La juge Melissa Jackson de la Manhattan Criminal Court
(tribunal pénal à la cour suprême) a refusé hier de libérer sous caution
Dominique Strauss-Kahn, directeur du Fonds monétaire international (FMI) et une
figure influente du Parti socialiste, parti pro-patronal de France. Elle a
accepté les arguments des procureurs qui accusent Strauss-Kahn
d’agression sexuelle à l’encontre d’une femme de chambre
d’un hôtel de New York City, arguments selon lesquels il pourrait y avoir
tentative de fuite du prévenu.
Le directeur du FMI est mis en examen pour sept chefs
d’accusation dont deux actes criminels sexuels et une tentative de viol
qui sont passibles d’une peine maximale de 74 ans et 3 mois de prison.
Strauss-Khan a été transféré dans le complexe carcéral de
Rikers Island. Sa comparution devant le tribunal a été fixée au 20 mai.
Il a nié les accusations et son avocat, Benjamin Brafman,
a dit qu’il allait plaider non coupable. Jackson a refusé la requête de
Brafman de permettre à Strauss-Kahn de cautionner sa libération par le dépôt
d’un million de dollars et la remise de tous ses documents de voyages
futurs à la justice pour pouvoir résider chez sa fille, qui vit à New York,
jusqu’à l’audience de vendredi.
Les avocats de Strauss-Kahn ont présenté un alibi en
disant qu’il avait quitté l’hôtel Sofitel samedi à 12 heures 28
pour déjeuner avec sa fille – contredisant ainsi les allégations selon
lesquelles il a agressé la femme de chambre vers 13 heures. Toutefois, le
porte-parole de la police de New York, Paul Browne, a dit que le déroulement
des faits allégués aurait été plus proche de midi que de treize heures.
Faisantremarquer que la
France « n’extrade pas ses ressortissants, » le procureur
adjoint du district, Artie McConnel a affirmé que Strauss-Kahn risquait fort de
fuir les Etats-Unis. « Il n’a presque aucune motivation à rester
dans ce pays, » a dit le procureur. « Il dispose d’un vaste
réseau de contacts de par le monde. »
Les procureurs ont aussi affirmé que les rapports
d’enquête confirmaient le récit détaillé de l’agression alléguée,
fait par la femme de chambre. Ils seraient en train de rassembler des preuves
par l'ADN sur Strauss-Kahn.
La juge Jackson a mentionné le fait que Strauss-Kahn a été
interpellé samedi après-midi à bord d’un vol Air France à destination de
Paris, quelques heures après que la confrontation alléguée se soit produite
entre Strauss-Kahn et la femme de chambre. Les avocats du directeur du FMI ont
dit qu’ils étaient « déçus » que la libération sous caution de
leur client ait été refusée, mais qu’ils comptaient prouver
l’innocence de leur client.
L’arrestation de Strauss-Kahn qui avait supervisé
les négociations concernant les renflouements et les coupes sociales imposées
aux pays endettés en Europe et internationalement, a plongé la politique
française et internationale dans la crise. L’on s’attendait à ce
qu’il soit le candidat du Parti socialiste à l'élection présidentielle de
l’année prochaine et il figurait en tête dans les premiers sondages.
Le porte-parole du PS, Benoît Hamon, a dit hier à
l’agence AFP que « les faits dicteront très vite notre
attitude… Notre position reste identique tant que les faits n’ont
pas définitivement parlé. Et il est probable qu’ils
parlent assez vite. »
Ses commentaires soulignent, toutefois, que le PS a été
sérieusement secoué par les événements de New York « A la fois, »
a-t-il-dit, « nous ne sommes pas en cause, comme formation politique,
d’où la volonté de rester un pôle de stabilité, maintenir l’agenda,
toutes les réunions et en même temps, c’est l’un des nôtres qui est
en cause dans une affaire grave – s’il devait être reconnu coupable
– pour laquelle il nie toute responsabilité. »
Dans le contexte de l’impopularité du président
conservateur Nicolas Sarkozy et du rôle réactionnaire joué par les forces de la
« gauche » petite bourgeoise française qui cherchent à lier la classe
ouvrière au PS, Strauss-Kahn et la candidate néofasciste Marine Le Pen avaient
émergé comme les principaux candidats à l'élection de 2012. Les médias
internationaux s'inquiètent de plus en plus de ce que l’arrestation de
Strauss-Kahn ne l’élimine probablement de la course à la présidentielle
et ne renforce les chances de Le Pen.
S’exprimant sur I-télé, Le Pen a dit que
Strauss-Kahn était « définitivement discrédité comme candidat. »
Le journal The Guardian a commenté que « les
dégâts causés par l’affaire DSK (Dominique Strauss-Kahn) affaibliront la gauche
et le bénéficiaire ne sera pas le parti dirigeant UMP. Marine le Pen … a
été prompte à détruire DSK comme le symbole d’une vieille classe
politique discréditée. A la fois en tant que ‘outsider’ de la
politique et en tant que femme en politique, Le Pen pourrait profiter le plus
du scandale. »
Plusieurs responsables politiques français ont suggéré que
Strauss-Kahn avait été la cible d’un complot, soit d’une tentative
du gouvernement Sarkozy pour discréditer son principal rival soit d’une
décision des autorités américaines mécontentes de sa politique financière en
tant que directeur du FMI. Michèle Sabban, vice-présidente du conseil régional
d’Ile-de-France, qui inclut Paris, et qui fait partie de la faction de
Strauss-Kahn au sein du PS, a dit qu’elle croyait qu’il y avait un
« complot international » contre lui.
La responsable politique de droite, Christine Boutin, a
aussi suggéré qu’il y avait eu un « piège. » Elle a dit :
« Ça peut venir du FMI, ça peut venir de la droite française, ça peut
venir de la gauche française, » c’est-à-dire de rivaux potentiels de
Strauss-Kahn au sein du PS.
Mais, jusque-là, aucune information n’a émergé qui
suggère que des tiers aient joué un rôle dans l’arrestation de
Strauss-Kahn.
Plusieurs hommes politiques de l’Union pour un
mouvement populaire (UMP), le parti conservateur au pouvoir en France, ont
appuyé les accusations émises à l’encontre de Strauss-Kahn. Le député
UMP, Jacques Myard, a dit, « Maintenant les faits sont avérés et il faut
regarder la vérité en face. Celles et ceux qui parlent de complot ou de
conspiration, devraient raison garder. Aujourd’hui, les masquent tombent
et il y a des tas de choses avérées qui remontent à la surface. »
Le responsable politique conservateur français, Bernard
Debré, a prétendu que l’arrestation avait eu lieu parce que Strauss-Kahn
avait eu maints agissements de ce type au Sofitel de New York City. « Les
employés étaient sur le point de se révolter, » a-t-il dit. « La
direction était au courant mais jusque là n’osait rien dire. Elle a
étouffé toutes les autres affaires. »
Le gouvernement du président Sarkozy n’a pas fait de
déclaration officielle mais s’est distancé des remarques de Debré. La
ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, a dit
que ses commentaires étaient « inconvenants » et avaient
« dépassé les limites. »
Sofitel – dont Accor, le premier groupe hôtelier
d’Europe, est le propriétaire – a condamné les allégations de Debré
comme ayant un « caractère diffamatoire » à l’égard de la
direction. De ses bureaux parisiens, il a publié un démenti : « La
direction de Sofitel New York a mis en place des procédures strictes ainsi
qu’un numéro d’appel d’alertes professionnelles ouvert à tous
les collaborateurs souhaitant attirer l’attention sur des faits spécifiques,
et ce, depuis plus d’un an… La direction n’a pas eu
connaissance de tentative d’agression antérieure. »
La presse économique s’attend aussi à ce que
l’arrestation de Strauss-Kahn ébranle les marchés étant donné le rôle
important qu’il a joué dans l’obtention d’un accord
international pour des renflouements litigieux de pays endettés, notamment dans
le contexte de la crise des dettes en Europe.
Les termes du prêt de 78 milliards d’euros accordé
au Portugal — en échange de réductions draconiennes des retraites, des
salaires et des dépenses du secteur de santé — auraient été acceptés. Il
y a cependant des discussions en cours quant à l’extension d’autres
prêts à la Grèce où les réductions des dépenses ont provoqué une chute
vertigineuse de l’économie du pays l’empêchant ainsi de rembourser
ses dettes.
Strauss-Kahn aurait contribué à aplanir les divisions
profondes existant au sein de l’Europe. Un responsable européen a dit au Financial
Times : « Durant la crise financière, il s’était révélé
être un bon gestionnaire au FMI en ralliant le soutien des gens à ses
convictions. Ce n’est pas là une affaire banale. »
Avant son arrestation, Strauss-Kahn avait projeté
d’aller à Berlin pour rencontrer la chancelière allemande Angela Merkel
qui s’était opposée auparavant aux plans de sauvetage, préférant plutôt
pousser les pays à la défaillance de paiement.