WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Olivier Besancenot, porte-parole de longue date du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), a annoncé le 5 mai qu’il ne participerait pas à la campagne présidentielle de 2012.
Les principaux partis et publications de presse de la politique bourgeoise française s’adonnent à des spéculations quant aux conséquences qu’aurait cet événement pour leurs chances de succès électoral à court terme. Une vaste couverture médiatique, depuis sa candidature à l'élection présidentielle de 2002, à l’âge de 27 ans, fait de Besancenot la figure du NPA de loin la plus largement reconnue. Besancenot ne se présentant pas cette fois, les partis en concurrence espèrent récupérer les 4 pour cent des voix qu’il avait obtenues en 2002 et en 2007.
En période de pouvoir capitaliste plus stable, ceci aurait pu profiter à d’autres candidats de la « gauche » bourgeoise, tels le Front de Gauche conduit par le Parti communiste (PCF), et le Parti socialiste (PS), parti des grandes entreprises, avec lequel le NPA entretient des liens étroits. Ainsi, Benoît Hamon, porte-parole du PS qui pourrait envisager de soutenir comme candidat Dominique Strauss-Kahn, directeur du Fonds monétaire International, a observé : «On peut se dire positivement que cela va limiter la division de la gauche.» D’autres espèrent que Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Parti de Gauche, puisse en profiter.
Mais nous ne sommes pas à une telle époque. Une vaste colère existe à l’encontre des syndicats et des partis de la « gauche » bourgeoise qui négocient ou appliquent directement les coupes sociales exigées par les gouvernements partout en Europe et en Amérique du Nord. Au moment où des luttes révolutionnaires de la classe ouvrière éclatent en Afrique du Nord, la classe dirigeante française, sous couvert de défense de la « laïcité », intensifie la campagne raciste contre la burqa et les droits des immigrés et que le NPA, le PCF et le PS soutiennent. En mars, la France, aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni, a lancé une guerre d’agression contre la Libye qui a été applaudie par le NPA.
Les événements sont en train de briser les illusions sur lesquelles Besancenot avait fondé sa personnalité médiatique artificielle de facteur à temps partiel affable mais « combatif ». Au lieu de cela, il y a un sentiment grandissant que le NPA s’est distancé des travailleurs et de leurs préoccupations.
Ce mécontentement est même reflété dans la lettre écrite par Besancenot pour justifier son retrait de la course à la présidentielle.
Besancenot dit que le fait de le renommer candidat serait pour le NPA « céder à des instincts ‘conservateurs’ pernicieux qu’il faut laisser aux autres. ... Ce serait aussi, à mes yeux, une contradiction intenable: nous dénonçons un système où la politique est devenue une valeur marchande d’un côté, et de l’autre, nous commencerions involontairement à nous intégrer dans le décor politique traditionnel en incrustant notre mouvement et nos idées dans la case ‘candidat rituel à l’élection présidentielle’ de notre téléviseur. C’est risquer, à terme, de nous transformer en caricature de nous-mêmes, voire en alibi du système. »
Venant de la part de Besancenot, c'est là un portrait assez dévastateur du rôle qu’il a joué durant les dix années de sa vie publique. Sa capacité à identifier l’intégration du NPA dans l’establishment politique souligne du reste, que cette intégration n’est pas subconsciente. Le NPA fonctionne sciemment comme alibi pour le système, une couverture pseudo-« gauche » pour entraver la montée de l’opposition de la classe ouvrière à l’establishment politique et de la conscience trotskyste de la classe ouvrière.
Les résultats du rapide virage à droite de la classe dirigeante soulignent la faillite des partis bourgeois de « gauche » tel le NPA. Marine Le Pen du Front national (FN) néofasciste progresse dans les sondages alors même qu’un sentiment d’opposition croissant au sein de la classe ouvrière n’engendre aucun soutien accru pour les partis soi-disant de « gauche » discrédités . Dans la mesure où les appels rebattus de Besancenot en faveur de protestations « combatives », sans perspective révolutionnaire, dominent à « gauche », la démagogie d’extrême droite de Le Pen apparaît être, aux couches les plus confuses et arriérées de la population, l’option la plus oppositionnelle.
Le Pen exerce un attrait significatif sur les couches sociales au sein desquelles le NPA recrute ses forces ; l’un des nouveaux partisans les plus en vue du Front national, le syndicaliste Fabien Engelmann, est un ancien membre du NPA. Dans ces conditions, de nombreux journalistes s’attendent à ce que le retrait de Besancenot profite à Le Pen.
C’est ainsi que le magazine d’information Marianne a commenté : « Mais vers qui pourraient se reporter alors ses [de Besancenot] sympathisants: Jean-Luc Mélenchon? C’est le frère ennemi. Les Verts et Nicolas Hulot? Daniel Cohn-Bendit [le dirigeant des Verts] et ses amis ne sont pas convaincus qu’il faille un candidat pour leur mouvement. Dominique Strauss-Kahn ? Quel fossé entre le postier gréviste et le très affairé directeur du Fonds Monétaire international! Nicolas Sarkozy? Ses amis du Fouquet’s [un restaurant de luxe où Sarkozy avait organisé un dîner pour fêter sa victoire électorale] ne sont pas vraiment anticapitalistes. Et pourquoi pas Marine Le Pen? un discours de rupture avec les élites en place, la volonté de déconstruire l’Europe, un positionnement du côté des perdants du système. Attendons les sondages. »
Quels que soient toutefois les résultats des sondages finalement présentés au public, l’évolution politique de Besancenot témoigne de la dérive droitière de la politique française et européenne. Alors que sa lettre présente ceci comme l’aboutissement de nombreuses années de routine politique qu’il a connue comme personnalité de la télévision, il a été, dès le début de sa carrière politique – à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), prédécesseur du NPA – un rouage dans une machine d’Etat réactionnaire.
La candidature de Besancenot en 2002 qui lui avait assuré la notoriété dans les médias bourgeois avait été consciemment agencée par le premier ministre PS, Lionel Jospin, en tant que soupape de sécurité face à l’opposition de la classe ouvrière à l’encontre de son gouvernement de « gauche plurielle. » Ses privatisations et les attaques contre les conditions de travail, associées à l’adoption de la loi sur les 35 heures hebdomadaires, avaient entraîné une série de grèves et de protestations. En 2002, Jospin subit un échec cuisant. Il fut éliminé dès le premier tour et relégué à une surprenante troisième position derrière le président sortant Jacques Chirac et le candidat du FN, Jean-Marie Le Pen.
Comme le révèle le journaliste Eric Hacquemand dans sa biographie de Besancenot de 2008 – en vente depuis peu dans la librairie du NPA et qui n’a pas contesté le contenu de l’ouvrage – la candidature de ce dernier en 2002 avait été le résultat de négociations secrètes entre la LCR et des responsables du PS au plus haut niveau de l’Etat.
En avril 2001, le dirigeant de la LCR (maintenant NPA), Alain Krivine, avait rencontré Jean-Christophe Cambadélis du PS, dans la résidence d’été de ce dernier. L’objectif de l’entretien pour Cambadélis était d’arranger une forme de candidature à la gauche du PS qui serve d’exutoire inoffensif à l’opposition au gouvernement PS. Il avait dit à Krivine, « La radicalité qui s'exprime dans les derniers mouvements sociaux ne trouve pas de débouché politique. »
Cambadélis avait initialement proposé Christophe Aguiton, ancien permanent syndical membre de la LCR, mais il se laissa finalement convaincre par Krivine que Besancenot était mieux qualifié pour la tâche.
Etant donné qu’en France, les candidats présidentiels doivent recueillir le parrainage de 500 élus locaux, la LCR avait dû, une fois de plus, se rapprocher du PS pour obtenir les signatures requises. François Sabado de la LCR, avait contacté Cambadélis au printemps de 2002, en promettant que la LCR soutiendrait le PS au second tour des élections si le PS faisait le nécessaire pour que la LCR puisse présenter un candidat.
Selon Cambadélis, Sabado a dit « la chose suivante: ‘Il nous manque 70 ou 80 signatures pour présenter notre candidat.’ Je lui demande quel est notre intérêt d'aider un candidat d'extrême-gauche dans cette campagne. Il me répond: ‘Besancenot pourrait au deuxième tour ne pas mettre sur le même plan Jospin et Chirac [Jacques, le candidat conservateur sortant].’ »
Cambadélis informa Jospin et le secrétaire général du PS, François Hollande. Après avoir reçu le feu vert, il rencontra à nouveau Sabado qui lui dit : « Nous vous le promettons, Olivier fera une déclaration où il sera clair, sans pour autant donner une consigne de vote. Mais ce sera clair, compréhensible, c’est normal ... Sur le fond nous ne mettons pas sur le même plan Jospin et Chirac. »
Finalement, le PS tout comme la LCR avaient sous estimé l’ampleur de l’opposition populaire à l’encontre de Jospin. Son élimination au premier tour de scrutin produisit une crise politique majeure et provoqua des protestations de masse contre des élections où la population n’avait d'autre choix que le conservateur Jacques Chirac et le néo-fasciste, Jean-Marie Le Pen. Dans cette situation, la LCR eut recours à la méthode malhonnête que Sabado avait envisagé d’utiliser pour appeler à un vote en faveur de Jospin contre Chirac – sauf que cette fois il s’agissait d’appeler à voter Chirac contre Le Pen.
Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) avait écrit une lettre ouverte à la LCR et à d’autres partis français d’« extrême gauche », Lutte Ouvrière (LO) et le Parti des Travailleurs (PT) pour appeler à un boycott des élections et à préparer une campagne d’opposition de la classe ouvrière aux coupes sociales que Chirac appliquerait une fois au pouvoir.
La LCR a toutefois ignoré cette lettre. Selon Hacquemand, le soir du vote, des responsables influents de la LCR, dont Christian Piquet, s'entretenaient avec l’état-major du PS, au siège du parti rue de Solférino à Paris, de la réponse publique à donner à l'issue du premier tour. Ils choisirent de soutenir Chirac et portent de ce fait la responsabilité politique pour les guerres et les réductions des droits à la retraite, des services sociaux et des conditions de travail que ce dernier a supervisé entre 2002 et 2007.
Ces discussions ont cependant été soigneusement cachées à l’opinion publique. Les charlatans réactionnaires de la LCR ont continué d’adopter en public une attitude d’« extrême gauche » et même parfois de révolutionnaires – une imposture pour laquelle ils furent royalement récompensés, alors même que ceci devenait de plus en plus grotesque.
En contrepartie du soutien de la LCR pour Chirac, ils eurent droit à une présence continue dans les médias et les chaînes de télévision grand public. Ceci allant de débats télévisés aux interviews people où durant l'une d'elles – l’un des instants les plus mémorables de la carrière politique de Besancenot – il fut qualifié en 2003 de « gendre idéal » par Daniela Lumbroso dans l’émission de France 3 « Y’a un début à tout.»
Le phénomène Besancenot a ainsi été dès le début, tributaire du soutien du PS et des médias bourgeois. La direction de la LCR a consciemment embrassé cette situation qui signifiait bien sûr qu’ils étaient incapables de constituer une quelconque opposition sérieuse à la politique de la bourgeoisie française, et encore moins une politique révolutionnaire.
Tout comme dans le cas de ses relations avec le PS, cet état de fait fut dissimulé au public. Néanmoins, comme le note Julien Beauhaire, biographe de Besancenot, sur la base d’interviews avec des membres de la LCR, ils étaient conscients de devoir fabriquer une image de Besancenot le présentant comme un « révolutionnaire » qui était en contradiction avec son existence médiatisée. Il écrit : « Au sein du parti, on se s’en cache pas, les médias sont une tâche des plus délicates: ils doivent promouvoir Olivier Besancenot sans pour autant détruire sa crédibilité de révolutionnaire. »
La question s'était semble-t-il posée car Besancenot lui-même ressentait un certain malaise à l’idée qu’un « révolutionnaire » ait été déclaré gendre idéal de France par les grands groupes de médias. La direction de la LCR, et tout particulièrement Krivine, l’ont pourtant incité à continuer à apparaître à la télévision.
Beauhaire poursuit en disant, « Pour Alain Krivine, ce type de collaboration [avec les médias] est obligatoire, même si le porte-parole n’apprécie pas. Refuser ces émissions le condamnerait à disparaître. Les milieux populaires seraient, selon l’extrême gauche, tellement dépolitisés que, pour rétablir le contact avec eux, les politiques seraient contraints de jouer les vedettes dans les émissions de variété. »
Derrière cette perspective démoralisée et condescendante se trouve non seulement une sous-estimation considérable de la crise objective du capitalisme qui a éclaté quelques années à peine plus tard sous la forme de la crise économique mondiale de 2008 ; elle reflète aussi l’hostilité objective profonde envers la classe ouvrière de la part de couches du milieu universitaire et de la bureaucratie syndicale, au sein desquelles la LRC recrute en grande partie ses membres et qui étaient convaincues qu’on ne pouvait lancer un appel politique révolutionnaire au prolétariat.
Cette perspective a été totalement réfutée par les événements. Cette année, des luttes de masse de la classe ouvrière en Tunisie et en Egypte ont contraint des dictateurs de longue date à quitter le pouvoir, le président Zine El Abidine Ben Ali et le président Hosni Moubarak, et ont ébranlé le régime bourgeois partout dans le monde arabe. L’Europe et les Etats-Unis ont connu des grèves de masse contre les coupes sociales exigés par la classe dirigeante après des renflouements massifs à hauteur de plusieurs milliers de milliards octroyés à l’aristocratie financière.
La lutte des classes qui s'intensifie pousse le NPA à collaborer toujours plus étroitement avec la classe dirigeante. En octobre 2010, pendant les grèves des raffineries et au milieu de grèves et de protestations de masse et de manifestations des lycéens, le NPA avait appelé à des protestations qui ne soient que « ludiques » à l’encontre des policiers briseurs de grève, soutenant ainsi le consentement des syndicats aux coupes sociales du président Nicolas Sarkozy. Au plus fort de la grève, Besancenot lui-même s'était fait discret pendant plus d’une semaine.
Besancenot quant à lui semble avancer dans la vie, sa situation est devenue plus confortable. En 2003, il a épousé Stéphanie Chévrier, ancienne éditrice des écrits politiques chez Flammarion, une des principales maisons d’édition. Chévrier est à présent propriétaire de la maison d’édition Don Quichote.
Il a aussi commencé à voyager de par le monde, en tant que personnalité politique, rôle qu’il a adapté aux besoins politiques de l’impérialisme français, comme c'était le cas lorsqu'il travaillait en France. En janvier, il est allé en Tunisie tandis que le NPA renforçait ses liens avec des partis petits bourgeois tels l’ex mouvement stalinien Ettajdid et le Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT) maoïste. Plusieurs de ces partis font à présent partie du gouvernement tunisien où ils tentent de surmonter l’opposition ouvrière à la formation d’un nouveau régime capitaliste en Tunisie.
La visite de Besancenot avait été la première d'une série de visites de différents émissaires de la bourgeoisie française de « gauche » – dont le président du Parti communiste, Pierre Laurent, et Eva Joly des Verts –visant à rétablir les relations entre la France et son ancienne colonie qui furent ébranlées par la chute de Ben Ali, dictateur soutenu par la France.
En février, Besancenot avait accompagné la première secrétaire du PS, Martine Aubry, Cambadélis et diverses figures du PC et des Verts au forum social à Dakar, où Aubry rencontra l’ex président brésilien Lula da Silva. L’impérialisme français tentait, à l’époque, d’apporter la touche finale à un contrat qu’il pensait que le Brésil signerait pour l'acquisition d'avions de combat Rafale de fabrication française – ainsi que de défendre son prestige en Afrique mis à mal par la chute de Ben Ali.
Comme l’écrivait le magazine L’Express, l’un des principaux objectifs du PS lors de ce voyage à Dakar était de « redorer l’image détestable de la France en Afrique. » Besancenot avait prêté son nom à cela, tout comme le NPA devait plus tard donner foi aux prétextes « humanitaires » de la défense de civils au motif desquels le gouvernement français avait lancé sa guerre contre la Libye.
Derrière l’évolution de Besancenot se trouve la trajectoire de toute une couche sociale et le résultat d’une perspective politique petite bourgeoise par essence démoralisée. La carrière politique de Besancenot a été, en dernière analyse, le produit d’une période durant laquelle les médias, l’establishment politique et la bureaucratie syndicale pouvaient manipuler et étouffer la lutte des classes. Sa décision de ne pas être candidat confirme non seulement l’aggravation de la crise politique de la bourgeoisie mais annonce l’émergence de luttes révolutionnaires de masse contre la domination des syndicats et des bureaucraties de l’Etat.
(Article original paru le 12 mai 2011)
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