Alors que le colonel Mouammar Kadhafi est confronté à une opposition intérieure
de plus en plus importante des masses laborieuses libyennes et de certaines parties
de son propre régime, l’Allemagne a émergé comme un participant à part
entière dans la campagne des grandes puissances impérialistes pour une
intervention en Libye.
Il y a une semaine déjà, le gouvernement allemand avait envoyé des navires
de guerre avec 600 soldats à leur bord vers les côtes libyennes – à un
moment où les Etats-Unis réfléchissaient encore à leur réponse. A la fin de la
semaine, deux avions de transport militaire allemands Transall avaient quitté la
Crète pour la Libye, dans le but prétendu de secourir des citoyens européens se
trouvant sur le champ pétrolier d’Al-Nafoura. Plusieurs unités de parachutistes
formés à la technique du combat derrière les lignes ennemies avaient rejoint
les unités Transall en Crète.
Les médias allemands font campagne pour une zone d’exclusion aérienne.
Comme en Irak, ceci serait le premier pas pour choisir comme cible l’aviation
militaire libyenne et pour prendre le contrôle de l’espace aérien libyen.
Les médias ont également exigé la saisie des fonds libyens à l’étranger.
Ces mesures sont justifiées en invoquant des raisons humanitaires – protéger
la population insurgée contre le régime Kadhafi. De tels prétextes humanitaires
sont totalement cyniques et manquent de crédibilité. Il n’y avait pas eu de
telles propositions de déploiement des forces allemandes pour évacuer des
civils européens se trouvant dans d’autres régimes pro-occidentaux
– tels l’Egypte, la Tunisie, Bahreïn et le Yémen – qui
avaient tiré sur leur peuple au cours des soulèvements de masse déferlant sur l’Afrique
du Nord et le Moyen Orient.
Les raisons pour lesquelles les médias et les responsables de l’Etat préconisent
un traitement différent pour la Libye ne sont pas difficiles à comprendre. La
Libye est vaste, faiblement peuplée et dispose de réserves massives d’une
matière première qu’elle exporte en grandes quantités vers l’Europe
– le pétrole. Elle représente une cible tentante pour un pillage direct
par l’impérialisme occidental qui continue de vaciller sous l’effet
des chocs de la crise économique mondiale.
Les entreprises allemandes ont développé des intérêts substantiels en Libye
depuis 2004 lorsque le chancelier de l’époque, Gerhard Schröder, un social-démocrate,
avait pour la première rendu visite à Kadhafi. Wintershall, une filiale de
BASF, est devenue, avec un volume d’investissement de 2 milliards de
dollars, le plus gros producteur étranger de pétrole en Libye. Les entreprises
industrielles allemandes telles Siemens sont aussi fortement engagées en Libye
et engrangent de vastes sommes d’argent issues de projets
d’infrastructure financés par les revenus pétroliers de la Libye.
L’Allemagne, aussi bien que les Etats-Unis et les autres puissances
impérialistes, craint les implications d’un vide politique en cas de
renversement de Kadhafi. Il n’est actuellement pas clair qui dirige le
mouvement d’opposition. Dans des interviews en provenance de Benghazi et
d’autres villes contrôlées par les forces de Kadhafi, de nombreuses
personnes ont clairement dit qu’elles étaient contre une intervention des
grandes puissances.
La Libye, qui a terriblement souffert sous le règne colonial de
l’Italie, a une longue tradition de luttes anti-impérialistes – une
tradition que Kadhafi a exploité avant de faire sa paix avec
l’impérialisme.
Afin de défendre les investissements que les groupes allemands ont arrangés
avec la dictature de Kadhafi, Berlin doit être capable de menacer d’avoir
recours à la force militaire, et donc elle doit être capable d’y recourir.
C’est la raison principale pour laquelle l’armée et la marine
allemandes ont déployé des forces dans la région.
L’affirmation claire des appétits impérialistes de Berlin va main dans
la main avec la résurgence de la rivalité publique avec d’autres
puissances impérialistes quant au partage du butin. En commentant la prestation
de Westerwelle à Genève, Spiegel Online écrit :
« L’Allemagne joue un rôle actif en Méditerranée en ne concédant
aucun terrain à la France et à l’Italie qui sont plus compromises que
Berlin du fait de leurs liens avec d’anciens et nouveaux potentats en
Afrique du Nord. Après des hésitations initiales concernant les dirigeants en
Tunisie et en Egypte, le ministre des Affaires étrangères a été plutôt direct
dans le cas de la Libye. »
La hâte précipitée et irresponsable de l’élite dirigeante allemande
pour faire jouer ses muscles militaires en Libye suggère qu’elle
considère la crise comme une occasion de débarrasser l’armée allemande de
toute restriction d’après la Deuxième guerre mondiale qui pourrait encore
exister.
Pour l’Allemagne, l’intervention en Libye représente un pas de
plus vers un retour complet du pays au sein du cercle des grandes puissances. Elle
s’ajoute à sa participation à la guerre du Kosovo en 1999, à
l’occupation par l’OTAN de l’Afghanistan, et à une campagne
concertée menée par des politiciens allemands en vue pour surmonter le
sentiment antimilitariste au sein de la population allemande – conséquence
des expériences dévastatrices faites avec le nazisme et deux Guerres mondiales.
Après la démission, en mai dernier, du président allemand Horst Köhler en
signe de protestation contre les critiques faites à l’encontre de sa
déclaration selon laquelle le déploiement allemand en Afghanistan visait à
protéger des intérêts économiques, c’est le ministre de la Défense
Karl-Theordor zu Guttenberg qui avait publiquement préconisé le recours à
l’armée pour la défense des intérêts économiques de l’Allemagne.
Le principal frein politique empêchant la propagation de la guerre impérialiste
à travers le Moyen Orient et finalement du monde, est l’opposition de la
classe ouvrière. Les grandes puissances n’ont pas encore décidé
d’envoyer ouvertement des troupes sur le continent libyen de peur
qu’elles ne soient piégées dans une guerre sans fin contre la population,
comme c’est le cas en Afghanistan, et que ceci provoquerait une
opposition populaire – à la fois sur le front national où les guerres
sont haïes et parmi les masses au Moyen Orient qui se soulèvent à présent
partout dans la région contre des dictatures soutenues par
l’impérialisme.
Mais cela signifie que la question du développement d’une nouvelle
perspective politique et d’une direction politique pour mener les luttes
en rapide développement de la classe ouvrière revêt la plus grande urgence. La
question cruciale est de savoir comment la classe ouvrière peut combattre la
poussée impérialiste vers la guerre.
Le gouvernement conservateur allemand a été capable de poursuivre sans
entrave ses objectifs militaires en raison du manque de toute opposition de la
part des partis politiques traditionnels qui ont adopté des positions
ouvertement pro-militaristes et pro-impérialistes, réprimant le sentiment anti-guerre
des masses.
Le président du groupe parlementaire social-démocrate (SPD) et ancien
ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a salué expressément
les sanctions adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU et leur
soutien par le gouvernement allemand. Son vice-président, Gernot Erler, soutient
une interdiction de survol et un mandat selon le chapitre 7 de la Charte des
Nations unies. Cette clause avait été avancée par le gouvernement américain
pour justifier la guerre en Irak.
Le camp des Verts a également apporté son soutien. Le 25 février, la
dirigeante du parti des Verts, Claudia Roth, avait attaqué le gouvernement
allemand pour être trop mou à l’égard de la Libye. « Les réflexions
de l’UE au sujet de sanctions contre le régime Kadhafi viennent trop tard
et sont plus qu’attendues, » a dit Roth. Elle a critiqué
l’inaction de l’Union européenne et en a appelé au gouvernement
« pour aider à façonner la politique de l’UE contre Kadhafi au moyen
d’un projet d’action clair » et « pour insister en faveur
d’une politique de sanction unifiée, rapide et efficace. »
Le parti La Gauche (Die Linke) s’est particulièrement retenu de
commenter la situation en Libye et s’est abstenu, aux côtés du SPD et des
Verts, de critiquer le déploiement de la marine allemande le long des côtes
libyennes. Au lieu de cela, La Gauche s’apprête à miner et à démobiliser
toute opposition à l’encontre d’une nouvelle guerre.
Christine Buchholz, un membre exécutif, qui avait rejoint La Gauche en tant
que membre de la fraction de Linksruck (affiliée au Socialist Workers Party
britannique), a publié une courte déclaration intitulée « Libye : Pas
d’intervention militaire. » Elle y réclame un embargo sur les armes
mais déconseille une intervention militaire en argumentant qu’elle
rassemblerait « les gens derrière le régime et coûterait beaucoup de vies
humaines. »
Ceci montre le rôle peu scrupuleux joué par La Gauche qui fonctionne comme
un conseiller du gouvernement allemand quant à la meilleure tactique à employer
pour défendre ses intérêts impérialistes. Buchholz ne met pas en avant une
opposition de principe contre une intervention impérialiste en Libye en mettant
en garde contre le caractère colonialiste de toute sanction appliquée par les
grandes puissances et en soulignant que c’est la tâche des masses
libyennes elles-mêmes, et non de l’impérialisme, de se débarrasser à la
fois de Kadhafi et de la bourgeoisie libyenne en général.
Elle ne parle ni au nom de la classe ouvrière libyenne ni de la classe
ouvrière allemande qui doivent considérer Westerwelle et la chancelière allemande
Angela Merkel, et leurs homologues du SPD, comme leurs ennemis de classe
acharnés.
Les questions sociales et politiques qui ont fait descendre des millions de
personnes dans la rue au Maghreb et au Moyen Orient – la pauvreté,
l’inégalité, le manque de droits démocratiques – ne peuvent pas
être résolues dans le cadre du système capitaliste. Ces mêmes questions poussent
des millions de travailleurs en Allemagne, en Europe et partout dans le monde à
entrer en lutte contre l’aristocratie financière et son système politique
ossifié.
La lutte pour la démocratie est indissolublement liée à la lutte pour le
pouvoir ouvrier et à la transformation socialiste de la société partout dans la
région et mondialement. Les travailleurs allemands doivent manifester leur
solidarité avec les travailleurs libyens et arabes en s’opposant à toute
intervention militaire et en se mobilisant sur la base d’une politique
socialiste et internationaliste contre les exploiteurs à l’intérieur.