Le directeur du Fonds monétaire international (FMI), Dominique
Strauss-Kahn, a été arrêté tôt dimanche matin pour acte sexuel criminel,
tentative de viol et séquestration après une rencontre présumée avec une femme
de chambre, à l'hôtel Sofitel de New York.
Strauss-Kahn devait se rendre à Berlin pour discuter avec la
chancelière allemande Angel Merkel du renflouement grec et des crises
financières européennes. Un entretien était également prévu en France avec des
responsables du Parti socialiste (PS), le principal parti bourgeois de
« gauche » dont il est un membre de premier plan. Jusqu'à hier,
Strauss-Kahn était considéré être le candidat à l'élection présidentielle de
2012 en France ayant le plus de chances de défier le président Nicolas Sarkozy.
Selon une employée de 32 ans de l'hôtel Sofitel, Strauss-Kahn
l'a agressé samedi à 13 heures après qu'elle soit entrée dans sa suite à 3.000
dollars la nuit, afin d'y faire le ménage, ne réalisant pas qu'il s'y trouvait
encore. Il serait sorti nu de la salle de bains, l'aurait poursuivie dans un
couloir et agressé sexuellement après l'avoir entraînée dans une chambre à
coucher ; elle aurait cependant pu ensuite se libérer.
Après que la femme se soit enfuie, elle a prévenu le personnel
de l'hôtel qui a appelé le New York City Police Department (NYPD). Selon les
autorités, Strauss-Kahn s'est enfui de sa chambre d'hôtel en oubliant
d'emporter son téléphone portable, il a été arrêté à 16 heures 40 par des
officiers de police de l'Autorité des ports de New York et du New Jersey dans
sa cabine de première classe du vol Air France 23, dix minutes avant le
décollage de l'avion pour Paris.
L'employée du Sofitel a été emmenée à l'hôpital Roosevelt de
Manhattan pour être traitée pour des blessures mineures. Jorge Tito, le
directeur du groupe Accor, propriétaire du Sofitel New York, a publié une
déclaration disant : « Nous tenons à préciser que notre employée
travaille au Sofitel New York depuis trois ans et donne entière satisfaction
tant en ce qui concerne la qualité de son travail que son comportement. »
Strauss-Kahn a été remis au Bureau spécial des victimes du
NYPD et été arrêté dimanche à 14 heures 15. L'avocat de Strauss-Kahn, Benjamin
Brafman, a dit que son client niait toutes les accusations et plaiderait non
coupable.
Anne Sinclair - la troisième épouse de Strauss-Kahn, ancienne
journaliste de télévision et héritière de la fortune du marchand d'art Paul
Rosenberg - a publié un bref communiqué disant qu'elle ne doutait pas que
« son innocence soit établie. » Selon un article paru dans France
Soir, elle projette de faire mener une enquête sur l'employée du Sotifel.
Une porte-parole du FMI a confirmé l'arrestation de
Strauss-Kahn en ajoutant que « le FMI reste totalement opérationnel. »
Le FMI a désigné le premier adjoint de Strauss-Kahn au FMI John Lipsky, ancien responsable
à la banque JP Morgan et au Ministère américain des finances, au poste de
directeur intérimaire.
Selon des sources tant de droite que du PS, Strauss-Kahn avait
été à plusieurs reprises ces dernières années confronté à des allégations de
manquements sexuels. En 2007, la journaliste Tristane Banon, avait allégué
avoir subi une agression sexuelle il y a plusieurs années bien qu'elle n'ait
pas porté plainte de crainte que ceci ne signifie la fin de sa carrière. En
2008, la député Aurélie Filipetti avait dit, après une proposition « très
lourde, très appuyée » de Strauss-Kahn, « Je me suis arrangée pour ne
pas me retrouver seule avec lui dans un endroit fermé. »
Après la révélation de l'affaire de Strauss-Kahn avec une
économiste hongroise employée du FMI, Piroska Nagy, l'enquête du FMI avait
conclu que la relation reflétait « une grave erreur de jugement. »
Strauss-Kahn, qui avait été ministre dans plusieurs gouvernements
PS, personnifie la politique réactionnaire de cette organisation - un parti de
l'aristocratie financière qui est profondément hostile au socialisme et aux
luttes de la classe ouvrière. Il souligne le rôle profondément malhonnête et
réactionnaire de divers groupes de « gauche » en France, tels le
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ou Lutte Ouvrière (LO), qui continuent
encore de présenter le PS comme un parti socialiste ou de « gauche. »
Strauss-Kahn avait débuté dans les années 1970 comme membre de
l'Union des étudiants communistes (UEC), une organisation de jeunesse du Parti
communiste français, stalinien (PCF), alors qu'il faisait des études de droit
et de sciences économiques. En 1976, il rejoignait le Parti socialiste (PS) qui
était alors un véhicule électoral nouvellement formé par François Mitterrand.
Ceci avait fait partie d'un vaste mouvement d'étudiants
ex-radicaux, qui furent politisés après les protestations des étudiants et la
grève générale de 1968, et qui furent recrutés pour former ce qui allait
devenir le principal personnel politique de la bourgeoisie dans les années 1980
sous la présidence de Mitterrand.
De nombreuses figures d'organisations pseudo-« gauche »
avaient également rejoint le PS à l'époque pour occuper des positions de
pointe. Ces figures comprennent Pierre Moscovici, Julien Dray et Henri Weber
(de la Ligue communiste révolutionnaire [LCR], aujourd'hui le Nouveau parti
anticapitaliste) ; Jean-Christophe Cambadélis, issu de l'Organisation communiste
internationaliste (OCI), aujourd'hui le Parti ouvrier indépendant (POI) et, l'exemple
le plus connu, Lionel Jospin qui allait devenir premier ministre.
En tant que législateur et spécialiste politique du PS, sous
Mitterrand dans les années 1980, Strauss-Kahn avait servi comme ministre pour
devenir ensuite lobbyiste dans les années 1990. En tant que ministre des
Finances dans le gouvernement de la « gauche plurielle » de Jospin
entre 1997 et 2002, Strauss-Kahn avait privatisé plusieurs entreprises
publiques - France Télécom, le Crédit Lyonnais et le groupe d'électronique de
défense, Thomson-CSF. Après sa démission comme ministre de l'Economie des
Finances et de l'Industrie après un scandale à la corruption en 1999, il
demeura une figure influente au sein du PS et des milieux d'affaires, pour occuper
le poste de directeur du FMI après sa nomination par Sarkozy en 2007.
Dans sa qualité de directeur du FMI, il a supervisé les coupes
sociales brutales qui ont appauvri les travailleurs dans de nombreux pays
endettés - en Grèce, en Irlande, en Lettonie, en Hongrie, en Roumanie et au
Pakistan - en échange de prêts du FMI. Il avait dernièrement supervisé les
négociations financières menées avec la dictature militaire en Egypte alors
même que celle-ci s'efforce de combattre la résistance de la classe ouvrière
après le départ d'Hosni Moubarak.
Jusqu'à récemment, Strauss-Kahn apparaissait en tête des
sondages sur les élections présidentielles de 2012 en raison de l'hostilité de
masse à l'encontre de la politique droitière de Sarkozy. Il avait toutefois
déjà essuyé des critiques de la part des médias pour son train de vie fastueux.
Il est fait état d'un costume à 30.000 dollars acheté à New York et des photos
le montrent dans la presse sortant d'une Porsche appartenant apparemment à l'un
de ses principaux collaborateurs, Ramzi Khiroun.
Les politiciens français ont exprimé surprise et inquiétude
face aux conséquences des accusations portées contre Strauss-Kahn pour les
élections de 2012. L'impopularité de Sarkozy fait que dans les sondages il traîne
à la fois derrière Strauss-Kahn et la candidate néofasciste Marine Le Pen. La
secrétaire générale du PS, Martine Aubry, a qualifié l'accusation de
Strauss-Kahn de « coup de tonnerre. »
Jacques Attali, le responsable de longue date du PS, a mis en
garde que Strauss-Kahn ne pourrait « pas être candidat à la primaire [du
PS]. »
Les concurrents potentiels de Strauss-Kahn pour la désignation
du candidat du PS aux primaires ont fait des déclarations prudentes. Ségolène
Royal a demandé à attendre « que la justice se prononce, » en
ajoutant : « Personne ne peut profiter de ses difficultés. »
L'ancien secrétaire général du PS, François Hollande, qui a annoncé sa
candidature à la primaire du PS, a aussi lancé une mise en garde qu'il fallait
« se garder de toute conclusion prématurée. »
Un conseiller anonyme de Sarkozy a confié au Monde :
« Cela serait arrivé à quinze jours de la présidentielle, cela aurait été
le coup de théâtre qui l'aurait empêché d'aller jusqu'au bout. Là, nous sommes
dans une période trouble. Tout change, toutes les semaines, pas par petites
touches, mais par cataclysme. »