Dimanche, le New York Times a
publié une chronique écrite par son rédacteur au courrier, Arthur S. Brisbane,
qui défendait la décision du journal de ne pas divulguer, sous l’ordre de
l’administration Obama, le fait que le tueur de la CIA, Raymond Davis,
soit un employé de l’agence américaine d’espionnage.
Peu importe les intentions de Brisbane,
la chronique est une autocondamnation, montrant que le journal libéral de
référence n’a pas de sens des responsabilités envers la démocratie ou de
fidélité envers les principes journalistiques de base. Cela fait ressortir son
rôle comme quasi-organe de propagande d'État.
Le 27 janvier, Davis, un ancien soldat
des forces spéciales américaines et mercenaire pour Xe Services (auparavant
Blackwater), a tiré en plein jour sur deux jeunes Pakistanais, les tuant alors
qu’il roulait dans un marché bondé de Lahore. D’autres agents de la
CIA, qui se sont rués sur les lieux afin d’empêcher les responsables
pakistanais d’arrêter Davis, ont frappé un troisième homme avec véhicule
et se sont enfuis, laissant leur victime mourrir dans la rue.
Le jour suivant, les autorités
pakistanaises ont arrêté Davis et l’ont accusé de meurtre et de port
d’arme sans autorisation. Le gouvernement américain a exigé, et continue
d'exiger, la libération de Davis aux mains de responsables américains sur la
base qu’il est un responsable de l’ambassade américaine à Islamabad
et qu’il jouit de l’immunité diplomatique. L’administration
Obama a nié les accusations faites par les responsables pakistanais selon
lesquelles Davis est un agent de la CIA.
L’opinion publique pakistanaise a
été outrée par les meurtres et la réaction des États-Unis, ce qui a déclenché des
protestations, qui sont toujours en cours, à Lahore et ailleurs dans le pays.
Même si le Times était au courant
des liens de Davis avec la CIA, il ne les a pas seulement cachés dans le cadre
de ses reportages, il a répondu favorablement à la demande du département
d’État de ne pas rapporter les accusations pakistanaises concernant les
liens de Davis avec la CIA. C’est seulement après que le Guardian,
un journal britannique, a publié un article le 20 février sur les liens de
Davis avec la CIA que le Times, le jour suivant, a reconnu le fait.
Dans l’histoire relatée par le Times
le 21 février, qui explique que les activités de Davis faisaient partie
d’une opération d’espionnage en développement menée par la CIA, le
journal a rapporté qu’il n’avait pas divulgué l’information
sur les liens entre Davis et la CIA à la demande du gouvernement américain.
La chronique de Brisbane du 27 février
débute en citant des extraits de lettres de trois lecteurs dénonçant le Times
pour sa collusion avec le gouvernement dans le but de cacher la vérité.
« Encore une fois », est-il écrit dans une des lettres, « le New
York Times a prouvé qu’il était un pion dévoué du ministère de la
propagande du gouvernement. »
Le rédacteur au courrier montre
clairement qu’il écrit en réponse à une effusion de colère concernant
l’autocensure du journal, mentionnant qu’elle a « causé une
réaction puissante, certaines des lettres étant aussi farouchement critiques
que les commentaires de ces lecteurs. »
En fait, le Times n’a pas de
crédibilité parmi ceux qui suivent les développements internationaux. Les
lecteurs informés ne peuvent qu'assumer que ce qui est publié a été autorisé
par le département d’État, le Pentagone et les agences du renseignement.
Brisbane raconte que le 8 février, le
porte-parole du département d'État, P.J. Crowley, a contacté le Times.
Selon lui, le rédacteur en chef Bill Keller aurait dit : « Il nous
demandait de ne pas reprendre les accusations publiées dans la presse
pakistanaise ou de ne pas spéculer sur elles. Il était inquiet que les trois
lettres C,I et A dans un article du New York Times, même dans le cadre
de suppositions, fassent officiel et déclenchent une réaction en chaîne au
Pakistan. »
Keller n'est aucunement gêné de
reconnaître travailler au nom du gouvernement pour gérer et filtrer le flot
d'information qui rejoindra le public.
« M. Crowley m'a dit que les
États-Unis s'inquiétaient de la sécurité de M. Davis, en détention au
Pakistan », écrit Brisbane. L'apparente préoccupation pour les agents et
les sources des services du renseignement est devenue un prétexte fourre-tout
pour supprimer l'information que le gouvernement souhaite taire à la
population. C'est ce prétexte qui a été utilisé par le New York Times,
ainsi que la plupart des médias américains, en diabolisant WikiLeaks et son
cofondateur Julian Assange.
C'est une excuse générale commode pour
masquer les activités des services du renseignement et des forces secrètes des
États-Unis, car, par la nature même de leurs activités, ces gens mettent leur
vie en danger. En prenant la responsabilité de leur sécurité, le Times
devient leur complice, jouant, on pourrait dire, le rôle du chauffeur
journalistique de ces criminels en fuite.
Après avoir noté que d'autres grandes
organisations médiatiques, comme Associated Press et le Washington Post,
avaient aussi accédé aux demandes du gouvernement de masquer les liens de Davis
avec la CIA, Brisbane reconnaît que même après les révélations faites par le Guardian,
le Times s'est conformé à une demande du département d'État de repousser
d'une journée la publication de son propre article.
Après avoir présenté cette sordide
histoire, Brisbane écrit : « Bien que ce soit extrêmement dur à
avaler, je crois que le Times a fait la seule chose qui était
possible. »
Il tente ensuite de présenter, de façon
sophistique et semi-cohérente, la supposée tension qui existe entre révéler des
secrets gouvernementaux et « sauver des vies ». En répétant, sans se
poser de question, la ligne du gouvernement sur la mise en péril de la sécurité
de Davis, Brisbane et le Times montrent qu'ils soutiennent les
opérations des services du renseignement américains à travers le monde —
opérations qui visent toutes à défendre les intérêts de l'élite patronale et
financière des États-Unis et à appuyer des régimes satellites répressifs.
L'ampleur de l'indifférence envers le
sort des masses qui souffrent des prédations des despotes à la solde des
États-Unis ou directement aux mains de l'armée américaine, comme au Pakistan,
est saisissante. Tandis qu'il s'inquiète pour la sécurité d'un tueur
professionnel, Brisbane semble accorder peu ou pas d'importance aux vies de
Pakistanais ordinaires — ou à celles des Irakiens, des Afghans, des
Yéménites, etc.
Il ne lui vient jamais à l'esprit de
considérer combien de vies pakistanaises seront perdues si on accorde à des
assassins de la CIA comme Davis le droit de tuer en toute impunité.
Brisbane cite d'un ton approbateur
l'auteur et rédacteur adjoint du Washington Post Bob Woodward qui, bien qu'il
mentionne que l'affaire Davis soit seulement que la « “pointe de
l'iceberg” d'une guerre secrète intensive que mènent les États-Unis dans
la région », termine en disant que « personne ne souhaite que
quelqu'un se fasse tuer » et déclare, « les considérations
humanitaires d'abord, le journalisme ensuite ».
Comme si la campagne du gouvernement
américain pour libérer Davis, dont le procès pourrait fournir un témoignage
explosif à propos des conspirations et des provocations américaines au Pakistan
et ailleurs, était un effort humanitaire!
Brisbaneadmetensuiteque la suppression des connexions deDavis avec la CIA par le Timesanécessairement conduit àune couverture inexacteettrompeuse.Ilécrit: «Depuis près de deux semaines, leTimesa tentéde faire rapportsurl'affaire Davistout eneffaçantlaconnexionavec la CIA. Dansla pratique, cela signifiait que sesarticlescontenaient du matérielqui, avec le regard froid de
la rétrospection, semblefort
trompeur ».
Brisbanecitemêmeleprésidentdu départementde journalisme au collège
Emerson, TedGup, quiexpliqueque la
suppression desconnexionsde
Davis avec la CIA impliqueunefalsificationfondamentaleparce que cette questionest aucœurdes questionsjuridiquesetpolitiquesqui entourent l'affaire. « Dans
ce cas, dit Gup, son affiliationpourrait aider à expliquerce qui s'est passé. End'autres
termes, vous ne pouvez pasêtre
en mesurederaconter cettehistoiresansl'identifiercommefaisant partie de
l'agence ou travaillant pour elle ».
Donc, mêmedupoint de vuede lapureéthique journalistique, en laissantde côté les considérationspolitiques oumorales, leTimesreconnaîtqu'il a violétoutefidélitéàl'objectivitéet
s’est engagé dansla
désinformationdu public,à lademandede l'État. Ilne peut y avoirplus clairedéfinitiond'unepressecontrôlée, saufqu’aux
États-Unislacontrainte de l'État n'est
pas nécessaire. Lesmédias
de l'establishmentseconsidèrent
commeun instrumentdu
gouvernementet se censurent eux-mêmes
volontiers.
« Comment une
agence de nouvelles peut-ellemaintenir sa crédibilitéquandles lecteursapprennentplus tardqu'elleacachéce qu'ellesait? »
Brisbanedemande. Comment, en effet !
Brisbanepassesans heurts decedilemmeàuneréaffirmationde la justesse duTimes
d’avoir supprimé des faits. Ilcite le chef de bureau dujournalà Washington, DeanBaquet, en disant: « Je dirais que, compte
tenude lalimitation[seulementune simple limitation !],
nous avonsfaitde
notre mieuxpour n’induire personne en erreur...Je neregrette pasladécisiond’avoir
cacher la véritable identité de Brisbane. Ces questions ne sont pas faciles. »
Certainesquestions sont
peut-être difficiles à résoudre, maisleTimesabeaucoup d'expérience dans le domaine, dans la mesure où ilvérifierégulièrementsesreportagesaveclegouvernementetsupprime des histoiresallantdel'espionnage
intérieuraux crimes de guerreaméricains
à travers le monde.
Responsableenvers
qui? Certainement pasenversla populationdes États-Unis oudu monde. Aveccettetentativecyniqued'autojustification, leTimesvientseulement clarifierqu’il est, avec lerestede lapresse de l’establishment, responsableenversla classe capitaliste américaineet sonÉtat.