Cette conférence fut prononcée à l'université d'Etat de San Diego le 29
avril. C'était la huitième d'une série intitulée "Tuer pour une cause
supérieure : La violence politique dans un monde en crise" sponsorisée par
l'Institute on World Affairs [Institut des affaires internationales] qui
fait partie du Département de sciences politiques de l'université d'Etat de
San Diego.
Cela fait maintenant presque sept décennies qu'Adolf Hitler et le régime
nazi ont lancé leur programme de meurtres de masse de l'ensemble des juifs
européens. Notre sens de l'énormité de ce crime n'a pas diminué avec le
passage du temps. Au contraire, l'importance de l’Holocauste est souligné
par des évènements qui se développent actuellement : les guerres
impérialistes et d'agression coloniale au nom de la « guerre contre la
terreur », des rivalités qui s'approfondissent entre les puissances
capitalistes les plus importantes et un effondrement de l'ordre économique
capitaliste qui rappelle les crises des années 1930 sur la base desquelles
est apparu le régime nazi.
Si ces remarques peuvent sembler porter à controverse, c'est délibéré,
car l'Holocauste lui-même ne peut être compris sans pénétrer dans les débats
et les controverses qui l'entoure, des controverses qui ont une portée
politique pour le monde contemporain.
Permettez-moi de commencer, pour cette raison, par indiquer certains des
points de vue que je chercherai à réfuter au cours de cet exposé.
En 1996, Daniel Goldhagen, un universitaire de Harvard fit une irruption
remarquée sur la scène avec son livre « Les bourreaux volontaires de
Hitler : Les allemands ordinaires et l'Holocauste » La thèse de
Goldhagen était que l’Holocauste était le produit d’un antisémitisme
meurtrier et profondément ancré dans la psyché et la conception de la vie
des « allemands ordinaires ». Aucune investigation sur le mouvement nazi et
son ascension au pouvoir n'était nécessaire, encore moins un examen des
processus économiques et sociaux qui conduisirent à l'Holocauste. C'était
simplement un résultat de l'antisémitisme, lequel avait amené des dizaines
de milliers d’allemands ordinaires, et aurait pu en amener des millions
d'autres, s'ils en avaient eu l'occasion, à massacrer les Juifs.
Le « succès » commercial qu'a rencontré le livre de Goldhagen repose sur
son côté superficiel et son appel à des explications préconçues et
simplistes qui ne nécessitent ni réflexion ni analyse critique. Cela
correspondait à l'esprit du temps. C'était le « boom » des années 1990 ; le
marché régnait en maître, l'histoire avait atteint son terme avec
l'effondrement de l'Union soviétique et l'esprit critique n'était plus
nécessaire. La thèse de Goldhagen n'en fut pas moins critiquée sur de
nombreux points et son approche rudimentaire rapidement dénoncée.
Prenons, par exemple, l'affirmation que l'antisémitisme des allemands en
tant qu'allemands portait la responsabilité de l'Holocauste. Si, dans la
première décennie du vingtième siècle, on avait posé la question : dans quel
pays est-il le plus probable que des meurtres de masse des juifs soient
organisés, la réponse, presque certainement, aurait été la Russie. Pour ce
qui est de l'Allemagne, l'historien Robert Wistrich notait que « S'il y
avait eu un prix Nobel pour récompenser l'identification passionnée à la
langue allemande et à sa culture avant 1933, les Juifs l'auraient
certainement remporté. » [1]
Bien qu'elle ait été mise en pièce, on retrouve des variantes de la thèse
de Goldhagen comme « explication » de l'Holocauste dans la conscience
populaire. Quelqu’un qui avait entendu le titre de mon exposé et compris que
son but était de révéler les forces directrices sous-jacentes à
l'Holocauste, commenta simplement : « La haine ». La question, pourtant, est
bien plus complexe. Ce qui rend l'Holocauste tellement choquant et si
difficile à comprendre, c'est qu'il s'est caractérisé, selon la formulation
de Hannah Arendt, par « la banalité du mal ». L'extermination de masse fut
organisée par l'intermédiaire d'un appareil bureaucratique dépourvu de toute
passion. Et cette particularité est devenue la base de toute une école de
pensée.
Prenant comme point de départ l'organisation bureaucratique et
l'apparence de rationalité de l'Holocauste, les partisans de l'Ecole de
Francfort soutenaient que ses origines se trouvaient dans la raison
elle-même, dans la pensée humaine, dans les Lumières. Les deux pères
fondateurs de cette tendance, Max Horkheimer et Théodore Adorno, ont écrit
en 1944: « Le dilemme auquel nous faisions face dans notre travail s'est
avéré être le premier phénomène sur lequel nous avons enquêté :
l'autodestruction des Lumières. Nous sommes complètement convaincus... que
la liberté sociale est inséparable de la pensée des Lumières. Néanmoins,
nous croyons que nous avons tout aussi clairement reconnu que l'idée qui
soutient ce mode de pensée, pas moins que les formes historiques
contemporaines — les institutions sociales — avec lequel il est entremêlé,
contiennent déjà la semence du renversement qui est universellement apparent
aujourd'hui. » [2]
Selon ce point de vue, les semences de l'Holocauste sont déposées dans
l'humanité elle-même. Les travaux de l'Ecole de Francfort ont joué un rôle
significatif pour façonner le point de vue de parties de l'intelligentsia,
en particulier de ceux qui clament être de « gauche », et à travers eux, a
exercé une influence dans les champs de l'art et de la culture. Kathryn
Bigelow, lauréate des Oscar de cette année en est un exemple. Discutant des
thèmes de son premier film, Bigelow a déclaré que « dans les années 1960,
vous pensiez à l’ennemi comme à quelques chose d’extérieur à vous même, en
d’autres mots, un policier, le gouvernement, le système, mais en fait ce
n’est pas du tout le cas, le fascisme est très insidieux, nous le
reproduisons tout le temps. » [3]
Ces théories servent un dessin social et politique bien défini. Quel est
l’utilité de lutter pour l’amélioration de la civilisation humaine, pour un
monde meilleur si les formes mêmes de la pensée qui sont à la base de cette
lutte contiennent en elle les germes des formes de régression sociale et de
barbarie qui se sont manifestées dans l’Holocauste ? En dernière analyse,
les semences du fascisme reposent en nous tous. Elles fleuriront si les
conditions adéquates prévalent.
On trouve encore une autre théorie de l’Holocauste, qui n’est pas moins
politiquement significative. C’est l’affirmation que celui-ci n’a pas
découlé des contradictions du système capitaliste, mais simplement des
activités criminelles des nazis, indépendamment de l’ordre social qu’ils
défendaient. Les nazis furent, on ne sait comment, en mesure de s’emparer de
l’Etat allemand et l'utilisèrent ensuite pour mettre en œuvre leur idéologie
raciste meurtrière. En conséquence, la classe capitaliste allemande ne
peut-être tenue pour responsable, car elle était sujette aux dictats des
nazis, tout comme le reste de la société. En plus d’absoudre les élites
dirigeantes allemandes, cette théorie s’est également révélée politiquement
utile dans la période récente, car elle soutient que la leçon à tirer de
tout cela est que la « communauté mondiale » doit agir pour prévenir
l’émergence d’un nouvel Hitler, où qu’il puisse apparaître.
Cela pourrait sembler un but louable. Mais il se trouve que les vues de
la « communauté mondiale » semblent toujours coïncider avec les intérêts des
principales puissances impérialistes. Ainsi nous avons eu deux guerres
lancées contre le régime de Saddam Hussein en Iraq, sous le prétexte de ce
qu’il était le nouvel Hitler et une guerre contre la Serbie et le régime de
Slobodan Milosevic, initiée au motif qu’il était le Hitler des Balkans. Dans
les années 1990, le gouvernement du SPD et des Verts en Allemagne invoqua
même l’Holocauste pour justifier l’intervention militaire sur les anciens
théâtres d’opération de l’impérialisme allemand dans les Balkans.
L'Allemagne, proclamait-on, parmi toutes les nations, pouvait mieux que
personne tirer les leçons de l’Holocauste et, de ce fait, une intervention
devait être organisée pour prévenir un nouveau génocide. Le rôle crucial de
l’impérialisme allemand dans le démembrement de la Yougoslavie dans les
années 1990, qui a libéré les terribles conflits qui s’en sont suivi, fut
passé sous silence.
En opposition à ces théories, cette conférence cherchera à démontrer que
l’arrivée au pouvoir des nazis n’était pas le produit de la malignité
inhérente de l’humanité, ni un produit du modernisme, ni un terrible et
inexplicable accident. Elle fut la réponse de la classe dirigeante
capitaliste allemande à la crise politique et sociale à laquelle elle était
confrontée. De plus, je chercherai à démontrer que la guerre contre l’Union
soviétique, lancée en juin 1941 et la « Solution finale » qui en découla,
furent les conséquences du programme des nazis pour résoudre cette crise
dans les intérêts de l’impérialisme allemand.
Intéressons-nous maintenant à la question première de savoir comment les
nazis ont pu arriver au pouvoir. Le 30 janvier 1933, le jour où Hitler fut
désigné comme chancelier par le président Hindenburg n’a pas été le point
culminant de la « lutte pour le pouvoir » par les nazis. Ce jour là, ils ne
saisirent pas le pouvoir; le pouvoir leur fut remis par le chef de l’Etat
allemand, agissant pour le compte des élites possédantes allemandes et dans
le cadre constitutionnel allemand.
Comme le professeur Ian Kershaw l’a justement fait remarquer, les actions
de Hitler lui-même furent « seulement d’une importance secondaire pour
l’amener au pouvoir ». Sa ligne politique de s’en tenir à des exigences
maximalistes — la fonction de chancelier renforcée par les pouvoirs
autoritaires inhérents à la fonction présidentielle — et son refus de tout
compromis, réussirent en fin de compte, mais « ce fut une conséquence des
actions menées par d’autres, plus que celles de Hitler lui-même. » [4]
Cela dépasserait très largement le temps dont nous disposons ici que de
parcourir tous les méandres de la crise politique qui conduisit à la
décision du 30 janvier 1933. Quantité d’ouvrages ont été écrits sur ce
sujet. Permettez moi de seulement indiquer les tournants principaux.
Dans les cinq années qui suivirent la conclusion de la première Guerre
mondiale et le renversement de l’empereur le 9 novembre 1918, l’Allemagne
fut ravagée par une série de crises politiques et de luttes révolutionnaires
qui culminèrent avec la situation révolutionnaire qui se développa à la fin
de l’été et au début de l’automne de 1923. Mais, la situation changea
toutefois radicalement lorsque le Parti communiste allemand (KPD) annula une
insurrection planifiée en octobre 1923. Cette révolution avortée créa les
conditions politiques pour une stabilisation de l’économie allemande et de
son système politique, largement via l’afflux de capitaux empruntés aux
Etats-Unis. Mais vers la fin des années 1920, ces entrées de capitaux
commencèrent à se tarir et en 1928-29, l’économie allemande connaissait une
baisse significative d’activité. Tandis que la récession s’approfondissait,
la classe capitaliste industrielle allemande se montra de plus en plus
hostile aux concessions sociales précédemment octroyées à la classe ouvrière
par la République de Weimar. La crise atteint son paroxysme en mars 1930,
lorsqu’un gouvernement de coalition comprenant les Sociaux-démocrates (SPD)
et les principaux partis bourgeois s’effondra du fait d'un désaccord à
propos de l'indemnisation du chômage.
Les élections du 30 septembre 1930 virent un vaste changement dans le
paysage politique allemand. Le vote SPD chuta de 6%, tandis que celui du KPD
augmentait de 40%, indiquant un glissement vers la gauche dans la classe
ouvrière. Mais le résultat le plus significatif fut l’énorme augmentation du
vote en faveur des nazis. Celui-ci augmenta de 700%, faisant passer le parti
de la neuvième place à la deuxième place au niveau national. Les nazis qui
n’avaient que 12 sièges au Reichstag en obtinrent plus de 100.
Analysant le résultat des élections, Léon Trotsky avertit que l’arrivée
au pouvoir des nazis en Allemagne était désormais un véritable danger. Ce
danger, insistait-il, ne pouvait être surmonté que par une réorientation
complète du KPD. Il était nécessaire de renverser la politique du « social
fascisme », adoptée au sixième congrès de 1928 de l’Internationale
communiste dirigée par les staliniens. Dans le cadre de cette politique, le
KPD dénonçait le SPD et ses membres, qui comprenaient de larges sections de
la classe ouvrière, comme des « sociaux fascistes », et s’opposait à la
formation d’un front uni des organisations ouvrières pour défaire la menace
nazi. En combattant pour le « front uni » Trotsky insistait sur ce qu’il ne
voulait pas signifier un soutien à la République de Weimar ou aux dirigeants
du SPD et d’autres partis comme étant un « moindre mal », mais d’une
défense, par l’intermédiaire de mesures pratiques bien déterminées, des
gains historiques de la classe ouvrière.
Trotsky expliquait que « Le fascisme n'est pas seulement un système de
répression, de violence et de terreur policière. Le fascisme est un système
d'Etat particulier qui est fondé sur l'extirpation de tous les éléments de
la démocratie prolétarienne dans la société bourgeoise. La tâche du fascisme
n'est pas seulement d'écraser l'avant-garde communiste, mais aussi de
maintenir toute la classe dans une situation d'atomisation forcée. Pour
cela, il ne suffit pas d'exterminer physiquement la couche la plus
révolutionnaire des ouvriers. Il faut écraser toutes les organisations
libres et indépendantes, détruire toutes les bases d'appui du prolétariat et
anéantir les résultats de trois-quarts de siècle de travail de la
social-démocratie et des syndicats. Car c'est sur ce travail qu'en dernière
analyse s'appuie le Parti communiste. » [5]
A la suite des élections du 30 septembre au Reichstag, le régime
parlementaire cessa quasiment d’exister. Le gouvernement du chancelier
Brüning, un membre du Parti du centre, d’obédience catholique, gouverna via
une série de décrets avec le soutien du président Hindenburg. Le
gouvernement Brüning était maintenu au pouvoir grâce à la « tolérance » du
SPD, au motif qu’une nouvelle élection renforcerait la position des nazis.
Mais si les nazis avaient été en mesure de gagner une telle puissance
électorale, cela résultait toutefois de la détermination du SPD de maintenir
la classe ouvrière confinée dans les frontières du légalisme et du
parlementarisme et de bloquer le développement de toute lutte
révolutionnaire.
La situation était intrinsèquement instable. Le régime Brüning reposait
sur le soutien du SPD et de la bureaucratie des syndicats, qui à son tour
dépendait du soutien peu enthousiaste et tiède de la classe ouvrière. Mais,
comme Trotsky le notait, ce système était de plus en plus insatisfaisant
pour les sections dominantes de la classe capitaliste allemande. C'était une
demie mesure. Le problème était que si la classe ouvrière était réprimée par
la bureaucratie syndicale et sociale démocrate, les organisations ouvrières
elles, continuaient d’exister, demeurant une puissante menace potentielle
dans la situation politique. Il fallait que cette menace soit levée par la
destruction de ces organisations.
La crise s’intensifia régulièrement tout au long de l’année 1932, le
point le plus bas de la Grande dépression. Jusqu’à 30% de la force de
travail était inemployée et plusieurs banques firent faillite. Le
gouvernement Brüning tomba en mai et Hindenburg se tourna vers l’aristocrate
prussien Franz von Papen pour former un gouvernement « au-dessus des
partis ». De nouvelles élections se tinrent à la fin de juillet 1932. Les
nazis gagnèrent 37,4% du vote tandis que le SPD et le KPD gagnaient plus de
36% à eux deux. Mais, même si les nazis constituaient à eux seuls le premier
parti du Reichstag, Hindenburg rejetait l’exigence de Hitler d’être désigné
comme chancelier avec les pleins pouvoirs. Au lieu de cela, Hindenburg nomma
à nouveau von Papen. Quand le nouveau Reichstag fut convoqué le 21
septembre, le gouvernement fut censuré dans un vote de 513 à 32. Le
Reichstag fut à nouveau dissout et de nouvelles élections se tinrent le 6
novembre. Cette fois le vote nazi chuta de 2 millions et le vote du KPD
augmenta. Les semaines suivantes furent marquées par une série de manœuvres
qui culminèrent lorsque Hitler fut porté au pouvoir le 30 janvier 1933.
Les sections les plus puissantes de la bourgeoisie se retrouvaient unies
quant à la nécessité de se débarrasser de la démocratie de Weimar et
d’écraser la classe ouvrière organisée. Pourtant, Hindenburg avait refusé
d'installer Hitler au pouvoir, à cause des inquiétudes au sein de la
bourgeoisie et les élites terriennes devant le fait de donner le pouvoir aux
nazis — un gang de parvenus et de semi-criminels issue des basses couches de
la société. Mais, vers la fin de 1932, il devenait de plus en plus évident
que les désagréments possibles d'un régime nazi étaient largement
contrebalancés par le danger de laisser perdurer la crise politique.
Pour la bourgeoisie allemande, avec les événements de 1917-1923 toujours
présents, la révolution sociale était une menace toujours présente, malgré
la servilité du SPD et la banqueroute politique du KPD.
Paradoxalement, l’un des facteurs motivant la décision de placer Hitler
au pouvoir était le déclin significatif du vote nazi aux élections de
novembre et les signes croissants de crise au sein de ce parti. Si la petite
bourgeoisie et les masses paysannes, qui avaient basculé derrière les nazis
au cours des deux dernières années commençaient à s’en détourner, où
iraient-elles ? Peut-être vers le KPD. En outre, il y avait des signes d'une
reprise économique, suscitant la crainte que cela apporterait un renouveau
des luttes ouvrières ; la grève des ouvriers du transport de Berlin de
novembre 1932 constituait à cet égard un avertissement. Dans ces conditions,
la décision fut prise de transférer le pouvoir aux nazis — pour les
« employer » selon les mots de von Papen — avec comme mandat de mettre fin à
la crise politique et d’établir le type de régime nécessaire pour satisfaire
les demandes du capital allemand et d’écraser la classe ouvrière.
Tout au long de la crise politique, le KPD stalinien et le Komintern à
Moscou continuèrent leur opposition à la tactique du front uni — autrement
dit entreprendre la lutte pour gagner les masses ouvrières toujours piégées
dans les rangs de la Social démocratie et les amener vers le KPD, mobiliser
la force autonome de la classe ouvrière et ainsi désintégrer les masses à la
base du Parti nazi. La stratégie politique était remplacée par des
ultimatums bureaucratiques et des slogans vides : "le fascisme social", le
"front uni par la base", "après Hitler, notre tour" et le soutien en faveur
du référendum mené par les nazis pour tenter d'évincer le gouvernement
social démocrate de Prusse. Il en résulta que le mouvement ouvrier
socialiste le plus puissant jamais vu, le plus développé politiquement, a
été vaincu, ce qui constitue le plus grand échec de la classe ouvrière de
l'histoire.
Une des questions les plus controversées entourant le rôle du parti nazi
a été ses relations avec la grande entreprise allemande. Dans son livre
German Big Business and the Rise of Hitler l'historien américain Henry
Ashby Turner consacre de longs développements à démontrer que les ressources
financières de la grande entreprise ne jouèrent pas un rôle décisif dans
l’ascension et le développement du Parti nazi. Quoi qu’il en soit, le propre
travail de Turner démontre que la grande entreprise allemande était
profondément hostile à la République de Weimar et à la démocratie
parlementaire et qu'elle a oeuvré à l'établissement d'un régime autoritaire
pour écraser la classe ouvrière. Quand l'installation des nazis au pouvoir
fut devenu la seule option viable pour établir un tel régime, les grandes
entreprises se mobilisèrent et fournirent des sommes importantes au Parti
nazi pour les élections générales du 5 mars 1933 en échange de l'engagement
de Hitler que, quel que soit le résultat, il mettrait fin au système de
Weimar et éradiquerait le marxisme.
Lorsque j’étais étudiant dans les années 1960 il était largement entendu
que l’arrivée au pouvoir des régimes fascistes était une réponse directe de
la classe capitaliste aux dangers posés par le mouvement de masse ouvrier
socialiste, dont le plus puissant se trouvait en Allemagne. C'est surtout au
cours des 25 dernières années que cette compréhension des choses fut soumise
à des attaques incessantes.
Un article publié à la fin de 2005 par l'historien britannique Michael
Burleigh dans la revue de droite Weekly Standard notait : « quand
j'ai commencé à enseigner l'histoire de l'Allemagne moderne il y a 20 ans,
il était toujours indispensable de consacrer une attention considérable aux
tentatives marxisantes de faire porter la responsabilité du fascisme à telle
ou telle section de la grande entreprise. Une grande partie de la
littérature était écrite par des universitaires orientés à gauche, tandis
que les cours sur le fascisme avaient tendance à attirer un nombre
disproportionné d'étudiants de la frange radicale. Les choses ont évolué
depuis et il est plus commun de nos jours de discuter du nazisme comme d’une
variété "d’Etat racial ", ou même comme d’une religion de substitution … »
[6]
Dans son propre livre The Third Reich: A New History, publié en
2001, Burleigh a affirmé que « l’école des vœux pieux sur le rapport entre
le capitalisme et le fascisme » avait été complètement démolie par Turner.
[7] Selon Burleigh, le nazisme était une sorte « de religion politique » et
son ascension au pouvoir et les crimes qu'il a commis ne pouvaient pas être
liés au capitalisme.
Mais la question du rapport entre le mouvement nazi et la grande
entreprise est loin d'être épuisée simplement par le niveau de financement.
Le mouvement marxiste n'a jamais soutenu que derrière le Parti nazi il y
avait quelque cabale secrète des dirigeants de la grande entreprise tirant
les ficelles. Cela ne signifie pas, pourtant, que les conceptions et
l'idéologie du mouvement nazi étaient sans rapport avec les besoins et les
intérêts les plus profonds de l'impérialisme allemand.
En nous tournant vers l'idéologie du mouvement nazi et son rapport à
l'impérialisme allemand, commençons par la propre explication d'Hitler de
son antisémitisme. Alors même qu'il utilisait quelquefois des images et des
références religieuses au cours de ses campagnes, l'hostilité de Hitler
envers les Juifs n'était pas fondée sur les enseignements des églises
chrétiennes. Il était enraciné dans les doctrines racistes développées dans
la dernière partie du dix-neuvième siècle pour tenter de répondre à la
croissance des mouvements socialistes de masse soutenus par la classe
ouvrière. L'antisémitisme apparaissait comme un moyen de mobiliser la petite
bourgeoisie et les masses paysannes et de réprimer le prolétariat et de le
subordonner aux besoins de la nation. Et ce programme était sans aucun doute
dans les intérêts de la grande entreprise allemande et des élites
terriennes.
Dans Mein Kampf, écrit pendant qu'il était en prison pour sa
tentative de putsch à Munich en octobre 1923 — une incarcération très
confortable, il faut le noter —Hitler a expliqué comment sa haine des Juifs
était liée à sa haine du marxisme.
Après avoir lutté pour en venir aux prises avec la question juive dans la
Vienne d’avant-guerre, écrivait-il, les écailles tombèrent de ses yeux
« Lorsque je découvris que le Juif était le chef de la social-démocratie » …
« Le destin me donna lui-même la réponse pendant que je m’absorbais dans
l’étude de la doctrine marxiste… La doctrine juive du marxisme rejette le
principe aristocratique observé par la nature, et met à la place du
privilège éternel de la force et de l’énergie, la prédominance du nombre et
son poids mort. Elle nie la valeur individuelle de l’homme, conteste
l’importance de l’entité ethnique et de la race, et prive ainsi l’humanité
de la condition préalable mise à son existence et à sa civilisation. » [8]
Comme le journaliste Konrad Heiden l’a noté dans sa biographie de Hitler,
le mouvement ouvrier ne lui a pas répugné parce qu'il était mené par les
Juifs, plutôt les Juifs lui ont répugné parce qu'ils ont mené le mouvement
ouvrier. C'était le socialiste Karl Marx qui avait enflammé l'antisémitisme
d'Hitler. [9]
La doctrine nazie de « L’état racial » n'a pas été créée par Adolf
Hitler. Elle utilise une série de théories racistes développées au sein de
cercles académiques et politiques de droite dans la dernière partie du
dix-neuvième siècle et dans la première décade du 20ème. Les doctrines
d'infériorité de race, la nécessité du nettoyage ethnique et la lutte pour
supprimer ou exterminer les individus "dégénérés", qui devaient fournir la
base idéologique de l’Holocauste, n'ont d'aucune façon été confinés à
l’Allemagne ou à l’Europe. Ils ont été discutés dans certaines des
principales institutions des États-Unis, dont les universités de l’Ivy
League [groupe de huit universités privées du nord-est des Etats-Unis, parmi
les plus anciennes et prestigieuses du pays, ndt].
Pour illustrer ce point, permettez moi de citer certains passages d’un
livre d’un auteur hautement respecté, Lothrop Stoddard, publié en 1922,
intitulé The Revolt Against Civilization: The Menace of the Under Man
[La révolte contre la Civilisation : La menace de l’homme inférieur, ndt].
Stoddard était un docteur en philosophie de Harvard dont le travail a été
loué par deux présidents américains Warren Harding et Herbert Hoover. Il
était si largement connu qu’il est mentionné dans Gatsby le Magnifique
[roman de Francis Scott Fitzgerald publié en 1925, ndt]
L'utilisation du terme homme inférieur (Under-Man) est significative. Un
des mots qui est le plus étroitement associé à la doctrine nazie est celui
de Untermensch. Il est le plus souvent traduit par "sous-homme", mais
la traduction littérale est "homme inférieur".
Dans ses livres — un autre titre de sa plume s’intitule Le flot
montant des peuples de couleur contre la suprématie mondiale des blancs
— Stoddard se préoccupait de questions intensément débattues à l'époque,
dont faisait partie la menace posée par les races inférieures et de couleur,
et le rôle de l'eugénisme dans l'amélioration de la qualité de la race. Bien
que ces questions aient été à l'étude depuis longtemps, dans le monde des
années 1920, un nouveau facteur avait émergé : la Révolution russe de 1917
et l'émergence du bolchevisme comme le plus grand danger pour la
civilisation.
Stoddard était un adversaire viscéral de l'égalité. L'inégalité,
écrivait-il, a son fondement dans la nature. La civilisation était seulement
possible pour certaines races. Mais pas seulement cela, la présence au sein
de la société de races incapables d’atteindre à la civilisation était une
menace pour la société elle-même. En relation avec ces conceptions était la
soi-disant science eugénique ou "d'amélioration raciale", qui avait des
implications considérables pour l'organisation sociale.
Selon
Stoddard : « La multiplication des supérieurs est un processus
de construction de la race ; l'élimination des inférieurs est un processus
de nettoyage de la race. … le nettoyage de la race est le point de départ
évident pour l'amélioration de la race." L'amélioration de la race était
liée au concept de dégénérescence. "La dégénérescence est … une plaie
cancéreuse, s’étendant constamment, souillant et gâtant les éléments sains,
détruisant les valeurs de la race et augmentant les fardeaux sociaux. En
fait, la dégénérescence ne fait pas que handicaper la société, elle menace
son existence même. … Nous … voyons que nos maux sociaux sont grandement le
produit de la dégénérescence et que l'élimination du dégénéré ferait plus
que toute autre chose pour les résoudre. Mais la dégénérescence peut être
éliminée seulement en éliminant le dégénéré. Et ceci est un problème racial
et pas une question sociale. … les individus inaptes aussi bien que les
conditions sociales injustes doivent être éliminés. » [10]
L’homme inférieur était un ennemi de la civilisation parce que la nature
elle-même avait jugé qu’il ne pouvait pas s’élever à ce niveau. Mais
maintenant l’homme inférieur, l'adversaire du progrès et de la civilisation,
avait acquis un champion.
« La signification du syndicalisme et de son excroissance, le
bolchevisme, peut difficilement être surestimée. Ce n'est pas une
exagération de dire que c'est le phénomène social le plus terrible que le
monde ait jamais vu. Dans le syndicalisme nous avons pour la première fois
dans l'histoire une philosophie à part entière de l’homme inférieur — le
prologue de cette vaste révolte contre la civilisation qui, avec le
bolchevisme russe, a vraiment commencé. … Cette philosophie de l’homme
inférieur se nomme aujourd'hui le bolchevisme. » [11]
Le bolchevisme était l'ennemi par excellence de la civilisation et de la
race, il a menacé de « dégrader chaque fibre de ce que nous sommes » et
finalement « il nous précipitera dans la barbarie, un monde racialement
appauvri et dans le plus dégradé et désespéré des abâtardissements » Donc,
le bolchevisme devait être écrasé « à n’importe quel prix ».
Et, comme beaucoup d'autres, dont Winston Churchill, Stoddard a noté le
rôle important joué par les Juifs dans tous les mouvements révolutionnaires
sociaux, « à partir du temps de Marx et d'Engels jusqu’au régime largement
judéo-bolchevique de la Russie soviétique d’aujourd'hui. » [12] Tous les
éléments clé de la biologie raciale des nazis et de ses implications
meurtrières sont ici présents.
D’autres éléments clés du programme nazi, ceux qui se réfèrent
spécifiquement à la situation allemande, furent développés dans des cercles
de droite au cours des trois décennies précédentes.
En 1901, le terme Lebensraum, ou l'espace vital, qui devait
occuper une place si centrale dans l'idéologie nazie, a été forgé par
l'auteur Friedrich Ratzel. Il soutenait que le développement d’un peuple
était conditionné par sa capacité à s’étendre, et que les peuples en bonne
santé devaient avoir de l’espace pour grandir et se développer. Selon
Ratzel, il était nécessaire pour l'Allemagne, dans l’intérêt de la santé
raciale, d’avoir des colonies, comme les autres pouvoirs coloniaux, la
France et la Grande-Bretagne.
Alors que Ratzel écrivait sur le besoin de colonies, d’autres se
tournaient vers le continent européen comme espace d’expansion. Le problème
avec la tentative d'acquérir des colonies était que l'Allemagne se heurtait
constamment à ses rivaux. Au lieu des colonies d'outre-mer, des sections de
l’armée, imprégnés de la perspective raciste si répandue dans les cercles
dirigeants, regardaient plus près de chez elles. Dans un livre publié en
1912, le général Friedrich Bernhardi insistait sur ce que la guerre était
une « nécessité biologique » car sans guerre, « les races inférieures ou
décadentes pourraient aisément étouffer la croissance d'éléments sains et
une décadence universelle s’ensuivrait. » [13] Comme l'historien Fritz
Fischer l’a découvert dans les années 1960 — ce qui déclencha une opposition
furieuse au sein de l'establishment des historiens allemands — les
militaires allemands avaient établi un plan en septembre 1914 pour
l'acquisition de larges bandes de territoire en Europe, y compris à l'Est.
La « thèse de Fischer » a suscité une controverse intense parce qu'elle a
établi la continuité essentielle entre les buts de politique étrangère de
l'Allemagne impériale dans la première Guerre mondiale et ceux du régime
nazi.
Dans Mein Kampf, Hitler a lié ensemble les doctrines de race,
d’antisémitisme, de Lebensraum et la lutte contre le bolchevisme. Le
bolchevisme russe, insistait-il, devait être considéré comme la tentative de
la communauté juive pour accéder au gouvernement mondial au vingtième
siècle. La lutte contre la bolchevisation mondiale juive nécessitait de ce
fait une attitude claire à l’égard de la Russie soviétique. Et cela même
était lié à l'expansion du Reich allemand — la poussée pour le Lebensraum.
La nation devait être renforcée, non pas par la colonisation outre-mer, mais
par l'acquisition de territoires qui « augmenteront l’étendue de la mère
patrie ». En unissant ces thèmes dans sa discussion de la « politique de
l'Est », Hitler écrivait : « Nous arrêtons l’éternelle marche des Germains
vers le sud et vers l’ouest de l’Europe, et nous jetons nos regards sur
l’Est… Mais si nous parlons aujourd’hui de nouvelles terres en Europe, nous
ne saurions penser d’abord qu’à la Russie et aux pays limitrophes qui en
dépendent.»
Parce que la Russie soviétique était dirigée par les Juifs, l’Allemagne
avait le droit de la conquérir : « depuis des siècles, la Russie vivait aux
dépens du noyau germanique de ses couches supérieures dirigeantes qu’on peut
considérer actuellement comme extirpé et anéanti. Le Juif a pris sa place.
Et tout comme le Russe est incapable de secouer le joug des Juifs par ses
propres moyens, de même le Juif ne saurait, à la longue, maintenir le
puissant État. Lui-même n’est pas un élément organisateur, il n’est qu’un
ferment de décomposition. L’État gigantesque de l’Est est mûr pour
l’effondrement. Et la fin de la domination juive en Russie sera aussi la fin
de la Russie en tant qu’État. Nous avons été élus par le destin pour
assister à une catastrophe, qui sera la preuve la plus solide de la justesse
des théories racistes au sujet des races humaines. » [14]
De peur que quelqu'un ne croie que ces conceptions de conquête et de
colonisation étaient seulement le résultat des divagations de Hitler,
soulignons qu’elles étaient fermement enracinées dans des événements très
contemporains. Quand la Première Guerre mondiale prit fin en novembre 1918,
il n'y avait aucune troupe étrangère sur le sol allemand et le Reich
occupait de vastes régions en Ukraine, avec des parties de la Russie. Le
point de départ de la perspective de Hitler d'un empire basé sur la conquête
à l'Est était le territoire qui avait été saisi par l'Allemagne du fait des
dispositions du Traité de Brest-Litovsk, que le gouvernement soviétique
avait été forcé de signer le 3 mars 1918. L’étendue du territoire saisi par
l'Allemagne peut être vue sur la carte ci-dessous.
Les conceptions de Hitler sur l'empire et le Lebensraum ont été
précisées plus avant dans son Deuxième Livre, non publié, écrit en
1928. Dans celui-ci, nous trouvons son examen des implications du deuxième
grand changement dans le monde de l’après première Guerre mondiale — le
développement de la domination économique des États-Unis. En 1914, les
Etats-Unis étaient toujours une nation débitrice. Une décennie plus tard,
ils étaient devenus le principal pouvoir financier du monde.
Dans son Deuxième Livre, Hitler reconsidère le besoin du
Lebensraum dans le contexte de la domination économique globale des
États-Unis et de la pression que cela plaçait sur l'Europe. Les conceptions
européennes du niveau de vie étaient maintenant déterminées, pas seulement
par ses propres possibilités économiques, mais aussi par ce qui prévalait
aux États-Unis. Il y avait, pourtant, une différence importante. L'économie
américaine reposait sur un beaucoup plus vaste marché intérieur.
Les perspectives pour le peuple allemand au sein de l'ordre existant
étaient sombres, écrivait Hitler, parce que, même si les frontières de 1914
étaient restaurées — ce qu’exigeaient tous les mouvements de droite au sein
des élites militaires et des élites possédantes allemandes — ce ne serait
pas suffisant pour garantir un standard de vie comparable à celui de
l'Amérique. L'Allemagne serait entraînée dans une lutte pour la domination
des marchés mondiaux comme elle l’avait été en 1914.
L'acquisition par l’Allemagne de marchés d'exportation plus importants
par la concurrence n'était pas une route viable vers la prospérité,
insistait Hitler, parce que, outre le fait que toutes les puissances
européennes s'efforçaient de faire de même, l'Amérique était désormais, dans
de nombreux secteurs, le concurrent le plus redoutable.
« La taille et la richesse de son marché intérieur » écrivait
Hitler, « permet des niveaux de production et par conséquent des unités de
production qui font baisser le coût du produit à un tel point que malgré les
salaires très élevés, la vente à des prix défiant toute concurrence ne
semble plus possible du tout. L’évolution de l’industrie automobile peut
servir ici d’exemple instructif. Ce n’est pas seulement que nous les
Allemands, par exemple, malgré nos prix ridicules, ne sommes pas en mesure
d’exporter avec succès contre la concurrence américaine même a un degré
moindre ; il nous faut assister à la prolifération des véhicules américains
même dans notre propre pays. Cela n’est possible qu’à cause de la taille du
marché intérieur américain et de la richesse de son pouvoir d’achat et
aussi, une fois de plus, les matières premières garantissent à l’industrie
automobile américaine des chiffres de vente domestique qui seuls permettent
des méthodes de production qui seraient tout simplement impossibles en
Europe du au manque de possibilités de vente sur le marché intérieur. »
[15].
En d’autres mots, comme l’a fait remarquer l’historien Adam Tooze, le
‘fordisme’— à cette époque le plus haut développement de la productivité du
travail et donc de la rentabilité capitaliste — requérait le Lebensraum.
Les doctrines racistes développées précédemment étaient maintenant
intégrées dans une perspective qui voyait la tâche clé comme le
développement de la capacité économique de l'Allemagne et de l'Europe dans
sa totalité, comme un défi à lancer à la domination des États-Unis. La
réponse ne se trouvait pas dans quelque mouvement paneuropéen — qui était,
comme Hitler y a insisté, une conception juive puérile. L'unification
européenne devait se réaliser sur la base d'une lutte lancée par l'Etat le
plus fort, à la manière dont Rome avait conquis les états latins et la
Prusse avait forgé le Reich allemand.
« Dans le futur », écrivait Hitler, « le seul Etat qui sera en mesure de
tenir tête à l'Amérique du Nord sera l'Etat qui a compris comment — de par
le caractère de sa vie intérieure aussi bien que par la substance de sa
politique externe — élever la valeur raciale de son peuple et l'amener dans
la forme nationale la plus pratique pour ce but. … Cela est … le devoir du
mouvement national-socialiste de renforcer et préparer notre propre patrie
au plus haut degré possible pour cette tâche. » [16]
Quand Hitler a écrit ces lignes en 1928 elles peuvent avoir semblé un peu
éloignées des politiques de la classe dirigeante allemande … sur la frange
de la droite extrême. La politique de Gustav Stresemann, le principal
politicien bourgeois durant la République de Weimar, était de chercher la
restauration de la position allemande sur le plan européen et comme
puissance mondiale par la participation au marché mondial sous les auspices
politiques et économiques des États-Unis. Mais la situation était sur le
point de changer radicalement. L'année 1928 devait être la dernière de
l'expansion de courte durée de l'après-guerre. En l'espace de seulement deux
ans, le marché mondial s'est pratiquement désintégré. Les transferts de
capitaux ont cessé, des tarifs douaniers ont été érigés et la bourgeoisie de
chaque pays se tourna de plus en plus vers des solutions nationalistes.
Vers le début des années 1930, les deux doctrines clés du mouvement nazi
— le besoin de purger l'Allemagne du marxisme et la poursuite d'un programme
économique nationaliste basé sur le Lebensraum — était en train de
rencontrer l'orientation politique de sections grandissantes des élites
dirigeantes allemandes.
Comme Adam Tooze l'a noté : « L'originalité du national-socialisme était
que, plutôt que d'accepter docilement une place pour l'Allemagne au sein
d'un ordre économique global dominé par les pays prospères de langue
anglaise, Hitler a cherché à mobiliser les frustrations contenues de sa
population pour monter un défi épique à cet ordre global. En répétant ce que
les européens avaient fait à travers le globe pendant les trois siècles
précédents, l'Allemagne se créerait sa propre arrière-cour impériale; par
une ultime conquête de terre à l'Est, elle se créerait la base autonome tant
pour assurer l'abondance domestique qu'en tant que plateforme nécessaire
pour prédominer dans la compétition entre superpuissances qui s'annonçait
avec les États-Unis. » [17]
En écrivant juste cinq mois après l'installation de Hitler au pouvoir,
Trotsky a dessiné sur la carte le parcours du régime Nazi. Les Nazis avaient
accédé au pouvoir par leur capacité de mobiliser la petite bourgeoisie
furieuse et désorientée. Les vieux partis de la bourgeoisie s'étaient
effondrés mais les partis de la classe ouvrière ne pouvaient proposer aucune
voie pour échapper à la crise de la société capitaliste. La
social-démocratie s'était dévouée à la défense de l'ordre bourgeois et du
parlementarisme contre la révolution socialiste, pendant que le Parti
communiste avait convoqué les masses à la révolution, mais avait été
complètement incapable de la réaliser.
Dans ces conditions, les Nazis ont été en mesure de tourner les illusions
et les désillusions de la petite bourgeoisie en un programme politique et
d'accéder au pouvoir. Mais une fois au pouvoir, ainsi que Trotsky l'a écrit,
les tâches de Hitler ont été déterminées par les intérêts du capital
monopoliste : « La concentration forcée de toutes les forces et moyens du
peuple dans l'intérêt de l'impérialisme, qui est la véritable mission
historique de la dictature fasciste, implique la préparation de la guerre ;
ce but, à son tour, ne tolère aucune résistance intérieure et conduit à une
concentration mécanique ultérieure du pouvoir. » [18] Il était impossible de
réformer le fascisme ou de lui donner son congé, il serait seulement
renversé par la guerre ou la révolution. Dans un post-scriptum plus tardif,
Trotsky a noté que la date d'une nouvelle catastrophe européenne serait
déterminée par le temps qui serait nécessaire pour réarmer l'Allemagne. Ce
n'était pas une question de mois, mais ce n'était non plus une question de
décades. D'ici à quelques années, l'Europe ferait face à la perspective
d'être plongée à nouveau dans la guerre.
Le caractère sans précédent du régime nazi a conduit à l'assertion,
inlassablement reprise, que d'une manière ou d'une autre, le caractériser,
comme l'a fait Trotsky, comme un régime de capital monopoliste, n'est qu'un
exemple "de la grossièreté" de l'approche marxiste. Inversement, est-il
argumenté, c'était le régime nazi qui a imposé son agenda politique à la
grande entreprise, conformément à ses buts politiques et racistes. C'est un
argument particulièrement commode politiquement, parce que cela signifie que
le capital monopoliste ne peut pas être tenu responsable des horreurs du
régime de Hitler. Il a, comme toutes les autres sections de la société, été
soumis à la dictature nazie.
Permettez-moi de clarifier ce point pour commencer : je ne suggère pas
que les chefs de la grande entreprise ont, d'une manière ou d'une autre,
directement dictés l'agenda politique du régime de Hitler. Aucun
gouvernement capitaliste n'opère de cette manière. Mais, cela étant dit,
c'était bien sûr un régime de capital monopoliste.
Nous pouvons peut-être comprendre plus clairement les complexités
impliquées si nous nous tournons vers la situation aux États-Unis durant la
même période. Personne n'a aucun doute aujourd'hui sur le fait que
l'administration de Franklin Roosevelt a joué un rôle absolument décisif
pour défendre le capitalisme américain contre la révolution socialiste au
cours des années 1930. Comme Roosevelt y a souvent insisté — contre ses
nombreux détracteurs dans les principaux cercles bourgeois — personne
n'était plus commis que lui à la défense du capitalisme. Néanmoins, à
l'époque, beaucoup ont affirmé que le New Deal constituait une nouvelle
économie politique qui était d'une manière ou d'une autre allée au-delà du
capitalisme. Roosevelt a été régulièrement dénoncé pour ses mesures
"socialisantes" et "communisantes". Mais quels que soient les conflits de
Roosevelt avec la grande entreprise à certains moments, son administration
était, dans le sens le plus profond, un régime de capital monopoliste, tout
comme l'était le régime nazi en Allemagne.
Tous les gouvernements ont un degré d'indépendance relative vis-à-vis des
monopoles, des banques et de la grande entreprise qui dominent l'économie
nationale. Mais la nature de n'importe quel régime est déterminée par les
intérêts de la classe qu'il sert. Dans le cas de l'Etat nazi, les faits et
les chiffres parlent d'eux-mêmes. Par exemple, on estime que la part de
profits dans le revenu national a augmenté de 36% entre 1933 et 1939, tandis
que les salaires ont connu une chute de 5%. Les salaires réels ont chutés
d'environ 25% lorsque les syndicats indépendants ont été abolis, en même
temps que les négociations collectives et le droit de grève. Les salaires
pour un travailleur qualifié étaient d'environ 81 pfennigs de l'heure en
1942, comparé à 95.5 pfennigs en 1929. L'Etat nazi a défendu la propriété
capitaliste de toutes ses forces, revenant même sur certaines des mesures de
nationalisation des gouvernements précédents.
L'affirmation que le régime nazi n'était pas un instrument du capital
monopoliste est souvent couplée avec l'affirmation que, sous le régime nazi,
les lois de l'économie capitaliste ne s'appliquaient plus. Cela a été avancé
en 1941 par un membre dirigeant de l'École de Francfort, Friedrich Pollock,
dans un essai extrêmement influent intitulé "le Capitalisme d'État : Ses
Possibilités et ses limitations".
Pollock a basé son analyse sur le fait que l'allocation de ressources
dans l'économie nazie a été de plus en plus déterminée non pas par le
marché, mais selon les directives de l'Etat et de ses autorités
planificatrices. Avec la fin du marché « disparaissent ce qu'on appelle les
lois économiques », affirmait-il. Une telle situation avait des implications
de grande portée. Cela signifiait que le régime nazi était libre des
contradictions qui avaient fait éruption dans le système capitaliste
mondial. « Les problèmes économiques au sens ancien, » écrivait Pollock,
« n'existent plus quand la coordination de toutes les activités économiques
est effectuée par une planification consciente au lieu des lois naturelles
du marché. » [19] Conformément au nouvel ordre économique, le motif du
profit avait été remplacé par le motif du pouvoir.
Pollock a basé son argumentaire sur la disparition du marché capitaliste
en tant que mécanisme central pour l'allocation de ressources. Mais ce
n'était pas essentiellement un résultat des actions des Nazis. Avant qu'ils
aient accédé au pouvoir, le marché capitaliste mondial avait quasiment cessé
de fonctionner. Le commerce avait été restreint par les tarifs douaniers,
les accords spéciaux et les zones de devise, tandis que l’écoulement du
capital international avait presque cessé. Les mesures prises par les Nazis
ont été développées en réponse à cette situation et aux crises, surtout sur
la balance des paiements allemande, qu'elle a entraînées.
Plutôt que ce soit la politique qui ait remplacé l'économie, ce sont les
contradictions économiques du capitalisme allemand qui ont guidé l'agenda
politique du régime nazi, dont l'essence était, selon les mots de Trotsky,
de concentrer toutes les ressources du peuple au service de l'impérialisme
et de se préparer à la guerre.
L'effondrement du marché mondial a signifié que le dynamisme du
capitalisme allemand ne pouvait plus trouver aucun débouché international.
Il ne pouvait non plus être confiné à l'économie nationale limitée de
l'Allemagne elle-même. Il devait exercer une poussée vers l'extérieur pour
réorganiser l'économie européenne. Mais comment ? Par des moyens militaires.
Dès la deuxième année du gouvernement de Hitler, les dépenses militaires ont
représenté plus de 50% de toutes les dépenses gouvernementales de biens et
de services. En 1935, cette proportion avait augmenté et atteignait 73%.
Entre 1933 et 1935, la part des dépenses militaires dans le revenu national
allemand était passé de 1% à presque 10% — une augmentation jamais vue dans
aucun pays capitaliste en temps de paix. [20]
La thèse de Pollock était une réponse impressionniste à la stabilité
économique apparente qui avait résulté de la stimulation de l'économie
allemande fournie par la militarisation. Pourtant cette stabilité ne
signifiait pas que les contradictions qui avaient causé la Grande Dépression
avaient été surmontées. Au contraire, elles devaient entrer en éruption sous
de nouvelles formes — cette fois dans la guerre impérialiste.
Ici, il est nécessaire d'approfondir, même si c'est seulement brièvement,
certaines questions théoriques d'économie politique. Les dépenses militaires
peuvent fournir une stimulation à une économie stagnante en élevant la
demande réelle et l'emploi. Mais la force agissante de l'économie
capitaliste ce n'est ni la production de biens de consommation, ni la mise à
disposition d'emplois. C'est l'accumulation de la valeur ajoutée qui est la
source de l'expansion du capital. De ce point de vue, les dépenses
militaires, tout en fournissant de grands profits à certains capitalistes,
impliquent la consommation de la plus-value. L'investissement dans les
moyens de production — les matières premières, les machines et la nouvelle
technologie, etc. — est productif dans la mesure où ce capital est utilisé
pour extraire de la valeur ajoutée de la classe ouvrière au cours du
processus de production. Les dépenses militaires ne produisent pas de moyens
de production. C'est l'équivalent économique de la dépense de la bourgeoisie
en articles de luxe.
Qu'elle opère dans des conditions de compétition libre, de fixation
monopolistique des prix ou de régulation étatique, chaque économie
capitaliste est engagée dans l'accumulation de la plus-value. Dès la
formation de l'Etat allemand unifié en 1871, la source de la plus-value du
capitalisme allemand fut la production de marchandises pour la vente sur le
marché mondial. Cette dépendance à l'égard de l'économie mondiale était et
reste une caractéristique fondamentale du capitalisme allemand. Aujourd'hui,
par exemple, ses exportations concourent à environ 47 pour cent du PIB, une
plus grande proportion même que celle de la Chine.
Mais lors des années 1930 le marché mondial s'était effondré. L'économie
nationale a été tirée des profondeurs de la dépression par les dépenses
militaires. Pourtant cela n'a pas résolu le problème de l'accumulation
capitaliste — cela a plutôt exacerbé le problème. Comment et où les
ressources devaient-elles être obtenues pour garantir l'accumulation
continue du capital en Allemagne ? Par la conquête militaire. C'était la
dynamique qui a conduit à la guerre. Et la guerre, et avant tout la guerre à
l'Est contre l'Union soviétique, a créé les conditions pour l'Holocauste.
Hitler a directement fait référence à l'impératif économique de la guerre
dans un certain nombre de discours. C'était le thème central du monologue
qu'il a délivré aux officiers militaires le 5 novembre 1937, enregistré au
Mémorandum de Hossbach. Dans un discours aux commandants des forces armées
quelques jours avant l'attaque sur la Pologne en septembre 1939, il a de
nouveau fait référence aux pressions économiques. Il était, a-t-il dit,
facile pour l'Allemagne de prendre des décisions : « nous n'avons rien à
perdre; nous avons tout à gagner. À cause de nos restrictions, notre
situation économique est telle que nous ne pouvons encore tenir bon que
quelques années de plus. Göring peut le confirmer. Nous n'avons nul autre
choix, nous devons agir. » [21]
L'invasion par les Nazis de la Pologne a été suivie par plusieurs mois de
"drôle de guerre". Puis sont venues l'invasion de la France, l'expulsion des
forces britanniques à Dunkerque et la capitulation de la France en juin de
1940. Une année plus tard, le 22 juin 1941, Hitler s’est tourné vers l'Est
pour réaliser les buts pour lesquels son régime s'était préparé — la
conquête et la colonisation de l'Union soviétique.
Hitler a toujours dit que la guerre contre l'Union soviétique était
différente de celle menée contre la Grande-Bretagne et la France. Son but
n'était pas simplement la défaite des armées soviétiques, mais la
colonisation du territoire soviétique et sa réorganisation économique et
sociale complète conformément aux besoins de l'Etat allemand.
Le 17 septembre 1941, quand il a semblé que l'Union soviétique tomberait
bientôt, Hitler a explicité les buts de l'invasion : « la lutte pour
l'hégémonie dans le monde est décidée pour l'Europe par la possession du
territoire russe; il fait de l'Europe l'endroit dans le monde le plus sûr en
cas de blocus. … Les peuples slaves … ne sont pas destinés à disposer de
leur propre vie. … le territoire russe est notre Inde et tout comme les
anglais règnent sur l'Inde avec une poignée de personnes, nous allons, de
même, gouverner notre territoire colonial. Nous fournirons aux Ukrainiens
des foulards, des colliers de verre comme bijouterie et n’importe quelle
autre chose qu’apprécient les peuples colonisés. » [22]
A d'autres occasions Hitler a comparé la conquête de l'Union soviétique à
la colonisation de l'Ouest américain. La Volga serait l'équivalent du
Mississippi, la population slave serait éliminée comme les natifs américains
avaient été remplacés par une population "supérieure". L'Europe — et pas
l'Amérique — serait le terrain des opportunités illimitées.
Le thème colonial a été repris par le ministre de l'économie nazi,
Walther Funk à une conférence à Prague en décembre de 1941. En donnant le
discours inaugural, il a expliqué : « le vieux Continent reçoit un nouveau
visage et tourne ce visage vers l'Est. Économiquement, cela signifie se
détourner des … politiques tournées vers l’outre-mer et d’orientation
coloniales des puissances navales anglo-saxonnes. Les vastes territoires de
l'Est européen, riche en matières premières et pas encore ouverts pour
l'Europe, seront le terrain colonial prometteur de l'Europe de l'avenir. »
[23]
Rosa Luxembourg avait attiré l’attention sur le rapport entre la violence
coloniale de toutes les puissances impérialistes et les horreurs lâchées en
Europe pendant la Première Guerre mondiale dans sa brochure de Junius,
publiée en 1915.
« La guerre mondiale est un tournant dans l'histoire du capitalisme. Pour
la première fois, le fauve que l'Europe capitaliste lâchait sur les autres
continents fait irruption d'un seul bond en plein milieu de l'Europe. Un cri
d'effroi parcourut le monde lorsque la Belgique, ce précieux petit bijou de
la civilisation européenne, ainsi que les monuments culturels les plus
vénérables du nord de la France furent ravagés par l'impact d'une force de
destruction aveugle. Le « monde civilisé » qui avait assisté avec
indifférence aux crimes de ce même impérialisme : lorsqu'il voua des
milliers de Hereros à la mort la plus épouvantable et remplit le désert de
Kalahari des cris déments d'hommes assoiffés et des râles de moribonds,
lorsque sur le Putumayo [Colombie] en l'espace de dix ans quarante mille
hommes furent torturés à mort par une bande de chevaliers d'industrie venus
d'Europe et que le reste d'un peuple fut rendu infirme, lorsqu'en Chine une
civilisation très ancienne fut mise à feu et à sang par la soldatesque
européenne et livrée à toutes les horreurs de la destruction et de
l'anarchie, lorsque la Perse, impuissante, fut étranglée par les lacets
toujours plus serrés de la tyrannie étrangère, lorsqu'à Tripoli les Arabes
furent soumis par le feu et l'épée au joug du capital et que leur
civilisation et leurs habitations furent rayées de la carte - ce même
« monde civilisé » vient seulement de se rendre compte que la morsure du
fauve impérialiste est mortelle, que son haleine est scélérate. Il vient de
le remarquer maintenant que le fauve a enfoncé ses griffes acérées dans le
sein de sa propre mère, la civilisation bourgeoise européenne. » [24]
La tentative de conquête de l'Union soviétique fut même plus qu'une
guerre coloniale. C'était tout autant une contre-révolution sociale. Pour
Hitler, la conquête et la colonisation nécessitait non seulement le
renversement de l'Etat établi par la révolution d'Octobre 1917, mais
l'éradication des forces sociales et intellectuelles — avant tout celles des
" Judéo-bolcheviques " -- qui avaient menés la révolution et qui soutenaient
l'Etat soviétique. La guerre à l'Est était donc, dans tous les sens du mot
une Vernichtungskrieg — une guerre de destruction et d'extermination.
C'est la source de l'Holocauste.
Les ordres donnés par Hitler et d'autres chefs nazis à l'armée et aux
forces spéciales qui l’accompagnaient (Einsatzgruppen) ont expliqué
que simultanément avec la guerre, il y devait avoir une campagne meurtrière
contre les Juifs.
Le 3 mars 1941 Hitler a dit à Alfred Jodl, le Chef du personnel
d'opérations du Haut commandement des Forces armées, que la campagne
militaire imminente n’était pas simplement une question d'armes, mais un
conflit entre deux visions du monde : « l'intelligentsia judéo-bolchevique,
« l’oppresseur » de ces peuples jusqu'à maintenant, doit être éliminée. »
Hitler a exposé les tâches des unités SS : « l'intelligentsia installée
par Staline doit être exterminée. Les mécanismes de contrôle de l'empire
russe doivent être fracassés. Dans la Grande Russie la force doit être
maniée sous sa forme la plus brutale. »
Le 30 mars 1941, Hitler s’est adressé une réunion de 200 officiers sur la
guerre à venir. Les notes résumant la réunion indiquent : « l'affrontement
de deux idéologies. La dénonciation percutante du bolchevisme, identifié
avec la criminalité asociale. Le communisme est un énorme danger pour notre
avenir. Un communiste n'est un camarade ni avant ni après la bataille. C'est
une guerre de destruction. Si nous ne comprenons pas ceci, nous pourrons
encore battre l'ennemi, mais 30 ans plus tard nous devrons de nouveau lutter
contre l'ennemi communiste. Nous ne menons pas de guerre pour préserver
l’ennemi… La guerre contre la Russie. L'extermination des
commissaires bolcheviques et de l'intelligentsia communiste. … Cela sera une
guerre radicalement différente de la guerre à l'Ouest. À l'Est, la dureté
aujourd'hui signifie l'indulgence pour l'avenir. Les commandants doivent
faire le sacrifice de surmonter leurs scrupules personnels. » Une note à la
fin de ces minutes indique : « midi : tous invités pour le
déjeuner. »
Un document élaboré dans les niveaux militaires supérieurs sur le type de
mesures nécessaires pour pacifier le territoire conquis indiquait : « sous
ce rapport, il doit être établi qu'au-delà de la résistance militaire
ordinaire que les troupes rencontreront cette fois, se trouve un élément
particulièrement dangereux de la population civile, perturbateur de tout
ordre, ceux qui sont porteurs de la vision du monde judéo-bolchevique. Il
n'y a aucun doute que chaque fois qu'il le peut, il utilisera son arme de
désintégration de façon détournée et par derrière contre les militaires
allemands engagés dans la bataille ou dans la pacification du terrain. Les
troupes ont donc le droit et l'obligation de se protéger complètement et
efficacement contre ces pouvoirs désintégrateurs. »
La section préliminaire des instructions sur les directives pour le
comportement des troupes allemandes indiquait : « le bolchevisme est
l'ennemi mortel du peuple allemand national-socialiste. Cette vision du
monde désintégrative et ses porteurs doivent être combattus par l'Allemagne.
Cette lutte demande des mesures sans pitié et énergiques contre les
agitateurs bolchevistes, les guérilleros, les saboteurs, les juifs et
l'élimination complète de n'importe quelle résistance active ou passive. »
[25]
Ce que cela a signifié dans la pratique a été démontré à Babi Yar, un
ravin situé juste à l'extérieur de la capitale ukrainienne, Kiev, les 29-30
septembre 1941, quand 33 771 juifs ont été abattus après une attaque de la
guérilla sur les troupes allemandes. Vers la fin de 1941 jusqu'à 800 000
juifs —hommes, femmes et enfants — avaient été assassinés au cours de la
poussée vers l'Est, une moyenne d’environ 4,200 par jour. Des rapports
annonçaient que des régions entières étaient « sans Juifs ». En même temps,
les prisonniers de guerre soviétiques mouraient au rythme de 6 000 par jour.
Au printemps de 1942, des 3,5 millions de soldats faits prisonniers par la
Wehrmacht, plus de 2 millions étaient morts.
Alors que l'année 1941 touchait à sa fin, ces opérations meurtrières
devait connaître un nouveau stade de développement. Les préparatifs
commencèrent pour le meurtre de masse des juifs par gazage dans les camps de
concentration. Quelque part entre l'invasion de l'Union soviétique et la fin
de l'année — le moment exact fait toujours l’objet de débats considérables —
la décision a été prise que la "Solution finale" de la question juive serait
accomplie par le meurtre de masse. Auparavant, un plan d'envoyer les Juifs à
l'île de Madagascar avait été envisagé, mais c'était maintenant exclu avec
l'échec des nazis à vaincre la Grande-Bretagne et de s’assurer ainsi la
suprématie navale. Un autre plan était de déporter les Juifs à l'Est de
l'Oural, en Sibérie. Mais l'Union soviétique n'était toujours pas conquise.
Ces plans envisageaient des pertes considérables en vie humaines. Mais un
plan pour le meurtre de masse organisé de tous les Juifs vivant de l'Europe
contrôlée par les Nazis n'avait pas encore été mis en place.
Au moment de l’infâme conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, pourtant,
la décision avait été prise. Elle n'a pas été prise à Wannsee. La conférence
a été convoquée et présidée par Reinhard Heydrich, le chef du Bureau
principal de la sécurité du Reich, qui supervisait la Gestapo et d'autres
services de sécurité et agences de la police. Le but de la conférence était
d'informer la bureaucratie de l’Etat allemand d'une décision qui avait déjà
été prise et de décider de la définition de qui devait être classifié comme
juif. Le plan des meurtres de masse a été mis en œuvre et il a continué
jusqu'aux derniers jours de la guerre.
Le nombre de morts défie toujours la compréhension : Auschwitz 1,4
millions, Belzec 600 000, Chelmno 320 000, Jasenovac 600 000, Majdanek 380
000, Maly Trotinets 65 000, Sobibor 250 000, Treblinka 870 000. Au total,
environ six millions de juifs ont été tués, environ les deux tiers de la
population juive d'Europe. [26]
Nous avons insisté sur le fait que les origines de ce meurtre de masse se
trouvent dans les contradictions économiques de l'impérialisme allemand et
du capitalisme mondial pris dans sa totalité. Mais tout de suite on entend
des objections. Comment une interprétation marxiste de l'Holocauste est-elle
possible quand de façon évidente, l'idéologie nazie, et non les forces
économiques, a joué le rôle clé ? Quelle motivation économique possible
pouvait-il y avoir dans l'utilisation des moyens de transports et d'autres
ressources si nécessaires par ailleurs pour déplacer les Juifs sur des
centaines de kilomètres et les tuer ? Et sûrement cela aurait été beaucoup
plus avantageux, tant d'un point de vue économique que militaire,
d’exploiter le travail des Juifs. Selon ces objections, l'idéologie raciste
des Nazis était la force motrice du système de meurtres de masse, à laquelle
tout le reste, en incluant l'économie, a été subordonné.
Permettez-moi de commencer en notant que nous ne pouvons pas simplement
accepter l'idéologie raciste des nazis comme fixée et donnée une fois pour
toutes. Elle doit être expliquée. Le racisme biologique des Nazis a fourni
le cadre idéologique au meurtre de masse des juifs, qui a été considéré
comme un " nettoyage" et un renforcement de la civilisation elle-même. Mais
d’où cette idéologie provient-elle ? Elle n'a pas simplement surgi de
l'esprit enfiévré de Hitler. Le racisme biologique était une composante clé
de l'idéologie des élites capitalistes dirigeantes de l'Europe et des
Etats-Unis dans leur poussée colonisatrice. En 1919 tous les chefs des
soi-disant puissances démocratiques se mirent d’accord pour ôter du Traité
de Versailles une clause qui reconnaissait l'égalité raciale. Le racisme
biologique de Hitler et de ses cohortes était seulement la version la plus
extrême d'une idéologie qui s'était développée au dix-neuvième siècle
lorsque les principales puissances capitalistes majeures entreprirent de
construire leurs empires coloniaux — un projet dans lequel les intérêts
économiques ont très nettement joué un rôle crucial.
Une des caricatures les plus souvent employée à propos du marxisme est
l’affirmation qu'il soutient que l'idéologie n’est qu’une couverture pour
les motivations économiques réelles des acteurs sociaux. En conséquence, le
marxisme est "réfuté" par la découverte que les individus agissent, non
selon des mobiles économiques, mais sur la base d’idéologies puissantes. Par
exemple, l'historien britannique de droite Niall Ferguson soutient que
puisqu'aucun des intérêts commerciaux de part et d’autre du conflit n'avait
désiré la première Guerre mondiale — celle-ci n’avait servi les intérêts
économiques immédiats d'aucun d’entre eux — on ne peut pas dire que les
origines de la guerre résidaient dans le système économique capitaliste. Il
convient de noter, à ce propos, qu'aucun des intérêts dans les milieux
d’affaires ou financiers ne veut non plus la récession. Mais les récessions
ne s’en produisent pas moins, et elles émanent des contradictions de
l'économie capitaliste.
Le marxisme ne nie pas que les acteurs historiques soient motivés et
conduits dans l'action par leurs conceptions idéologiques et il ne prétend
pas que ces idéologies sont simplement une rationalisation pour des
motivations économiques réelles. Pourtant, il insiste qu’il est nécessaire
d'examiner les motifs derrière les motifs — le réel qui sous-tend et dirige
les forces du processus historique — et de clarifier les intérêts sociaux
servis par une idéologie donnée — une relation qui peut ou peut ne pas être
consciemment comprise par l'individu impliqué.
Le meurtre de masse des Juifs a été mis en œuvre par les Nazis sur la
base d'une idéologie raciste qui a vu le "judéo-bolchevique" comme la menace
principale pour la stabilité de la communauté raciale, le
Volksgemeinschaft, que les Nazis cherchaient à construire. La survie et
la prospérité de la race allemande, et en fait de la civilisation européenne
elle-même, insistaient-ils, dépendaient de deux choses : éradiquer le
judéo-bolchevisme et acquérir le Lebensraum. Ces deux conceptions
idéologiques se sont réunies avec une force explosive dans la guerre de
conquête à l'Est.
Les conceptions du régime Nazi ont été résumées dans une déclaration de
Paul Karl Schmidt, le chef des relations avec la presse du Ministère des
Affaires étrangères allemand, en 1943 : « la question juive n'est pas une
question d'humanité et pas une question de religion, mais une question
d'hygiène politique. Les juifs doivent être combattus où qu'il se trouvent,
parce que c'est un infectant politique, le ferment de la désintégration et
de la mort de tout organisme national. » [27]
Les buts de guerre de l'Allemagne nazie étaient de créer en l'Europe
Centrale et de l'Est un grand empire colonial basé sur la domination de la
race aryenne. La stabilité de ce régime nécessitait l’expulsion des Juifs,
qui le menaçait de par leur existence profondément anti-nationale et de par
leur affinité pour le bolchevisme et dont la présence même alimentait
l'opposition "des races inférieures". Si les Juifs ne pouvaient pas être
physiquement expulsés il fallait les exterminer.
Dans l'épilogue à son livre Si c'est un homme, le survivant
d'Auschwitz, Primo Levi, écrit que les explications réductrices de
l'Holocauste manquent à le satisfaire parce qu'elles ne sont pas
proportionnées aux faits : « je ne peux pas éviter l'impression d'une folie
générale non maîtrisée qui me semble unique dans l'histoire. » Levi ajoute,
pourtant, que tout en considérant qu’il est impossible de comprendre le
poison nazi « nous pouvons et devons comprendre d'où il tire sa source. »
[28]
Les commentaires de Levi sonnent juste. Comment peut-on "comprendre" un
programme de meurtres de masse qui a continué à s’emparer des Juifs dans
toutes les parties de l'Europe occupées par les Nazis, pour les tuer, jusque
dans les tous derniers jours de la guerre, alors que les nazis n'avaient
aucune perspective de victoire ? Mais considérons une autre situation
historique. Pouvons nous "comprendre" les ordres des officiers commandants
de la première Guerre mondiale d'envoyer des jeunes hommes, de très jeunes
garçons pour beaucoup d'entre eux, en un flot ininterrompu "monter à
l’assaut", en sachant qu'ils seraient fauchés par le feu infernal des
mitrailleuses sans la moindre possibilité de réaliser une avancée. Il est
peut être impossible de "comprendre" de telles décisions, mais nous en
connaissons certainement la source — la guerre pour le profit et la conquête
impérialiste qui est entrée en éruption le 4 août 1914.
De la même façon, nous connaissons et pouvons comprendre la source du
mouvement nazi et de son programme d'extermination. Il a servi les intérêts
de la bourgeoisie allemande sur deux fronts : la destruction du mouvement
ouvrier allemand, le plus important, le plus puissant et le plus développé
politiquement des mouvement ouvriers que le monde ait jamais connu ; et la
réhabilitation de l'impérialisme allemand après la première Guerre mondiale
pour poursuivre son projet, commencé avec la première Guerre mondiale, d'un
empire à l'Est. Personne, je me hasarde à le proposer, ne serais assez fou
ou aveuglé idéologiquement pour suggérer que ce programme ne trouvait pas
ses racines dans les intérêts économiques du capitalisme allemand.
Il peut bien sûr être soutenu que les intérêts économiques du capitalisme
allemand n'exigeaient pas le meurtre de masse des Juifs. Mais la position
des élites dirigeantes allemandes ne peut pas être considérée en dehors de
l’histoire — hors du temps et de l’espace. Les développements historiques
firent que l'impérialisme allemand a dû se tourner vers le mouvement nazi
comme l'organisateur et le chef national de son programme. Et le mouvement
nazi, si nécessaire à l'impérialisme allemand, était à son tour fondé sur un
programme raciste qui a causé le meurtre de masse des Juifs européens.
En répondant à ceux qui critiquaient sa théorie du matérialisme
historique, Marx a noté que même si ceux-ci reconnaissaient qu'elle
s'appliquait à la société contemporaine (le dix-neuvième siècle), où les
intérêts matériels étaient prépondérants, ceux-ci pensaient que ce n'était
pas vrai pour le Moyen-âge, dominé par le catholicisme romain, ou pour
Athènes ou Rome, qui étaient dominés par la politique. Tout cela était fort
bien, a répondu Marx, en soulignant qu'il était, lui aussi, bien conscient
de la nature du Moyen-âge et d'Athènes et de Rome, mais le fait demeurait
que la société du Moyen-âge ne pouvait pas vivre du catholicisme, pas plus
qu'Athènes et Rome ne pouvaient vivre de la politique. Ainsi qu’il
l’écrivait, « Les conditions économiques d'alors expliquent au contraire
pourquoi là le catholicisme et ici la politique jouaient le rôle
principal. »." [29]
Permettez-moi d'étendre cette analyse pour examiner la question de
l'antisémitisme et des intérêts de classe qu'il sert. Dans la société
féodale, les Juifs ont présenté un problème important pour la théologie
catholique et la théologie chrétienne en général. Ils n'étaient pas des
païens. Ils avaient entendu l'appel de Dieu, mais ils avaient rejeté
Jésus-Christ. Pourtant, ils étaient la racine à partir de laquelle le
christianisme s'était développé. D'un point de vu théologique, ils ont donc
constitué une menace pour les enseignements du christianisme. Ils ont dû
être séparés du reste de la société. Cette séparation était extrêmement
importante pour la société féodale. Les Juifs avaient entendu les
enseignements du Christ, mais les avaient rejetés. Ce refus incarné était
extrêmement dangereux, parce que l'exploitation de la paysannerie par les
seigneurs, les princes et l'Église elle-même reposait non seulement sur la
force, mais sur l'idéologie fournie par le christianisme, qui affirmait que
ces relations de classe avaient été décrétées par Dieu. Les antisémites
chrétiens de cette période agissaient sur la base de l'idéologie, la
théologie, mais leur antisémitisme a joué un rôle essentiel dans le maintien
des relations de classe de la société féodale et de son mode particulier
d'exploitation des producteurs.
Considérons maintenant le régime nazi. Il a été dominé par les
conceptions du racisme biologique et du nationalisme qui ont trouvé leur
expression parfaite dans un antisémitisme meurtrier. Mais le capitalisme
allemand ne pouvait pas vivre du racisme biologique et l'antisémitisme, pas
plus que la société féodale ne pourrait vivre du catholicisme. Le capital
allemand pouvait seulement vivre, se développer, devenir plus fort et
vaincre ses concurrents par l'appropriation et l'accumulation de la valeur
ajoutée. Cela exigeait la destruction du mouvement ouvrier et la
construction d'un empire. Le mouvement nazi et son programme meurtrier
étaient les moyens de cette fin. C'est l'économie politique de l'Holocauste.
Notes:
1. Robert Wistrich, Hitler and the Holocaust (Modern Library
2003), p. 6. « Hitler, l'Europe et la Shoah »,Traduction de l'anglais.
[back]
2. Max Horkheimer and Theodore W. Adorno, Dialectic of Enlightenment
(Continuum New York 1997), p. xiii. « La dialectique de la raison »,
traduction de l'anglais. [back]
3. Cited in David Walsh "The Hurt Locker and the rehabilitation of the
Iraq war: New York Times journalists weigh in". Traduction de l’anglais.
[back]
4. Ian Kershaw, Hitler Volume 1, (Penguin Harmondsworth (1998),
pp. 379-380. Traduction de l’anglais. [back]
5. Leon Trotsky, The Struggle Against Fascism in Germany (Penguin
Harmondsworth 1971), pp. 112-113. Traduction française tirée de la Préface à
« La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne », http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1932/01/320127a.htm
[back]
6. Michael Burleigh, Weekly Standard, December 26, 2005.
Traduction de l’anglais. [back]
7. Michael Burleigh, The Third Reich (Pan Books London 2001), p.
927. Traduction de l’anglais. [back]
8. Adolf Hitler, Mein Kampf Excerpts http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Holocaust/kampf.html
Traduction française tirée de Mein Kampf, http://beq.ebooksgratuits.com/propagande/Hitler_combat_1.pdf
(p. 121 et 129). [back]
9. Konrad Heiden, Der Fuehrer, Volume 1 (Victor Gollancz London
1944), p. 59. [back]
10. Lothrop Stoddard, The Revolt Against Civilization: The Menace of
the Under-Man (Charles Scribner’s Sons New York 1922), pp. 245-246.
La révolte contre la Civilisation : La menace de l’homme inférieur,
Traduction de l’anglais. [back]
11. Ibid., pp. 162-163. Traduction de l’anglais. [back]
12. Ibid., p. 152. Traduction de l’anglais. [back]
13. Richard Evans, The Coming of the Third Reich (Allen Lane
London 2003), p. 35. Traduction de l’anglais. [back]
14. Adolf Hitler, Mein Kampf (Houghton Mifflin Boston 1971), p.
655. Ibid. pour la traduction française (p. 495-496) [back]
15. Hitler’s Second Book, Gerhard L. Weinberg ed. (Enigma Books
New York 2003), p. 107. Traduction de l’anglais. [back]
16. Ibid., p. 116. Traduction de l’anglais. [back]
17. Adam Tooze, The Wages of Destruction (Allen Lane London
2006), p. xxiv. Traduction de l’anglais. [back] Ndt : Lire aussi la
critique du livre de Adam Tooze par Stefan Steinberg sur le wsws.org :
http://www.wsws.org/francais/hiscul/2008/fev08/tooz-f19.shtml
18. Leon Trotsky, "What is National Socialism?" in The Struggle
Against Fascism in Germany (Penguin Books Harmondsworth 1975), p. 414.
Traduction française tirée de : http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1933/06/330610.htm[back]
19. Friedrich Pollock "State Capitalism: Its Possibilities and
Limitations" in The Essential Frankfurt School Reader, Andrew Arato
and Eike Gebhardt eds. (Continuum New York 1994), p. 87. Traduction de
l’anglais. [back]
20. Adam Tooze, The Wages of Destruction (Allen Lane London
2006), pp. 62-65.[back]
21. Cited in Ian Kershaw, The Nazi Dictatorship (Arnold London
2000), pp. 61-62. Traduction de l’anglais. [back]
22. Cited in Jürgen Zimmerer, Colonialism and the Holocaust in
Genocide and Settler Society, A. Dirk Moses ed. (Berghahn Books New
York 2005), p. 49. Traduction de l’anglais. [back]
23. Cited in David Furber, "Near as Far in the Colonies: The Nazi
Occupation of Poland" in The International History Review Vol. 26, No. 3
(September 2004), p. 541. Traduction de l’anglais. [back]
24. Rosa Luxemburg, The Junius Pamphlet, http://www.marxists.org/archive/luxemburg/1915/junius/ch08.htm
http://www.marxists.org/francais/luxembur/junius/rljhf.html (en
français)[back]
25. Christopher R. Browning, The Origins of the Final Solution (University
of Nebraska Press Lincoln 2004), pp. 216-223. Traduction de l’anglais.
[back]
26. See http://en.wikipedia.org/wiki/The_Holocaust#Extermination_camps
[back]
27. Cited in Alex Callincos "Marxism and the Holocaust" in The Yale
Journal of CriticismVol. 14, No. 2, (2001), p. 402.
Traduction de l’anglais. [back]
28. Primo Levi, If This is a Man (Abacus London 1988), pp. 395,
396. Traduction de l’anglais. [back]
29. Karl Marx, Capital Volume 1, (Penguin Harmondsworth 1976),
p. 176. Traduction française tirée de : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-I-4.htm#note35
[back]