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L'adoption d'un projet de loi, à l'Assemblée du Wisconsin, qui privera près de 200 000 travailleurs du secteur public du droit de négociation collective et qui sabrera leurs salaires et avantages sociaux marque une étape considérable vers la dictature ouverte des banques et des grandes sociétés.
La veille de l'adoption, les républicains avaient fait passer le projet de loi au sénat de l'État, par une manoeuvre législative secrète, probablement illégale. Afin de contourner le règlement qui exige que les deux tiers des membres soient présents à un vote lié aux dépenses d'État pour faire quorum, les républicains du sénat ont retiré du projet de loi les mesures fiscales. Celui-ci sera probablement promulgué en loi vendredi par le gouverneur Scott Walker.
Parmi ses nombreuses dispositions réactionnaires, la loi va entre autres forcer les travailleurs à doubler leur contributions aux régimes de santé et de retraite, entraînant ainsi des baisses de salaires draconiennes de 8 pour cent, et même 20 pour cent dans certains cas. Cela n'est que le début d'un assaut continu sur les salaires et avantages sociaux des travailleurs.
La loi servira aussi à criminaliser toute tentative des travailleurs de résister à d'autres attaques sur leurs salaires. En plus de la proscription de la négociation collective pour presque tous les travailleurs du secteur public, y compris ceux des municipalités et des comtés, une disposition du projet de loi accorde au gouverneur la possibilité de renvoyer unilatéralement des salariés en grève en déclarant « l'état d'urgence ».
Sous le titre « Congédiement des employés de l'État », la loi stipule que « Le gouverneur peut décréter l'état d'urgence pour l'ensemble de l'État, ou toute région de l'État, s'il ou elle détermine qu'il y a urgence en raison d'une catastrophe ou la menace d'une catastrophe imminente. » Agissant par l'entremise d'un organisme attitré, le gouverneur pourrait ensuite congédier tout employé qui « (a) ne se présente pas au travail trois jours durant l'état d'urgence, (b) participe à une grève, un arrêt de travail, une occupation, un débrayage, un ralentissement du travail, ou tout autres actions concertées pour interrompre les opérations ou les services du gouvernement d'État ».
Ces mots sont une autre indication que l'époque de compromis entre les classes est bel et bien terminée aux États-Unis. Les couches dirigeantes tentent de ramener les conditions du 19e siècle et l'exploitation la plus sauvage de la classe ouvrière.
La lutte pour établir les les syndicats industriels légaux, représentant des professions et des industries plutôt que des métiers particuliers et visant à défendre le droit de négocier avec l'employeur collectivement plutôt qu'individuellement, s'est déroulée sur une période de 60 ans durant laquelle les grèves les plus féroces et sanglantes ont éclaté.
De l'éclatement de la grève des chemins de fer de 1877 au grèves avec occupation de Flint en 1937, les luttes ouvrières ont souvent pris une forme insurrectionnelle en raison de l'intransigeance de certaines des plus puissantes compagnies au monde. On n'a qu'à nommer parmi ces luttes massives les grèves de Pullman, Homestead, Lawrence, et la grève de l'acier de 1919, ainsi que les conflits sanglants de Haymarket, Ludlow, Calumet et Republic Steel.
Le gouvernement dirigeait par injonction, déclarant que les syndicats et les grèves étaient des « coalitions » illégales de travailleurs. Quand cela échouait, il avait recours à la violence. Les dirigeants de la classe ouvrière étaient régulièrement emprisonnés, exécutés ou battus et pendus. Des milliers de salariés sont morts aux mains des Pinkertons, des briseurs de grève, des hommes de main, de la police et des milices d'État. Nulle part ailleurs dans le monde la lutte pour la syndicalisation a-t-elle été aussi sauvage et brutale qu'aux États-Unis.
Finalement, dans les années trente, après l’éclatement des grandes grèves générales de 1934 à San Francisco, Minneapolis et Toledo, et particulièrement après la grève avec occupation de Flint en 1936 et 1937, le principe de la légalité des syndicats et des négociations collectives a été établi et la violence féroce des grandes sociétés a été restreinte.
La longue expansion du capitalisme américain après la Deuxième Guerre mondiale a jeté les bases pour plusieurs décennies de compromis de classe, supervisés par les bureaucraties de l’AFL et de la CIO et leur théorie moderne de négociation collective. En échange de l’acceptation des syndicats par les entreprises et l’État, les travailleurs ont dû abandonner toutes idées liées à des changements sociaux fondamentaux. La loi Taft-Hartley de 1947 et les purges anticommunistes des syndicats ont assuré que la bureaucratie syndicale resterait docile et qu’elle adopterait comme principe de base la défense de la rentabilité du capitalisme américain.
La viabilité de cette perspective a été de courte durée. Dès les années 1970 et 80, le capitalisme américain déclinant rapidement devant ses rivaux, la classe dirigeante a commencé une offensive impitoyable contre les travailleurs. Le pacte que l’AFL-CIO avait signé avec le capitalisme s’est transformé en une participation active dans cette attaque. Dès l’attaque brutale de Reagan sur les contrôleurs aériens lors de la grève de PATCO en 1981, la bureaucratie syndicale a consciemment agi pour isoler et étouffer les grèves chez Phelps Dodge, Greyhound, Hormel, AT Massey et bien d’autres.
Les trahisons des syndicats ont eu comme conséquence une situation historiquement sans précédent : des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, les grèves ont pratiquement disparu du paysage industriel américain. Le déclin des conflits de classe ouverts, réprimés artificiellement, a coïncidé avec une hausse majeure des inégalités, l’aristocratie financière américaine accumulant d’énormes richesses par la décimation de l’industrie et des conditions de la classe ouvrière.
L’attaque sur les travailleurs du secteur public du Wisconsin, ainsi que leur résistance acharnée, montre que ce processus a atteint un nouveau stade.
Le tournant vers des méthodes dictatoriales n’émergent pas essentiellement des caractéristiques personnelles de Walker ou même de celles du parti républicain, mais plutôt de la crise avancée du capitalisme américain, qui a supprimé toute base qui rendait le compromis entre les classes possible. La crise qui éclaté en 2008 a fourni l’occasion pour conjuguer la destruction des droits démocratiques – intensifiée toute de suite après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 – aux attaques sur le niveau de vie de la classe ouvrière. Cela est clair autant dans la forme que dans le contenu dans le projet de loi : une loi qui retire aux travailleurs des droits élémentaires ne pouvait seulement être adoptée que de manière antidémocratique flagrante.
Face à cette attaque, les syndicats de l’AFL-CIO ne sont qu'une entrave aux travailleurs. Dès que Walker a déposé son projet de loi il y a près d’un mois, toute leur stratégie était de repousser son attaque sur les cotisations syndicales automatiques en acceptant toutes ses demandes pour des concessions financières de la part des travailleurs. En d’autres termes, les syndicats cherchent à garder la fiction légale de la négociation collective – et, du même coup, leur entretien financier – en l’abandonnant en pratique.
La stratégie impuissante et lâche des syndicats est intimement liée à leur soutient au Parti démocrate, qui mène en Californie, à New York et dans d'autres États, des attaques aussi brutales que celles contenues dans le budget de Walker. Quant à l'administration Obama et les démocrates au Congrès américain, ils collaborent avec les républicains pour sabrer les services sociaux de plusieurs milliards de dollars.
L'attaque sur les droits et salaires des travailleurs du secteur public exige une réplique du même ordre : la grève générale. Cette revendication a déjà un important appui chez les travailleurs. Une résistance déterminée à Walker va s'attirer le soutien général de toute la classe ouvrière. Celle-ci est victime de coupes sauvages dans les salaires et avantages sociaux dans le secteur privé, et elle sera aussi dévastée par le budget de deux ans de Walker et ses coupes en éducation et en santé.
La bureaucratie syndicale s'oppose bien plus à un tel plan d'action qu'elle ne s'oppose au projet de loi de Walker. Tout de suite après son adoption au sénat mercredi soir, les chefs des deux plus grands syndicats du secteur public du Wisconsin, Mary Bell, présidente du syndicat des enseignants, le Wisconsin Education Association Council, et Marty Beil du Syndicat des employés de l'État du Wisconsin, ont indiqué qu'ils acceptaient l'adoption du projet de loi et ont signalé aux travailleurs de ne pas faire grève. « J'ai demandé aux enseignants du Wisconsin d'être au travail demain », a dit Bell, la seule demande qu'elle ait faite durant ses brèves remarques. Le mot d'ordre de ne pas faire grève a été repris par les syndicats des enseignants des deux plus grands arrondissements scolaires de l'État, Milwaukee et Madison. Les syndicats des chargés de cours aux campus de l'Université du Wisconsin dans les deux villes ont aussi affirmé qu'ils ne prévoyaient pas tenir un vote de grève.
Les syndicats déclarent maintenant que le seul moyen de défendre les travailleurs est d'appuyer la destitution de huit sénateurs républicains pour les remplacer par des démocrates. Cette tactique, même si elle parvenait à démettre une poignée de législateurs républicains, ne renverserait aucunement les baisses de salaires ou le draconien budget d'État, qui sont appuyés par les démocrates. Le véritable but de cette manoeuvre, comme dans le cas où des sénateurs démocrates avaient quitté l'État, est de désamorcer l'accroissement du militantisme des travailleurs et de la jeunesse.
Il est nécessaire et urgent que la direction de la lutte au Wisconsin soit retirée des mains des syndicats, du Parti démocrate et de leurs alliés. Des comités indépendants des travailleurs de la base doivent être formés sur les lieux de travail pour répandre l'appel à la grève général et s'y préparer. L'objectif d'une telle grève doit être la destitution de Walker et le rejet de chacune de ses propositions.
Les événements au Wisconsin posent la question fondamentale de l'organisation de la société. L'économie sera-t-elle organisée pour satisfaire les besoins de la population ? Ou continuera-t-elle d'être soumise à la volonté acharnée d'enrichissement personnel de l'aristocratie financière, et à la dictature qui en résultera inévitablement ?
Pour que la classe ouvrière puisse défendre ses droits sociaux – de bons emplois, une éducation, des soins de santé, des retraites et des logements de qualité – une nouvelle perspective politique qui rejette le « droit » aux immenses fortunes personnelles des riches est nécessaire.
Le World Socialist Web Site, le Parti de l'égalité socialiste et l'Internationale étudiante pour l'égalité sociale organisent une conférence à Ann Arbor, au Michigan, les 9 et 10 avril, sous le thème de The Fight for Socialism Today (La lutte pour le socialisme aujourd'hui), dans le cadre d'une série de conférences à travers les États-Unis. Cette conférence sera consacrée à l'organisation d'une défense et à la construction d'une nouvelle direction politique capable de conduire la lutte naissante de la classe ouvrière à la victoire. Nous appelons les travailleurs et la jeunesse, à Madison et à travers les États-Unis, à décider dès aujourd'hui d'assister à ces conférences.
(Article original paru le 11 mars 2011)
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