaient produites, excepté les tentatives de faire exploser des caches
d'armes. « Je ne crois pas que nous ayons vu... des signes montrant qu'ils
bombardent la population », a-t-il fait savoir au journal.
Ces aveux mettent en évidence le
caractère frauduleux de la campagne menée par des sections des médias aux
États-Unis et à travers le monde pour une intervention supposément
« humanitaire » en Libye.
Dès le début de la crise, Washington et
ses alliés européens ont avant tout été préoccupés par la protection de leur
précieuse mise dans l'industrie pétrolière libyenne et la défense de leurs
intérêts géostratégiques régionaux. L'administration Obama a d'abord attendu
pour voir si Kadhafi allait être capable d'écraser le soulèvement. Ce n'est
qu'après que le régime ait perdu le contrôle de grandes parties du pays qu'elle
s'est retournée contre son allié à Tripoli.
On a ensuite pu entendre battre les
tambours de guerre. Une campagne concertée de propagande comparant la Libye aux
Balkans, et même au Rwanda ou au Soudan, a été lancée afin de fournir le
prétexte pour une intervention visant à transformer l'État nord-africain en une
semi-colonie qui serait soumise aux opérations des grandes sociétés
pétrolières.
Les divergences tactiques et les
préoccupations exprimées récemment par les élites dirigeantes aux États-Unis et
en Europe ne signifient nullement la fin de la menace d'une intervention
étrangère.
Un important déploiement militaire se
poursuit dans la Méditerranée. Le croiseur américain USS Barry et deux navires
d'assaut amphibies capables de transporter des hélicoptères, des barges de
débarquement et des centaines de marines sont en position. Ils étaient déployés
initialement en mer Rouge. Les forces navales et aériennes de la France, de la
Grande-Bretagne et d'autres puissances européennes ont aussi été positionnées
au large de la Libye.
HillaryClintonasouligné quedes
difficultéslogistiques possiblesdans l'établissementd'une zoned'exclusion aérienne
n’ont pasécartél'option. « Ils ont dit lamême chosedes
Balkans », a-t-elledit à lacommission des Affaires étrangèresdu Sénat. «Trop
ardu, tropdifficileàmaintenir.Maisfinalementil a étédéterminéqu'ilétaitdansl'intérêt dela sécuritéd'en avoir une ».
Hier,le
porte-parolede la Maison-BlancheJayCarneya réponduaux remarques dusecrétaire à la Défenseen disantaux
journalistes: « Le fait quel'idée
d'exclusionaériennesoitcomplexene signifie
pasqu'ellen'est passur latable ...Nousconsidéronsactivement un ensemble d'options.
Nous n'en avons excluaucune. »
En Libye, les
affrontements se poursuivententre les forces
gouvernementaleset l'opposition. Hier, des combattantspro-Kadhafi ont attaquéBregga, unevilleportuaire située à l’est, à environ 240kilomètres au sud deBenghazi, maisont étéforcésde battre en retraiteaprès de durs
combats. On croit que les
troupes gouvernementales se seraient déplacéesdeSyrte, la ville
natalede Kadhafi, qui restesous
strict contrôle gouvernemental. Elles ont
étésoutenuespar des chasseurs de l'armée
de l'air quiauraientbombardédes cibles militairesdans laville.
MartinChulov duGuardian, àBregga, a déclaré: « L'assaut surBreggarelevait
plus de la stratégie que de la vengeance. Lazonecontrôléeparles forcesprogouvernementales,
mercredi, comprenait uneuniversité,
un aéroport, un quaietquelquesusines.
L'accèsau réseau quialimenteBenghazien électricité està proximité, tout comme une raffinerie de
pétroleetlaSirte Oil Company, où plus de300ressortissantsétrangersétaient employésavantlarévolution du 17février. Ce ne ressemble pas au geste d'un homme
fort, insulté, qui frapperait de manière enragée,
mais c'est plutôt commeuneséried’actions
froidementcalculée visant àmodifierune situationconsidérée comme irréversibleil y a une semaine ».
Lorsd'autres
affrontements, les forcesde
Kadhafi ont récupéréDehiba,
un postefrontaliervoisinde la Tunisie. De
violents combatsont également pris place àAjdabiya, au sud deBenghazi,
alors que des combattants de
l'oppositionont résisté à uneattaquepar les troupes gouvernementales visant à leschasser.
Kadhafia prononcé
undiscourstéléviséde troisheureshier,
danslequelila offertdes concessionsà l'opposition, notamment l'amnistie pour lesforces del'oppositionqui se rendent, une nouvelle constitution,
ainsi que des médias plus libres.
Ila égalementannoncédes prêtsà faible taux d’intérêt etd'autres programmes pouraider les gens àacheterleurspropres maisons. S'adressantaux États-Uniset aux puissances européennes,
Kadhafi a dit que c'est
la guerre qui les attendait s'ils intervenaient,eta également déclaré qu'ilencourageraitles entreprisespétrolières chinoises et indiennesà commencerleurs opérationsenLibye.
Le message principal dudictateur, toutefois, comportaitun appelà Washingtonpourla reprise desrelations chaleureuses
avecsongouvernement. Kadhafi a à nouveaumis
en garde contreal-Qaïda etles forcesislamistes, montrant ainsià quel pointilavaitétéintégré
danslasoi-disant guerrecontre le terrorisme,et il a exploitéla peurdes
gouvernements européensd'unexode
deréfugiés. « Nous
devons comprendre que la Libyeestla soupape de sûretéde la Méditerranée », a-t-ildéclaré. « Nous sommes ceuxqui empêchent l'immigration clandestinevers l'Europe et limitentl’influencede
BenLaden là-bas.
Nesoyez pas stupides, comme l'hommequia
brûlésa maison parcequ'il ya trouvé unesouris. »
Les dirigeantsautoproclamésdel'une desprincipales
forcesd'oppositionanti-Kadhafi ont formé un« conseil du
gouvernement national intérimaire » hier, et ont appeléàl'imposition
d'une zone d'exclusion aérienne, imposéepar
des frappes aériennesaméricano-européennes.
Dirigéparl'ancienministre de la JusticeMustafaAbdel-Jalil,
le conseilest composéen grande partied'anciennes personnalités
de l’armée et du gouvernementKadhafi.
Le porte-paroleAbdel-Hafiz Hoga a dit en conférencede pressequeleconseil a demandé instamment« des attaques spécifiques »
et « des frappes aériennes stratégiques »
contre lesforcesmercenaires
africaines de Kadhafi.
Lapositiondusoi-disantConseil
du gouvernement national intérimaireà Benghazisoulignele caractèreréactionnairedesadirection
bourgeoiseet l'urgente nécessitépour la classe ouvrière libyenne de développer
sapropre orientationrévolutionnaire,
indépendantede toutes lesfactionsde labourgeoisielibyenne, et basée surunprogrammesocialiste.