Le procureur général de la Cour pénale
internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, a exigé hier que soient émis des
mandats d'arrêt contre le chef libyen Mouammar Kadhafi, son fils Saïf al-Islam
et le chef des services de renseignement Abdoullah al-Sanussi, sous des
accusations de crimes contre l'humanité.
Trois juges de la CPI vont maintenant
faire l'étude d'un dossier de 74 pages détaillant les présumés crimes avant de
rendre une décision sur l'émission des mandats d'arrêt. Ces gestes viennent à
la suite d'une requête que le Conseil de sécurité de l'ONU avait faite fin
février pour qu'une enquête criminelle soit menée. La Grande-Bretagne et la
France, soutenus par les États-Unis, ont engagé ces procédures dans le cadre de
leurs tentatives pour effectuer un changement de régime en Libye, dans le but
d'installer un régime fantoche dans cet État riche en pétrole stratégiquement
positionné.
L'hypocrisie totale des puissances
impérialistes portant des accusations de crimes contre l'humanité est
flagrante. Les gouvernements de Washington, Londres et Paris n'ont aucune
autorité légale, politique ou morale pour porter ces accusations contre
quiconque. Ils sont collectivement coupables de crimes de guerre infligés
chaque jour à la population libyenne.
Quelques heures seulement après que
Moreno-Ocamp a soumis son dossier à la CPI, le complexe résidentiel de Kadhafi
à Tripoli a été une fois de plus la cible de frappes aériennes de l'OTAN, dans
une autre tentative d'assassiner l'homme fort de la Libye. Ces tentatives
illégales des États-Unis et de l'Europe visant à liquider d'importants membres
du régime prennent place tandis que les bombardements s'intensifient. Toute une
série d'infrastructures civiles est maintenant prise pour cibles.
De nombreux civils et des centaines de
soldats libyens ont été tués. L'OTAN prétend de moins en moins limiter son
intervention à la protection des civils face à la répression du régime Kadhafi
(la raison officielle de l'intervention telle qu'établie dans la résolution
1973 des Nations unies). Les forces spéciales et des agents des services de
renseignement des puissances occidentales sont actifs sur le terrain,
coordonnant les frappes aériennes de l'OTAN et les tactiques des soi-disant
combattants « rebelles ».
Cette guerre néocoloniale n'est qu'une
des multiples opérations militaires des États-Unis internationalement.
L'administration Obama a intensifié la guerre en Afghanistan, étendu le conflit
jusque dans les territoires frontaliers du Pakistan et commandé des assassinats
extrajudiciaires au Yémen, en Somalie, au Pakistan et dans d'autres pays.
De plus, Washington refuse lui-même de
reconnaître la CPI. Il n'a soutenu le Conseil de sécurité et l'initiative de
déférer les présumés crimes de Kadhafi à la CPI qu'après avoir obtenu
l'immunité pour ses chefs politiques et militaires devant une possible enquête
des tribunaux internationaux sur leur rôle dans la guerre en Libye.
Par ses actes contre Kadhafi, la CPI
montre qu'elle est un outil malléable de l'impérialisme américain et européen.
Le dossier d'accusation contre la
direction de la Libye a été préparé plus rapidement que tout ce qui avait été
jusque-là présenté à la CPI et il semblerait qu'il a été complété en
collaboration directe avec les agences gouvernementales des États-Unis. Le New
York Times a noté dans une conférence de presse tenue hier à la CPI que
« le procureur a laissé entendre qu'il avait obtenu des renseignements
d'autres gouvernements ».
La poursuite est clairement motivée par
des impératifs militaires et politiques. Le fait qu'elle ait dû être précipitée
est peut-être dû aux tentatives du gouvernement italien d'en arriver à un
accord politique avec Kadhafi, menaçant ainsi les plans de changement de régime
des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France.
Hier, en début de journée, avant que
Moreno-Ocampo ne soumette son dossier à la CPI, le ministre des Affaires
étrangères italien Franco Frattini a déclaré qu'il travaillait sur un plan pour
permettre une « sortie politique » à Kadhafi et que d'autres membres
du régime, dont « on connait déjà l'identité », seraient invités à
joindre un « gouvernement de réconciliation nationale ».
La semaine dernière, Frattini a
publiquement mis en garde qu’un mandat d’arrêt de la CPI contre
Kadhafi voudrait dire qu’à « partir de sa mise en vigueur, une
sortie du pouvoir ou du pays ne serait plus possible » parce qu’
« après qu’un mandat d’arrêt a été émis, toute la communauté
internationale a des obligations légales ».
C’est précisément ce résultat que
Washington, Londres et Paris recherchent dans le but de créer les conditions
pour une escalade massive de la guerre, incluant le déploiement possible de
troupes au sol.
Le porte-parole de l’OTAN, Oana
Lungescu, a répondu aux nouvelles des gestes de la CPI en défendant
l’idée d’un changement de régime, déclarant :
« C’est difficile d’imaginer qu’une véritable transition
peut prendre place en Libye alors que ceux qui sont responsables
d’attaques systématiques et généralisées contre la population civile
demeurent au pouvoir. »
Le régime de Kadhafi a rejeté ces
accusations. « Nous croyons que ces questions ne sont pas de la compétence
de la CPI », a dit la sous-ministre des Affaires étrangères, Khaled
al-Khiam. « Nous pensons que la Cour pénale internationale cible
volontairement des États africains. »
Le soi-disant Conseil national de
transition de Benghazi a accueilli les nouvelles. « Ça nous remonte
grandement le moral », a dit Mustafa Gheriani, un homme d’affaires
et collaborateur au Conseil, au Wall Street Journal.
Moreno-Ocampo de la CPI semble avoir
développé une relation de travail étroite avec les autorités américaines.
L’avocat argentin avait auparavant gagné la confiance de Washington en
indiquant clairement qu’il n’y aurait pas d’enquête sur les
crimes de guerre commis pendant l’invasion de l’Irak.
Un câble diplomatique divulgué par
Wikileaks montre que, seulement trois mois après que Moreno-Ocampo a été élu
procureur en chef au début de 2003, les responsables diplomatiques ont rassuré
le département d’État : « En privé, Ocampo a dit qu’il
souhaitait se débarrasser des questions entourant l’Irak (c'est-à-dire,
ne pas enquêter sur elles) » (voir, en anglais, Cables expose Washington’s
contempt for international law, democratic rights)
Aucune des enquêtes ouvertes par
Moreno-Ocampo au CPI n’implique des crimes commis par des puissances
impérialistes. Plutôt, tous les cas impliquent des atrocités qui auraient été
commises dans des États africains : l’Ouganda, la République
démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Soudan, le Kenya et,
maintenant, la Libye.
Selon la poursuite, Kadhafi, Saïf
al-Islam (décrit comme étant le « premier ministre de facto »), et
Abdoullah al-Sanussi (Le « bourreau », le « bras droit » de
Khadafi) ont tenu régulièrement des réunions afin de coordonner la répression
violente contre les manifestations antigouvernement qui ont commencé en
février. Des ordres auraient été donnés pour supprimer les manifestations en
ayant recours à des tireurs embusqués, des mitraillettes et des armes de gros
calibre.
Le dossier du procureur en chef mentionne
qu'il y aurait eu torture, déclarant : « Parmi les méthodes utilisées
pour torturer de présumés dissidents : attacher des fils électriques sur
les parties génitales des victimes en leur envoyant des décharges électriques
et les fouetter avec des fils électriques après les avoir suspendus la tête en
bas. »
Une telle brutalité est infligée par des
gouvernements répressifs alliés des États-Unis à travers le monde arabe. De
plus, il est bien connu que les États-Unis ont utilisé la torture contre de
présumés terroristes dans des prisons de la CIA en Irak, en Afghanistan, à
Guantanamo et ailleurs.
De proches alliés des États-Unis, qui ont
reçu de l’équipement militaire et d’énormes sommes d’argent,
continuent de réprimer violemment les mouvements d’opposition. Les
gouvernements du Yémen, du Bahreïn et de l’Arabie Saoudite, entre autres,
sont responsables des mêmes crimes soulignés par le compte-rendu de la CPI sur
Kadhafi.