Le parti au pouvoir en Espagne, le PSOE
(Parti socialiste ouvrier espagnol), a subi sa pire défaite de l'histoire dans
les élections municipales et régionales. Il a obtenu 27,8 pour cent du vote,
soit 1,5 million de voix de moins que lors des dernières élections en 2007, et
a perdu dans tous les gouvernements régionaux sauf un et dans toutes les
grandes villes qui étaient sous son contrôle (Séville, Barcelone,
Saint-Sébastien).
Le Parti populaire, à droite, a été celui
qui a le plus profité de l'effondrement du PSOE. Cela ne signifie pas cependant
que le PP a un appui de masse, car il n'a obtenu que 6000 voix de plus. Ces
résultats prennent place dans le contexte de manifestations populaires de masse
contre les mesures d'austérité imposées par le gouvernement du PSOE. Luis
Arroyo, conseiller qui a travaillé pour le PSOE dans le passé, a déclaré :
« Ce qu'il faut voir ce n'est pas que l'Espagne soit devenue plus
conservatrice, mais plutôt que les socialistes soient devenus moins
progressistes. »
Depuis l'arrivée au pouvoir du deuxième
gouvernement du premier ministre Zapatero, ce dernier a imposé un programme
d'austérité de 15 milliards d'euros, réduisant les salaires des employés de la
fonction publique de 5 à 15 pour cent, et fait passer l'âge de retraite de 65 à
67 ans. Il a aussi imposé une réforme du travail qui a anéanti les conditions
des travailleurs, avec l'aide des deux principaux syndicats, Union General de
los Trabajadores (UGT) et Comisiones Obreras (CC.OO.), et il a fait pression
sur les gouvernements régionaux (qui contrôlent plus du tiers du budget total)
pour qu'ils imposent eux aussi des coupes.
La résistance à ces mesures, et à la
montée fulgurante du chômage à 23 pour cent et à 43,5 pour cent pour les jeunes
âgés de moins de 25 ans, a été étouffée par les syndicats et les partis de
l'ex-gauche jusqu'à l'éruption du mouvement du 15 mai, une semaine seulement
avant le début des élections. Des dizaines de milliers de travailleurs, de
jeunes et de chômeurs sont sorties dans les rues à travers l'Espagne pour
exprimer leur opposition. Ils ont manifesté dans plus de 162 villes, ont défié
les autorités qui leur ordonnaient de se disperser en vue des élections, et ont
occupé la place centrale des principales villes.
Les protestations ont continué durant les
élections, et les milieux dirigeants n'ont pas fait intervenir les forces de
sécurité d'État par crainte que cela ne déclenche un mouvement encore plus
grand. Après les élections, le mouvement s'est poursuivi et des manifestations
se déroulent présentement dans quelque 57 villes espagnoles.
Dans une vidéo virale qui a été vue près
de 300 000 fois en trois jours seulement sur YouTube, les gens sont
vivement appelés à joindre ce que l'on appelle maintenant la « Révolution
espagnole ». En date du 23 mai, la vidéo se classait au septième rang des
vidéos les plus vues de la journée.
Les assemblées de Madrid et Barcelone ont
annoncé une manifestation pour le 19 juin, et l'assemblée de Barcelone va aussi
prendre part à la manifestation du 15 juin contre les coupes de 10 pour cent du
gouvernement catalan.
Le mécontentement était sans équivoque
lors des élections. Un électeur sur 25 a annulé son vote, ce qui veut dire
qu'un million de bulletins au total ont été annulés ou laissés vierges. Si ce
million d'électeurs formait un parti, ce dernier serait en quatrième place. Le
taux d'abstention a été de 33,77 pour cent, et de 45 pour cent en Catalogne.
D'autres groupes qui ont aussi bénéficié
de l'effondrement du PSOE sont, comme le PP, de droite. Des électeurs
représentant une couche de la petite-bourgeoisie, qui s'est traditionnellement
tournée vers le PP, qui tire ses origines du Mouvement national franquiste, se
sont tournés vers la Phalange espagnole et l'Alternative espagnole, qui ont
obtenu 11 162 votes. Espagne 2000 est entrée au parlement valencien avec
14 000 voix et la xénophobe Plateforme pour la Catalogne a obtenu
65 000 votes, passant de 17 conseillers municipaux en 2007 à 67 en 2011.
Pour la toute première fois, ce parti a une présence politique dans la
« ceinture rouge » des quartiers ouvriers de Barcelone.
Bildu, un parti séparatiste basque, a
aussi profité de la situation. La Cour suprême avait rendu le parti illégal
pour ses présumés liens avec le groupe séparatiste de l'ETA. Après un
renversement de dernière minute de cette décision par le Tribunal
constitutionnel, Bildu s'est emparé de 25 pour cent du vote basque, se
retrouvant ainsi en deuxième place. Dans un contexte où la classe ouvrière doit
s'unir pour lutter contre les mesures d'austérité, ce développement constitue
un recul.
Avec l'aggravation de la crise
économique, les marchés internationaux se demandent maintenant s'il sera
possible d'imposer les brutales attaques qui sont exigées à la classe ouvrière.
Le FTSE 100 a clôturé avec une perte de près de 2 pour cent à 5 835,89
points, tandis que le CAC 40 à Paris a chuté de 2,1 pour cent à 3 906,98
points après la défaite du PSOE.
Comme l'a souligné David Jones, stratège
boursier chez IG Index, « On ne peut tout simplement pas quantifier
l'ampleur de la crise de la zone euro et c'est ce qui perturbe les marchés
présentement. »
L'éditorial du Financial Times du
23 mai a soutenu les coupes du PSOE, affirmant : « L'administration
de M. Zapatero a bien fait, en freinant les dépenses publiques et en procédant
à la restructuration d'un secteur bancaire en difficulté. Il mérite qu'on lui
accorde dix mois de plus pour mettre ces programmes en oeuvre. »
Il a pressé le PP d'user de prudence,
insistant sur le fait qu'il devait appuyer le PP et ne pas chercher à provoquer
une élection hâtive qui viendrait déstabiliser l'Espagne. « Le PP doit
maintenant appuyer le programme d'austérité de M. Zapatero », a-t-il
averti, ajoutant que le « mouvement de protestation » pourrait se
développer.
Le PSOE et le PP sont présentement
responsables de la situation, malgré leur crise et un manque d'appui, en
l'absence de toute alternative.
Izquierda Unida (Gauche unie) est discréditée
et n'a pu obtenir qu'un pour cent de plus du vote, perdant la seule ville
qu'elle dirigeait, Cordoue. Cayo Lara, chef de la coalition des staliniens, des
Verts et de groupes de l'ex-gauche, n'a pas réussi à recueillir les voix de
« los indignados » (les indignés).
D'autres forces qui dirigent certaines
sections des manifestations vers le milieu petit-bourgeois antimondialisation,
telles que ATTAC, ont appelé pour l'abstention politique et ont demandé que
l'on ne prenne parti pour aucun de deux principaux partis en lutte. Ils tentent
plutôt de mener le mouvement dans une impasse qui ne peut vouloir dire que
davantage de coupes. La Izquierda Anticapitalista, une section du parti pabliste
le Secrétariat international de la Quatrième Internationale, a mené cette
trahison politique.
Esther Vivas, dirigeante des
anticapitalistes en Catalogne, a affirmé : « L'avenir du mouvement du
15M est imprévisible. À court terme, il faut continuer à bâtir les campements
existants, en bâtir de nouveaux dans les villes où il n'y en a pas et s'assurer
qu'ils persistent au moins jusqu'au dimanche 22 mai… Il est nécessaire
d'envisager d'autres dates de mobilisation, pour maintenir le rythme. Le
principal défi est de garder cette double dynamique du développement et de la
radicalisation des protestations que nous avons vue ces derniers jours. »
Le but des anticapitalistes est d'épuiser
le mouvement en appelant constamment à des mobilisations, tout en couvrant les
arrières de la bureaucratie syndicale et des sociaux-démocrates.
Le mouvement du 15 mai doit créer ses
propres organisations de lutte, indépendantes des syndicats. Surtout, un
nouveau parti politique doit être bâti, sur la base d'une perspective
révolutionnaire et internationaliste sans compromis. La question fondamentale
n'est pas l'intensité des manifestations, mais la construction d'une nouvelle
direction afin de lutter pour la transformation socialiste de l'économie en
Espagne, en Europe et internationalement.
Comme Trotsky avait prévenu l'Opposition
de gauche espagnole en 1931, « La spontanéité, qui au stade actuel est la
force du mouvement, peut devenir plus tard la source de sa faiblesse. Partir du
principe que le mouvement puisse être laissé à lui-même sans programme clair,
sans sa propre direction, serait adopter la perspective du désespoir. Ce dont
il est question ici n'est rien de moins que la prise du pouvoir. »