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Les manifestants de la place Puerta Del Sol de Madrid ont insisté auprès des journalistes du World Socialist Web Site sur le fait que les manifestations des los indignados (les indignés) n'ont pas de « direction » et sont organisées par des collectifs, des comités et des assemblées « autonomes ». Surtout, soutiennent-ils, aucun parti ne devrait dominer le « mouvement ».
Cependant, il y a des tendances politiques à l'œuvre dans tout mouvement spontané. La question est de savoir quelles forces politiques les diverses tendances représentent et quelle direction elles vont prendre?
L'insistance sur « l'absence de politique » est attrayante à cause de l'hostilité très répandue à l'égard des principaux partis officiels, incluant le parti dirigeant le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et la Gauche unie qui est dirigée par les staliniens. Mais cela a pour effet d'amnistier ces partis et de faciliter les activités de divers groupes « de gauche » dont l'objectif primordial est d'empêcher une remise en question politique de la domination du PSOE et de la bureaucratie syndicale.
Le point de vu de deux représentants du campement étaient typique : les deux disaient n'appartenir à aucune organisation politique et étaient hostile tant au PSOE, qui impose des mesures d'austérité de masse, qu'au parti d'opposition conservateur, le Parti populaire (PP).
Marian Martinez Mondejas était clairement orientée vers les problèmes sociaux des couches de la classe moyenne qui constituent le noyau principal des manifestants du M-15. « La petite et moyenne entreprise soutient l'ensemble du pays », dit-elle. « S'ils font faillite, plus de gens vont perdre leurs emplois. »
Les « propositions du mouvement sont très cohérentes, elles sont demandées par l'ensemble de la population, et nous sommes tous conscients de ce que nous voulons. Nous devons tous essayer de changer le pays, pour une politique juste et responsable ».
De telles références générales sur « la population » et « une politique juste et responsable » sont au mieux naïves. Mais elles sont aussi inséparablement liées à leur opposition à toute remise en question du PSOE. « Ce n'est pas une lutte pour la destruction du gouvernement, mais pour un changement de direction du gouvernement », souligne-t-elle. « Ils doivent entendre la voix du peuple. »
C'est laborieusement que Mondejas rejette toute relation entre le mouvement de masse contre les mesures d'austérité en Espagne et les mouvements qui ont éclaté en Égypte et en Tunisie, en réponse au chômage et à la pauvreté de masse, et qui ont mené au renversement de dictateurs détestés. « Les mouvements en Tunisie et dans les autres pays arabes n'ont rien à voir avec ce qui se passe en Espagne », a-t-elle déclaré. « L'Égypte n'est pas une démocratie, l'Espagne en est une.»
En fait, la classe des capitalistes en Espagne, comme ses semblables internationalement, bafoue les droits démocratiques depuis longtemps reconnus précisément parce que les coupes sauvages qu'elles imposent au nom de la grande entreprise ne trouvent aucun appui populaire parmi les gens précisément visés par ces attaques. C'est pourquoi les travailleurs et les jeunes sont impliqués dans quelque chose de beaucoup plus qu'une lutte de pression pour que les politiciens changent de direction. La lutte en est une contre la faillite du système capitaliste lui-même et exige une perspective et une direction socialiste.
Pablo, âgé de 27 ans, un travailleur à temps partiel et universitaire, aidait au kiosque d'information du campement. Il a expliqué au WSWS qu'un des principes du campement « était basé non pas sur les partis politiques, mais sur l'existence d'une culture d'assemblée parmi les citoyens qui décideront des décisions prises par la société et qui auront une influence sur elles.
« Depuis le début, il est très clair que l'assemblée n'acceptera pas de médiation des partis politiques », poursuit-il. « Je veux que ce soit clairement compris que ce n'est pas un mouvement, une sorte de tendance politique. Nous sommes en présence d'assemblées qui fonctionnent horizontalement. »
Au lieu que les assemblées fonctionnent avec la participation ouverte de partis politiques, ce qui créerait un débat et une organisation véritablement démocratique, la formule actuelle leur donne un caractère entièrement antidémocratique. Sans une lutte politique ouverte, tout est réduit à des discussions informelles sur des généralités, ce qui permet aux éléments les plus conservateurs de dominer.
Pablo affirme lui aussi que les assemblées sont « ouvertes à tous les groupes sociaux » : « Il n'est même pas question de participer au nom de certains groupes sociaux, mais en son nom personnel, individuellement. Une des choses que les assemblés doivent commencer à faire est de rompre avec toutes les catégories qui nous définissaient antérieurement. » [C'est nous qui soulignons].
Comme Mondejas, il insiste sur le fait que, « Les décisions concernant les sauvetages financiers, la dette extérieure, ne devraient pas être entre les mains de petits groupes de bureaucrates, mais devraient être prises par nous tous, parce quelles affectent tous les citoyens espagnols.» [C'est nous qui soulignons].
En s'insurgeant contre « toutes les catégories qui nous définissaient antérieurement », il devient inacceptable de tenter de définir les intérêts indépendants de la classe ouvrière basés sur le développement et la promulgation d'une perspective socialiste révolutionnaire. Tout doit être absorbé dans un mouvement général unifiant « tous les groupes sociaux » et « citoyens ».
Évidemment, il y a des tendances politiques qui sont plus que satisfaites de la situation; non seulement les partisans déclarés du PSOE, mais également les divers groupes de l'ancienne gauche qui dissimulent régulièrement un tel appui derrière leur phraséologie de gauche.
Pablo a fait cette observation révélatrice que considérant le fait que différentes formations politiques soient impliquées dans le campement des protestataires, les «gens qui proviennent de différents partis et mouvements doivent réadapter leur programme et leur discours, à cause de la structure des assemblées.» [C'est nous qui soulignons].
Qu'est-ce que cela signifie?
Les diverses forces qui composent la pseudo « gauche » sont intimement impliquées dans les assemblées, mais le font en cachant leur identité et leur perspective politique qui est en fait entièrement modelées selon les intérêts de la bureaucratie ouvrière et syndicale.
À cet égard, tous ceux qui ont des illusions sur le rôle politique que joue la demande pour « l'autonomie » devraient étudier attentivement ce qu'écrit le groupe En Lucha (En lutte), les affiliés espagnols du Socialist Workers Party britannique.
Un article publié le 31 mai dernier par Andy Durgan, un membre dirigeant de En Lucha, illustre parfaitement comment un mouvement qui se présente frauduleusement comme étant « socialiste » et « révolutionnaire » fait tout pour empêcher que ne soit soulevée la question de la nécessité du socialisme et de la révolution dans la lutte contre le capitalisme.
Durgan commence en prétendant que « l'appel pour une démocratie réellement participative a des implications révolutionnaires, même si la plupart de ceux qui font cet appel ne le voient pas ainsi ».
En Lucha n'est pas là pour expliquer « les implications révolutionnaires » de quoi que ce soit. Durgan poursuit, « précisément quelles forces composent les campements varient de place en place, bien qu'il y ait consensus qu'aucune organisation ne devrait être permise ».
Dans cette situation, des discussions prennent place concernant la voie de l'avant pour le mouvement et « les socialistes révolutionnaires comme nous dans En Lucha … y interviennent.
«Nous sommes très actifs dans les principales assemblées des campements. Partout où nous sommes impliqués, nous travaillons très fort pour assurer le fonctionnement des assemblées et du campement à tous les niveaux – aux côtés des activistes. Et bien que nous ayons nos propres idées sur comment les choses devraient se développer – il est important de respecter la démocratie directe des masses qui dirigent les campements » [C'est nous qui soulignons].
Aider au maintien du silence politique sur les questions centrales de programme et de perspective est présenté comme une marque de respect pour « la démocratie directe des masses ». Mais lorsque le danger d'une rupture avec la bureaucratie syndicale et le PSOE plane, alors En Lucha devient très clair quant à son objectif central de travailler « aux côtés des activistes ».
Durgan admet que, peu après une grève générale bidon en septembre, les syndicats « ont signé des ententes avec le Parti socialiste au pouvoir qui étaient une attaque contre les droits des travailleurs. Elles ont facilité le pillage du peuple, ont attaqué contre les pensions et haussé l'âge de la retraite. »
Mais alors même qu'il énumère les exploits dégoûtants de la bureaucratie syndicale, il insiste, « Nous sommes convaincus que nous devons lutter contre les idées antisyndicales si le mouvement est pour prendre de l'ampleur et s'approfondir. Nous travaillons avec d'autres forces anticapitalistes et des militants syndicaux de gauche actifs dans les campements avec cet objectif. »
En marchant à travers le camp de Puerta del Sol, nous sommes à même de constater que beaucoup de personnes sont engagées dans de vives discussions. Il y de nombreux kiosques, incluant un comité féministe, une section sur le droit des animaux, des groupes écologistes, un groupe juridique, une zone pour la réforme électorale et une section pour les artistes, composée de jeunes gens travaillant activement à la création de bannières, slogans et diverses créations.
Chacun de ces collectifs tient des assemblées régulièrement, et chaque jour des dizaines sont organisées. Mais ce qui est frappant, c'est que dans toute cette activité, parmi ces centaines de slogans que l'ont voit partout dans les quartiers généraux de ce qui est maintenant désigné la « Révolution espagnole », il n'y en a pas un seul qui appelle simplement au renversement du gouvernement du PSOE.
Une des jeunes participant dans un des kiosques a raconté a confié à ce journaliste qu'elle recueillait les suggestions et les propositions de solution aux nombreux problèmes sociaux, économiques, politiques et environnementaux de l'Espagne mises de l'avant par les participants. Elle a expliqué que les propositions étaient alors discutées et votées en assemblée et ensuite envoyées au gouvernement du PSOE pour considération.
Questionnée pour savoir si elle croyait que le PSOE allait écouter, elle a répondu, « je ne crois pas, mais nous espérons qu'il le fera ».
Lorsque nous lui avons demandé s'il y avait eu des discussions pour le renversement du gouvernement du PSOE, elle a répondu qu'elle « ne savait pas si une telle chose était possible ».
C'est l'impasse dans laquelle mènent « l'horizontalisme » et la politique de « l'autonomie ». Les responsables de cet état de fait sont les En Lucha et compagnie, dont la fonction politique est d'endormir les facultés critiques des travailleurs et des jeunes.
(Article original paru le 3 juin 2011)
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