Le gouvernement britannique réfléchit activement à envoyer des troupes
spéciales en Libye prenant pour prétexte le sauvetage de 170 travailleurs piégés
dans des campements pétroliers isolés alors que les combats et les soulèvements
de masse contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi se poursuivent.
Les nouvelles en provenance de l’intérieur de la Libye sont
fragmentaires compte tenu des combats et des restrictions imposées aux médias par
le régime Kadhafi. Ces informations ont suggéré que Misurata, la troisième
ville du pays, se trouverait aux mains des forces anti-Kadhafi alors que les
combats se déplaçaient vers des villes telles que Zawiya et al-Khums qui sont
proches de la capitale libyenne, Tripoli. Kadhafi a de nouveau prononcé aujourd’hui
un autre discours belligérant accusant le dirigeant d’al-Quaïda, Oussama
ben Laden d’avoir fomenté le soulèvement et affirmant que les
manifestants étaient drogués.
Le secrétaire britannique des Affaires étrangères, William Hague, a dit
qu’il n’écartait pas la possibilité d’envoyer des forces
spéciales en Libye.
Hague a convoqué une réunion d’urgence du groupe interministériel
COBRA ainsi que le secrétaire à la Défense Liam Fox. Le premier ministre David
Cameron effectue en ce moment au Moyen Orient un voyage commercial se concentrant
sur la vente d’armes aux despotes du Golfe persique.
Le secrétaire d’Etat à la Culture, Jeremy Hunt, a dit à la radio LBS,
« La nouvelle la plus significative est que les troupes SAS [Forces
aériennes spéciales] sont à présent prêtes à entrer en action. »
A la question directe de savoir s’il pouvait envisager une intervention
militaire britannique en Libye, il a répondu : « Tout à fait…
nous n’aurions pas les troupes SAS en attente si nous n’envisagions
pas la possibilité d’en faire usage. »
Un communiqué du ministère de la Défense britannique (MoD) a dit qu’il
« assistait les responsables du FCO [le ministère britannique des Affaires
étrangères et du Commonwealth] à Tripoli et qu’il a déployé
d’avance un nombre d’autres ressources et de personnels dans la
région pour intervenir le moment venu dans le cadre de la réponse dirigée par
le ministère des Affaires étrangères. » Le communiqué continue en disant,
« Un certain nombre d’autres ressources britanniques sont également
prêtes à aider le FCO en cas de besoin. »
Des sources anonymes au sein de l’armée ont laissé entendre que les forces
spéciales de l’infanterie de marine britannique (SBS) ont déployé une
patrouille de reconnaissance dans une région de la Méditerranée. La British
Forces News (radio militaire britannique) a dit que les forces spéciales se
tenaient en alarme et seront soutenues par les parachutistes du Special Forces
Support Group (SFSG).
Frank Gardner, le rédacteur chargé des questions de sécurité de la BBC, a
suggéré que le personnel SAS pourrait déjà être sur place en civil.
La frégate britannique HMS Cumberland a jeté l’ancre à Benghazi et un
avion de transport Hercules de la RAF a décollé de l’aéroport de Tripoli
avec à son bord 70 ressortissants britanniques. Un deuxième avion Hercules a
été expédié à Malte et est prêt à effectuer le court trajet à destination de la
Libye.
La situation des citoyens étrangers bloqués en Libye, particulièrement dans des
camps isolés d’exploration pétrolière, est certainement difficile. Dans
certains cas, des pilleurs se sont emparés de leur matériel et de leurs
véhicules et les ont empêchés de partir. Les sociétés pétrolières qui emploient
ces travailleurs avaient disposé de dix jours pour organiser leur transfert en Egypte
ou vers le port de Benghazi pour y prendre un bateau, mais ne l’ont pas
fait.
Se servir de l’évacuation comme prétexte pour planifier ou organiser
une intervention militaire en Libye, serait totalement réactionnaire. Il
appartient à la classe ouvrière libyenne et aux masses opprimées de mettre en
échec Kadhafi et non à l’impérialisme étranger ou à ses mandataires
locaux.
De nombreuses sociétés pétrolières occidentales détiennent d’importantes
parts en Libye. Celle-ci possède les plus vastes réserves pétrolières connues
en Afrique et exporte quotidiennement vers l’Europe la plupart des 1,2
millions de barils qu’elle produit. Parmi ces sociétés il y a
l’italien ENI, les britanniques BP et Royal Dutch Shell PLC, l’allemand
Wintershall et une suite de firmes américaines – Marathon Oil,
Halliburton, Occidental Petroleum et Hess Corp.
Des dépêches publiées par WikiLeaks montrent que Washington – tout
comme sans doute ses alliés européens – était parfaitement bien informé
sur la nature corrompue et brutale du régime de Kadhafi mais était prêt à
coopérer avec lui tant que les compagnies pétrolières américaines en Libye
pouvaient faire ce qu’elles voulaient.
Les principaux objectifs favorisant une intervention occidentale seraient de
protéger les parts des principales sociétés pétrolières en Libye, de créer un
régime complaisant pour remplacer Kadhafi et de tenter de briser la vague des
luttes révolutionnaires en Afrique du Nord – tout particulièrement chez
les voisins de la Libye, l’Egypte et la Tunisie. Un tel développement doit
être opposé par les travailleurs dans le monde entier.
Des interventions sont activement discutées par les principaux organes de
presse européens. En Allemagne, le journal Süddeutsche Zeitung a écrit,
« Le temps de l’incertitude est passé. En Libye, Mouammar Kadhafi
mène une guerre contre son propre peuple… L’Europe doit brandir une
menace convaincante. Le mieux serait qu’elle forme une coalition avec la
Ligue arabe, l’Egypte et l’Union africaine – une coalition
dotée d’un mandat de l’ONU qui puisse intervenir militairement en
Libye pour restaurer la paix. »
Ce journal fait une comparaison directe avec les Balkans: « Une Libye
qui se désintègre et sombre dans une guerre civile et tribale pourrait mettre
le feu à toute la région. Depuis les guerres des Balkans, les Européens
connaissent la valeur d’une intervention précoce. Ils avaient raté le bon
moment à l’époque. Ils ne doivent pas répéter cette erreur en Afrique du
Nord. »
Le quotidien conservateur Die Welt a écrit avec une anticipation non
voilée que « ce qui se passe au large des côtes de la Méditerranée
c’est l’occasion du siècle. »
Les puissances américaines et européennes hésiteraient pour intervenir en
Libye sans le soutien de la Ligue arabe et peut-être sans le soutien militaire
d’un ou de plusieurs Etats arabes de crainte que le caractère
impérialiste de l’intervention ne devienne trop évidente. L’Egypte
paraît être un candidat possible, en raison notamment de ses liens militaires étroits
avec Washington.
Al Arab, un journal du Qatar, a
cité des sources égyptiennes officielles, et a déclaré que le gouvernement
militaire en Egypte pourrait intervenir pour protéger ses citoyens en Libye.
L’Egypte a considéré les remarques faites par le fils de Kadhafi, Saïf
al-Islam Kadhafi, qui a accusé les Egyptiens de comploter dans le soulèvement
en Libye, d’incitation explicite contre l’Egypte, a-t-il ajouté.
Ecrivant dans le journal britannique The Guardian, Ian Birrell –
qui a été envisagé comme directeur de la communication potentiel de Cameron
– a suggéré que « la seule solution c’est une intervention
rapide dirigée peut-être par l’Egypte ou la Tunisie, dont les armées ont gagné
du respect ces dernières semaines, pour faire sortir Kadhafi de sa base
aérienne et achever son lamentable régime. Ceci devra être soutenu par la Ligue
arabe et de tels événements sont hautement dangereux et imprévisibles.
L’alternative pourrait cependant, être pire. »
La proposition de Birrell est tout aussi réactionnaire. Elle entraînerait
l’Egypte et la Tunisie dans un conflit sanglant en tant que mandataires
des puissances impérialistes et permettrait à leurs gouvernements – alors
qu’ils sont confrontés à un défi révolutionnaire des masses –
d’exiger des pouvoirs spéciaux en avançant les exigences d’une
guerre.
L’Union européenne semble actuellement moins encline que le Royaume-Uni
à saisir l’« opportunité » d’une intervention militaire
en Libye, mais des préparatifs sont en cours. Un haut fonctionnaire de
l’UE a dit aux journalistes que l’intervention militaire était discutée :
« Cette possibilité est une des possibilités auxquelles nous
réfléchissons. »
Lors d’une réunion des ministres européens de la Défense à Budapest,
le ministre français de la Défense, Alain Juppé, avait publiquement écarté une
intervention militaire. « Non. Une intervention militaire étrangère en
Libye n’est pas d’actualité, » a-t-il dit « mais le
durcissement des sanctions de tous ordres, qui peuvent être prises en
particulier celles sur l’espace aérien, mérite d’être
étudié. »
Cependant, lorsqu’une zone d’exclusion aérienne avait été
imposée à certaines parties de l’Irak avant la deuxième guerre du Golfe, elle
était devenue un prétexte pour le bombardement à la fois d’installations
militaires et de régions civiles. Le président français, Nicolas Sarkozy avait discuté
antérieurement l’établissement d’une zone d’exclusion
aérienne.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle a insisté en
disant, « Il y a un plein accord entre de nombreux partenaires de
l’Union européenne. » Il a poursuivi en précisant, « Si cette
violence se poursuit, chacun en Europe saura que cela ne peut pas rester sans
réponse. »
Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a nié que
l’organisation avait des projets quelconques pour intervenir en Libye. Il
avait pourtant soigneusement rédigé sa déclaration en sorte qu’elle
n’écartait pas des actions initiées par certains Etats membres.
« L’OTAN en soi, n’a pas de projets
d’intervention, » a-t-il dit. « Nous n’avons pas reçu de
demande dans ce sens et, en tout cas, toute action devrait être fondée sur un
mandat clair des Nations unies. »
Le gouvernement Obama est en quête d’une position commune avec
l’Europe et les Etats arabes.
La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a été envoyée à Genève
où elle participera à une réunion du Conseil des droits de l’homme. Phillip
J. Crowley, du département d’Etat américain a dit, « Nous pensons
qu’il est important de coordonner nos efforts avec la communauté
nationale, nos alliés européens, les Nations unies et des organisations telle
la Ligue arabe. »
Obama s’était entretenu hier au téléphone avec Cameron, Sarkozy et le
premier ministre italien Silvio Berlusconi au sujet de la Libye.
Une intervention militaire en Libye dépendrait fortement du Royaume-Uni et
de la France qui disposent des forces militaires les plus significatives et
d’une vaste expérience d’intervention en Afrique. Les compétences
des SAS et du SBS britanniques se sont révélées être utiles à Washington en
Afghanistan où ils ont été utilisés pour assassiner des dirigeants talibans. Si
les SAS devaient être déployées en Libye, elles connaîtront bien le terrain vu
que les SAS avaient été impliquées dans l’entraînement des Forces
spéciales libyennes qui massacrent actuellement les manifestants.