La décision du gouvernement Obama et du Pentagone d’ajouter 22 chefs
d’accusation de crime supplémentaires à la plainte contre le soldat
Bradley Manning, l’un de ces chefs d’accusation étant passible de
la peine de mort, est une démonstration brutale de l’esprit haineux de
l’impérialisme américain. En ciblant ainsi Bradley Manning et en
l’accusant d’un crime capital, le gouvernement américain cherche en
même temps à intimider l’ensemble de l’opposition à la politique de
guerre de l’élite patronale et financière.
Quel est le prétendu crime de Bradley ? Il aurait fourni des documents
au site Internet WikiLeaks qui démasque les atrocités américaines en Irak et en
Afghanistan ainsi que les malhonnêtetés diplomatiques commises à travers le
monde.
Le nouveau chef d’accusation le plus grave contre Manning est, en
vertu de l’article 104 du Code uniforme de justice militaire, celui de
« collusion avec l’ennemi » pour avoir livré « soit
directement soit indirectement » des informations. Le Pentagone n’a
pas spécifié qui est le supposé « ennemi » en laissant la possibilité
ouverte que cela pourrait se rapporter à WikiLeaks même – un site
Internet lanceur d’alerte dont les activités de divulgation de secrets
d’Etat et de grands groupes sont légales et qui lui ont valu un large
soutien dans le monde. Le fait de qualifier WikiLeaks
d’« ennemi » américain laisse supposer que le site Internet
pourrait être ciblé pour une action militaire incluant à la fois la guerre cybernétique
et le recours à la violence meurtrière à l’encontre d’individus
tels son fondateur, Julian Assange.
Si « l’ennemi » auquel on se réfère est Al Qaïda ou les
Talibans qui ont soi-disant eu accès à des documents militaires et
diplomatiques classés par le biais de leur affichage sur Internet, les implications
sont encore plus vastes et plus réactionnaires. Non seulement Manning, mais
WikiLeaks et n’importe quel journal, site Internet ou autre publication
dans n’importe quel pays ayant reproduit, divulgué ou commenté les
révélations de WikiLeaks, pourraient faire l’objet de poursuites
identiques.
De plus, compte tenu du caractère omniprésent de l’Internet, toute
personne qui divulgue une information classée secrète à un média quelconque, et
non seulement à WikiLeaks, pourrait être inculpée de « collusion avec
l’ennemi ». C’était exactement la position adoptée par le
gouvernement Nixon en 1971 lorsque Daniel Ellsberg avait fait passer les
Papiers du Pentagone au New York Times et au Washington Post.
Durant les 40 ans écoulés depuis les Papiers du Pentagone, les médias
américains ont abandonné toute indépendance vis-à-vis de l’appareil
militaire et de renseignement. Le rédacteur du Times, Bill Keller, écrit
ouvertement sur sa subordination aux censeurs du Pentagone et de la CIA en
déclarant sans complexe que la liberté de presse consiste en
« liberté » de ne pas publier ce qui est considéré préjudiciable
à la sécurité nationale par le gouvernement.
Si les mêmes critères avaient été appliqués durant la guerre du Vietnam, non
seulement Daniel Ellsberg mais Seymour Hersh, qui avaient révélé le massacre de
My Lai, et des dizaines d’autres journalistes auraient été envoyés en
prison pour avoir rendu compte sur les crimes commis par l’armée
américaine et les gouvernements Johnson et Nixon.
En 1971, le Times et le Post sont allés devant les tribunaux
et ont gagné un procès devant la Cour suprême pour la protection de leur droit
de publier les Papiers du Pentagone, un jugement qui, finalement n’avait
pas permis au gouvernement Nixon de poursuivre Ellsberg en justice. De nos
jours, la collaboration des médias américains est un élément essentiel
facilitant la persécution militaire de Bradley Manning.
Non seulement les médias américains approuvent son arrestation et sa
poursuite en justice, mais il y a eu un silence quasi-total sur les mauvais
traitements infligés par l’armée à Manning tout au long de son incarcération.
Le soldat âgé de 23 ans a été placé en cellule d’isolement durant ces dix
derniers mois, il a été soumis à des méthodes d’isolement qui sont grossièrement
abusives et qui ont été dénoncées comme des actes de torture par des groupes de
défense des droits le l’homme. Si un soldat américain avait été détenu dans
de telles conditions comme prisonnier de guerre dans un pays quelconque, le
gouvernement américain et les médias américains auraient exigé que ses geôliers
soient poursuivis pour crimes de guerre.
La vendetta menée contre Bradley Manning contraste fortement avec la défense
catégorique des véritables criminels au sein de l’élite dirigeante
américaine. Plus de deux ans ont passé depuis qu’Obama est entré à la
Maison Blanche. Pendant cette période pas un seul des responsables du
gouvernement Bush n’a été poursuivi pour avoir lancé une guerre illégale sur
la base de mensonges au peuple américain. En effet, plusieurs documents publiés
par WikiLeaks ont révélé la détermination du gouvernement Obama
d’empêcher des poursuites dans d’autres pays. Pas un seul agent ou
responsable du renseignement n’a été poursuivi pour avoir torturé des
prisonniers. Pas un seul directeur de banque ou PDG n’a été poursuivi en
raison de pratiques criminelles qui ont occasionné la plus grande crise
financière de l’histoire. Et pas un seul cadre supérieur du géant
pétrolier BP n’a été poursuivi pour avoir dévasté le Golfe du Mexique.
Mais, toute la rigueur de l’Etat capitaliste est appliquée à un soldat
héroïque qui apparemment a cru qu’il était de son devoir – justifié
en vertu des principes énoncés contre les crimes de guerre aux procès de
Nuremberg – de porter à l’attention du public les preuves massives
des crimes de guerre commis par les Etats-Unis. Il est probable que le premier
matériel fourni à WikiLeaks a été la séquence filmée dans un quartier de Bagdad
et montrant la fusillade depuis un hélicoptère de combat américain de civils
irakiens dont deux employés de l’agence d’information Reuters.
Si Obama n’avait rien fait d’autre, la décision de poursuivre
Bradley Manning serait suffisante pour qualifier son gouvernement de tout aussi
réactionnaire et belliciste que celui de Bush et Cheney.
Des millions de gens avaient défilé contre la décision du gouvernement Bush
de faire la guerre à l’Irak et un sentiment massif anti-guerre avait joué
un rôle primordial dans la victoire d’Obama lors de la campagne de
nomination du candidat présidentiel démocrate, puis dans l’ élection présidentielle
elle-même en 2008.
Mais, depuis son élection, Obama a gardé Robert Gates, le chef du Pentagone
de Bush et le général David Petraeus, son commandant en chef, et il a poursuivi
l’occupation de l’Irak conformément au calendrier de « retrait »
élaboré par Bush tout en intensifiant aussi considérablement la guerre en
Afghanistan et au Pakistan. A présent, le gouvernement délibère publiquement
s’il doit engager une troisième guerre américaine dans une autre région
riche en pétrole et il positionne des moyens militaires pour une éventuelle intervention
en Libye.
Toutes ces démarches ont eu lieu sans la moindre opposition de la part des
organisations de protestations qui avaient condamné le gouvernement Bush. Totalement
subordonné au Parti démocrate, le milieu libéral de gauche a directement saboté
le développement d’un massif mouvement anti-guerre.
Une condamnation à mort plane au-dessus de la tête du soldat Bradley Manning
dans des conditions où la lutte de classe retourne sur la scène aux Etats-Unis
et internationalement. Il existe un lien inhérent entre la brutalité infligée à
Manning et la virulence avec laquelle ces mêmes représentants de l’élite
patronale lancent leur assaut contre la classe ouvrière.
La lutte de masse contre la guerre doit être reprise mais placée sur une
nouvelle base politique : celle de l’opposition aux partis Démocrate
et Républicain et au système capitaliste qu’ils défendent. La
revendication de la libération de Bradley Manning doit être inscrite sur les
bannières d’un nouveau mouvement de masse socialiste de la classe
ouvrière.