Le gouvernement français du président Nicolas Sarkozy a
étendu la reconnaissance diplomatique au soi-disant Conseil intérimaire
national libyen. C'est le premier gouvernement extérieur à prendre cette
décision.
Selon l’Agence France Presse, le gouvernement
Sarkozy veut aussi recommander à ses homologues au sommet de l’Union
européenne qui se termine aujourd’hui, que les quartiers généraux de
commandement de Kadhafi devraient être bombardés.
Ces interventions agressives et unilatérales dans les
affaires libyennes ont lieu au milieu des préparatifs à Washington et à
Bruxelles, ainsi qu’au Conseil de sécurité de l’ONU, quant à la
manière de forcer l’effondrement du régime libyen du colonel Mouammar
Kadhafi. Kadhafi est confronté au défi du Conseil national de
l’opposition qui a été formé le mois dernier après le déclenchement dans
l’Est du pays de protestations de masse contre le régime de Kadhafi.
Il y a des discussions concernant des frappes aériennes,
des zones d’exclusion aérienne et d’autres mesures destinées à
mettre au pouvoir à Tripoli un gouvernement bienveillant envers les sociétés
pétrolières transnationales et les intérêts des puissances occidentales.
En reconnaissant le Conseil national, Paris jette
potentiellement une bouée de secours à l’organisation qui est confrontée
à une situation de plus en plus difficile dans son combat au sein de la Libye.
Les forces de Kadhafi ont à nouveau capturé Zawiyha, ville pétrolière à 50 kilomètres
à l’Ouest de Tripoli et où se trouvent une raffinerie et aussi
l’important complexe pétrochimique de Ras Lanuf sur le Golfe de Syrte, à
l’Est du pays.
L'utilisation par le gouvernement de la force aérienne
aurait joué un rôle important dans chaque combat. Des avions de combat auraient
bombardé une autre ville pétrolière, Brega, à environ 80 kilomètres à
l’Est de Ras Lanuf.
La position provocante du gouvernement français a été
saluée par la direction de l'opposition dont le siège est à Benghazi. Moustapha
Gheriani, chargé des relations avec les médias au quartier général de
l’opposition, a dit à la presse que la reconnaissance diplomatique est le
« premier clou dans le cercueil de Kadhafi. » Il a ajouté :
« La France joue le rôle de brise-glace dans l’Union européenne. Nous nous attendons à ce que toute l’Europe suive. »
L’impérialisme français promeut ses intérêts de
façon agressive – notamment ceux de sa principale compagnie pétrolière,
Total – dans une région où elle avait auparavant des possessions coloniales
considérables.
La reconnaissance diplomatique de la France ouvre la voie
à des recettes pétrolières s’élevant à des milliards de dollars et à des
actifs financiers libyens gelés qui seront transmis à la direction
autoproclamée des forces anti-Kadhafi basées dans la ville orientale de
Benghazi. Cette décision extraordinaire a été prise en dépit du fait que la
direction de l’opposition ne soit pas élue ; que sa composition ne
soit toujours pas claire ; et que bon nombre de ses membres dirigeants
soient des membres de l’ancien gouvernement Kadhafi, dont le président du
conseil, Moustapha Abdel-Jalil, ancien ministre de la Justice du gouvernement.
Une réunion des ministres européens des Affaires
étrangères a imposé d'autres mesures contre le gouvernement libyen. Elle a
ajouté à sa liste de sanctions cinq institutions financières dont
l’Autorité libyenne d’investissement de 70 milliards de dollars et
la banque centrale de Libye. Les discussions se poursuivront aujourd’hui
et devraient inclure la décision d’étendre les sanctions à la compagnie
pétrolière d’Etat de la Libye.
Chacune des principales puissances européennes cherche à
promouvoir ses propres intérêts impérialistes en Libye et au Moyen Orient. La
Grande-Bretagne et la France ont présenté une requête unie pour
l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne, mais elles sont
elles-mêmes divisées sur certains points. Le ministre britannique des Affaires
étrangères, William Hague, semble rejeter les suggestions selon lesquelles son
gouvernement suivrait rapidement la reconnaissance par la France de la
direction de l’opposition. « Nous reconnaissons plutôt des Etats que
des groupes au sein d’Etats, » a-t-il dit de manière significative.
Une réunion des ministres de la Défense de l’OTAN
s’est accordée hier pour rapprocher de la Libye des bâtiments de guerre,
dont une frégate allemande, un croiseur italien et des démineurs. Les navires
augmenteront la surveillance de la Libye et contrôleront l’embargo sur
les livraisons d’armes au pays.
Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh
Rasmussen, a dit que ces navires permettraient « à l’OTAN
d’accroître la connaissance de la situation et contribuera à notre
capacité de surveillance et de contrôle, y compris de l’embargo sur les
armes ». Il a ajouté qu’il y avait trois conditions à une
intervention : « Premièrement, il doit y avoir un besoin démontré
pour une action de l’OTAN. Deuxièmement, il doit y avoir une base
juridique claire. Troisièmement, il doit y avoir un soutien ferme dans la
région. »
Le Conseil national a joué un rôle tout à fait
réactionnaire tout au long du soulèvement anti-Kadhafi. Le mouvement avait été
déclenché par des travailleurs et des jeunes libyens, inspirés par les
révolutions de Tunisie et d' Egypte et poussés par les mêmes questions que leurs
homologues d’Afrique du Nord : l’inégalité sociale, le chômage
de masse, les opportunités restreintes d’éducation, les réformes de
« libre marché » et les programmes de privatisation, ainsi que la
répression et la corruption gouvernementales.
Le Conseil national représente une section de
l’élite dirigeante libyenne qui, dès le début du soulèvement, s’est
empressée de s'emparer et de détourner la révolte en train de se produire. Pour
cette couche, l’éviction de Kadhafi est un moyen de promouvoir ses
propres intérêts politiques et économiques.
La direction officielle de
l’opposition est tout aussi hostile que le régime de Kadhafi à
l’égard de toute menace aux relations de propriété capitalistes en Libye.
Il a de façon continue lancé ses appels non pas en direction
des aspirations de la classe ouvrière, mais aux grandes puissances. Al Jazeera
a rapporté hier que le « conseil intérimaire national, dont le siège est à
Benghazi, a dit qu’il respectera les accords pétroliers signés par la
Libye. » Le porte-parole de l’opposition, Hafiz Ghoga, a
ajouté : « Nous cherchons à accroître notre production pétrolière,
mais le bombardement de certains emplacements pétroliers affectera certainement
nos niveaux de production. »
Cette déclaration montre les calculs financiers et
stratégiques se cachant derrière toute zone d’exclusion aérienne qui
pourrait être imposée par les puissances américaine et européennes.
Mais, des divisions tactiques significatives apparaissent
au sein des grandes puissances et au sein du gouvernement américain même quant
à la manière d'intervenir efficacement en Libye.
Le Conseil de sécurité de l’ONU est arrivé hier à
une impasse sur la question d’un vote pour une zone d’exclusion
aérienne, avec la Russie et la Chine s'opposant même à toute décision en faveur
d’un projet d’action militaire.
Washington a rejoint hier le gouvernement allemand pour
rejeter, du moins pour le moment, les décisions britannique et française de
convaincre l'OTAN d’imposer une zone d’exclusion aérienne. Le
secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a dit que la planification
d’urgence continuerait, mais que c’était là « toute la mesure
d’une zone d’exclusion aérienne. » Gates a ajouté que
l’embargo sur les armes vers la Libye ne serait pas appliqué par la force
militaire à moins d’y être autorisé par le Conseil de sécurité de
l’ONU.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido
Westerwelle, a déclaré : « Une chose est absolument claire pour le
gouvernement allemand – nous ne voulons pas être aspiré dans une guerre
en Afrique du Nord. » Westerwelle a ajouté que la reconnaissance
diplomatique par Sarkozy de la direction de Benghazi semblait avoir été décidée
« sur un coup de tête. »
La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a
dit hier au Comité des Appropriations du Congrès (House Appropriations
Committee) qu’elle parlerait à la direction de l’opposition
libyenne lorsqu’elle se serait en Tunisie et en Egypte la semaine
prochaine. Mais, le New York Times a fait remarquer, Clinton
« paraissait bien plus prudente au sujet d’une intervention
militaire qu’elle ne l’était il y a une semaine, en s'alignant plus
étroitement aux mises en garde faites par le secrétaire à la Défense, Robert
Gates. »
« En l’absence d’autorisation
internationale, une action unilatérale des Etats-Unis mènerait à une situation
dont les conséquences sont imprévisibles, » a déclaré la secrétaire
d’Etat. Clinton a mis en garde que des zones d’exclusion aérienne
et des frappes aériennes n’encourageront peut-être pas le changement de
régime visé sous la poussée des Etats-Unis, en disant que la zone
d’exclusion aérienne imposée en Irak dans les années 1990
« n’avait pas empêché Saddam Hussein de massacrer son peuple sur le
terrain et ne l’avait pas fait partir. »
Dire si oui ou non l’armée américaine, qui mène déjà
deux guerres néocoloniales en Afghanistan et en Irak, est capable de cette
action est une autre question. Au sein du haut commandement il y a clairement
une inquiétude quant aux implications d'une guerre en Libye, notamment au
moment où Kadhafi semble prendre le dessus sur le terrain.
Le directeur du renseignement américain, James Clapper, a
dit au Congrès qu’à long terme, « le régime l’emportera »
en raison de sa supériorité en puissance de feu. Clapper a ajouté que les
défenses aériennes libyennes sont « plutôt considérables, » venant
tout de suite après celles de l’Egypte dans les pays arabes.
Durant une audition de la Commission des forces armées
(Armed Services Committee), le lieutenant-général, Ronald Burgess, directeur de
l’agence du renseignement militaire, a approuvé Clapper. « Pour le
moment, il [Kadhafi] semble faire preuve de persévérance à moins que ne
survienne un autre changement dynamique, » a-t-il dit en ajoutant que la
dynamique « a commencé par se déplacer » en direction de l’armée.
Burgess a aussi reconnu que l’imposition d’une zone
d’exclusion aérienne « serait considérée comme un acte de
guerre. »
Certains responsables de la Maison Blanche semblaient,
toutefois, remettre en question ces évaluations. Le conseiller national
d’Obama pour la sécurité nationale, Tom Donilon, a dit aux journalistes
que Clapper avait fourni une « évaluation statique » de la situation.
« Mais, si vous regardez à travers une ‘lentille dynamique’,
en tenant compte de la motivation, de l’isolement, de la perte de
légitimité de Kadhafi… on peut arriver à une évaluation
différente, » a déclaré Donilon.