Mardi,
le tribunal correctionnel de Paris a ajourné le procès pour corruption de
Jacques Chirac qui a été président de la République française entre 1995 et
2007.
Chirac a été maire de Paris (1977-1995) pour le RPR
(Rassemblement pour la République) gaulliste, qui est actuellement l’UMP
du président Nicolas Sarkozy. Le 30 octobre 2007, la juge d’instruction
Xavière Simeoni avait mis en examen Chirac pour avoir détourné 4,5 millions
d’euros de fonds de la ville de Paris pour des emplois fictifs financés
par la mairie de la ville. Les employés concernés étaient payés non pas pour
travailler officiellement pour la ville de Paris mais pour préparer les
campagnes politiques et présidentielles de Chirac. Les procédures
judiciaires sur cette affaire traînent depuis 1999 .
Deux volets différents concernant les emplois fictifs,
l’un instruit à Nanterre et l’autre à Paris, ont été réunis mardi
en un seul procès. L’avocat de la défense de l’un des co-prévenus
de Chirac dans l’affaire de Paris a affirmé que l’inculpation clé
était prescrite et qu’il était inconstitutionnel de réunir deux volets en
un seul procès.
Le juge Dominique Pauthe a renvoyé le procès au mois de
juin en demandant à la plus haute juridiction de France, la cour de cassation,
de statuer sur la question. La cour de cassation pourra se tourner vers le
Conseil constitutionnel, organe formé de personnalités politiques désignées,
qui contrôle la constitutionnalité des lois françaises.
Chirac, en tant qu’ancien président, est membre du
Conseil constitutionnel qui se prononcera sur la recevabilité de son procès.
Chirac a dit qu’il n'assistera pas aux délibérations concernant son
procès.
Des commentateurs sont sceptiques quant à la reprise du
procès en juin, entre autres, parce que la campagne des élections
présidentielles de 2012 battra son plein.
Alain Juppé, ancien premier ministre et maire adjoint de Paris
sous Chirac, et qui est actuellement le ministre des Affaires étrangère de
Sarkozy, avait été condamné en 2004 pour ces mêmes délits à une peine
d’un an d’inéligibilité et à une amende. Chirac avait échappé au
jugement à cette époque grâce à une loi accordant l’immunité aux
présidents dans l’exercice de leurs fonctions. (Voir « France
: Alain Juppé condamné pour corruption . ») Depuis la fin de
son mandat présidentiel en 2007, ses avocats, tout en affirmant que Chirac
souhaite être jugé afin de pouvoir prouver son innocence, ont recouru à des
tactiques dilatoires pour l’empêcher de comparaître.
Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, du Parti socialiste a
parlé d’un « système de détournement de fonds publics au profit
d’un clan. » Toutefois, un accord a été conclu entre Delanoë et les
avocats de Chirac, validé le 27 septembre 2010 par le Conseil de Paris, dans sa
grande majorité des membres du Parti socialiste, par lequel la ville retire ses
accusations en échange du remboursement de 2,2 millions d’euros dont elle
dit qu’ils ont été détournés. L’UMP a payé 1,65 millions
d’euros et Chirac les 550.000 euros restant.
Il faut bien préciser que le détournement des fonds de la
ville de Paris n’est certainement pas le plus grand délit commis par
Chirac en tant que président. C’était sous la présidence de Chirac
qu’avaient été supprimées les preuves du soutien français au régime du
groupe ethnique Hutu qui avait organisé en 1994 le génocide rwandais, que les
interventions impérialistes dans des pays africains, dont la Côte d’Ivoire
et le Congo, avaient été réalisées et que la France avait participé à
l’invasion de l’Afghanistan aux côtés des Etats-Unis. Sur le plan
national, les coupes sociales de Chirac, figurant dans le plan Juppé, avaient
provoqué la grève massive menée par les cheminots en 1995, et qui fut suivie en
2003 par le mouvement national de grève contre la réduction des droits à la
retraite.
Néanmoins, la décision illustre la manière dont le système
juridique et politique de la France peut être manipulé pour défendre des individus
politiquement apparentés.
La décision d’ajourner le procès de Chirac reflète
aussi la fébrilité de l’élite politique française devant la perte de
crédibilité de ses institutions d’Etat et de l’UMP (Union pour un
mouvement populaire), le parti conservateur au pouvoir. Toutes deux sont
d’ores et déjà profondément enlisées dans une série de scandales
politico-financiers, impliquant souvent des rivalités amères entre des figures
dirigeantes de l’UMP.
Le siège de l’UMP a été perquisitionné lundi par la
police dans le cadre de l’affaire Woerth-Bettencourt et
d’allégations de financement illégal de la campagne du président Nicolas
Sarkozy ainsi que de trafic d’influence. Jeudi, l’agence
d’information libyenne Jana a annoncé, en réaction à la reconnaissance par
la France du gouvernement d’opposition de Benghazi, qu’elle avait
en sa possession des informations secrètes liées au financement de sa campagne
électorale qui pourrait « faire chuter Sarkozy. »
La révolution tunisienne a révélé au
grand jour les relations corrompues de la ministre des Affaires étrangères,
Michèle Alliot-Marie qui a passé Noël avec sa famille aux frais d’un
proche collaborateur du dictateur Ben Ali. Elle avait autorisé
l’exportation d’équipement anti-émeute fabriqué en France et
proposé une aide policière contre le soulèvement populaire jusqu’au
moment même de la fuite de Ben Ali, le 14 février.
Le discrédit ainsi jeté sur elle et la politique étrangère
française ne lui permettant plus de rester en fonctions, Sarkozy a été
contraint de la remplacer par Alain Juppé. Mais, Juppé est un
détourneur de fonds publics précédemment condamné.
Le premier ministre François Fillon a également été
démasqué pour ses vacances de Noël de 2010 en qualité d’invité du
dictateur égyptien, Hosni Moubarak, quelques semaines seulement avant le
déclenchement de la révolution égyptienne. Lui a pourtant
réussi à s’accrocher à son poste.
D’intenses conflits au sein de l’UMP
impliquant de lourdes sanctions légales menacent de faire imploser le parti.
Celui-ci est déchiré par le conflit concernant l’affaire Clearstream
entre l’ancien premier ministre Dominique de Villepin (un protégé de
Chirac) et Sarkozy ; l’affaire des pots-de-vin pour la vente de
sous-marins au Pakistan, le Karachigate concernant des financements par
l’ancien premier ministre Edouard Balladur et son associé, Sarkozy. Tous
deux sont impliqués dans des rivalités de longue date entre les camps dirigés
aujourd’hui par Chirac et Sarkozy au sein de la droite française.
Deux réunions qui se sont tenues à l’Elysée au cours
de ces deux dernières semaines entre Sarkozy et Villepin sont manifestement une
tentative de réparer les pots cassés. Villepin s’est positionné comme
rival de Sarkozy aux élections présidentielles de 2012 en se présentant comme
un gaulliste social et un défenseur des intérêts impérialistes de la France à
l’étranger.
Une condamnation de Chirac discréditerait considérablement
la présidence. Il encourt une peine de dix ans d’emprisonnement. De
nombreux commentateurs ont signalé que les deux derniers chefs d’Etat
français à avoir été jugés étaient Louis XVI, durant la révolution française en
1792, et Philippe Pétain en 1945 pour avoir collaboré à la tête du régime
collaborationniste de Vichy avec l’occupation nazie.
Le dilemme est que si Chirac ne comparaissait pas ou
s’il était acquitté, alors même que Juppé, son étroit collaborateuravait
été condamné pour les mêmes délits, le haut niveau d’impunité concédé par
le système judiciaire français serait encore davantage démasqué.
Il y a aussi des signes que le parti d’opposition,
le PS, ne souhaite pas regarder de trop près l’affaire de détournement de
fonds de Chirac. C’est pour cela que la direction du PS continue
d’émettre des sons conciliants, en apparence en contradiction avec le
groupe PS à la mairie de Paris, dans le but de ne pas avoir l’air de
laisser Chirac s’en tirer à si bon compte.
Arnaud Montebourg, qui avait précédemment lancé des appels
stridents pour que Chirac passe en justice et qui agit actuellement en
dénonciateur d’abus de corruption massive au sein de la bureaucratie
social-démocrate à Marseille, a été cité dans Le Monde du 8 mars
disant : « Cela n’a plus de sens de le juger aujourd’hui.
Il a une retraite bien méritée. »
En 2000, l’actuel directeur du Fonds monétaire
international, Dominique Strauss-Kahn, favori présidentiel du PS pour les
élections de 2012, avait été lui-même démasqué pour son implication dans ce
« clan ». La confession vidéo de Jean-Claude Méry, promoteur
immobilier, avait révélé un système de pots-de-vin politiques pour des travaux
commandés en sous-traitance par la municipalité. Strauss-Kahn avait gardé la
cassette pendant deux ans sans en révéler le contenu.
Pendant deux ans, Strauss-Kahn avait été ministre des
Finances dans le gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin,
jusqu’en novembre 1999 lorsqu’il fut obligé de démissionner pour
avoir reçu des honoraires frauduleux de la Mutuelle nationale des étudiants de
France (MNEF). (Voir: « La démission du ministre de l'Économie et des Finances
français » http://www.wsws.org/francais/News/1999/novembre99/10nov99_Kahn.shtml)
Il passe à présent comme le meilleur candidat PS
susceptible d’être désigné pour l’élection présidentielle de 2012.