Les protestations des travailleurs de la zone de libre échange (FTZ) au
Sri Lanka représente un tournant dans la lutte des classes sur l’île et
internationalement. Il est significatif de noter que les grèves et les
manifestations qui ont eu lieu sur cette petite île ces deux dernières
semaines sont survenues indépendamment des syndicats et des partis
politiques d’opposition du pays.
Révoltés par les projets du gouvernement d’imposer un plan des retraites,
les travailleurs de la FTZ de Katunayake ont ignoré la décision des
syndicats d’annuler les manifestations du 23 mai et ont cessé le travail par
dizaines de milliers. Une semaine plus tard, le gouvernement a submergé la
région avec des milliers de policiers mais leurs attaques brutales contre
les travailleurs ont provoqué le débrayage de 40.000 personnes dans
l’ensemble de la FTZ.
Le gouvernement paniqué a suspendu l’adoption de la loi sur les retraites
en faisant de la police le bouc émissaire de la violence qui a causé la mort
d’un jeune travailleur, Roshen Chanak Ratnasekera. Il est décédé mercredi
des suites d’une blessure par balle et d’une hémorragie après être resté
sans soins pendant plusieurs heures dans un commissariat de police. Le chef
de la police du pays a démissionné et plusieurs autres officiers ont été
inculpés.
Les protestations au Sri Lanka font partie d’une marée montante
internationale de lutte des classes qui a conduit aux soulèvements au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord ainsi que dans des pays européens et aux
Etats-Unis. La force motrice en est la crise économique mondiale qui a
résulté en une dégradation drastique du niveau de vie du fait de
l’imposition de mesures d’austérité et d’une forte hausse des prix des
produits de base, dont les carburants et les denrées alimentaires.
Les travailleurs de l’industrie du vêtement ont été engagés dans une
lutte acharnée contre des salaires au niveau du seuil de pauvreté et pour la
défense de leurs conditions de travail. Depuis 2007 en Egypte, les grèves
des salariés de l’industrie du vêtement contre les réductions des salaires,
les licenciements et les privatisations faisaient partie des protestations
qui ont conduit au soulèvement révolutionnaire qui a eu lieu cette année
dans le pays. En septembre dernier au Cambodge, plus de 200.000 travailleurs
ont cessé pendant quatre jours le travail en revendiquant des salaires plus
élevés pour compenser l’inflation. Au Bangladesh la police a tué en décembre
quatre travailleurs de l’industrie du vêtement durant de violents combats
avec des dizaines de milliers de grévistes réclamant un doublement de leur
salaire.
Le principal obstacle à toutes ces luttes ont été les syndicats qui ont
imposé des accords traitres conclus avec les employeurs et les gouvernements
à l’insu des travailleurs. La priorité essentielle des syndicats est de
maintenir aux dépens des travailleurs la « compétitivité internationale »
des ateliers de misère dans leurs pays.
Les protestations des jeunes travailleurs, surtout des femmes, au Sri
Lanka sont motivées par des processus identiques. Après avoir hypothéqué le
pays pour gaspiller des milliards de dollars dans l’armée et la guerre
civile sur l’île, le président Mahinda Rajapakse est contraint par le Fonds
monétaire international (FMI) de réduire rigoureusement les dépenses et
d’appliquer une restructuration libérale.
Le principal but du projet des retraites est de stimuler le marché
boursier et les investisseurs privés. La plupart des travailleurs de la FTZ,
qui travaillent en moyenne cinq ans seront, privés d’avantages à long terme
tout en étant obligés de cotiser pour le régime de retraite sur la base de
leurs salaires et indemnités de départ. Pour les travailleurs jeunes qui
sont forcés d’effectuer de longues heures et d’endurer des conditions de vie
sordides pour un salaire mensuel, de 12.000 à 15.000 roupies (entre 110 et
135 dollars américains), y compris les heures supplémentaires, c’est tout
simplement intolérable.
Depuis le 23 mai, les protestations prouvent que les tensions sociales
ont atteint un point de rupture non seulement avec le gouvernement mais
aussi avec les syndicats. Un éditorial paru la semaine passée dans le
journal Island a judicieusement remarqué que Rajapakse, dont le
gouvernement jouit d’une majorité des deux-tiers, avait cru pouvoir « faire
accepter contre leur gré le PSP [plan des retraites] aux travailleurs » mais
le « grand bond s’est terminé en vol plané. »
« Le PSP a été reporté au vu des protestations des travailleurs », dit un
éditorial. « Le gouvernement avait été dans une hâte indécente pour faire
passer précipitamment le projet de loi au parlement, mais en vain. Au lieu
d’inviter les syndicats et les partis d’opposition à discuter de cette
question vitale, les dignitaires du gouvernement, débordant d’arrogance, ont
commencé à brailler une rhétorique creuse en promettant d’appliquer le plan
des retraites quoiqu’il advienne. (Hélas, on les voit à présent soigner
leurs plaies !) »
Island n’est pas un défenseur des droits des travailleurs mais il
reconnaît, du fait de sa longue expérience, que les syndicats jouent un rôle
essentiel pour étayer le régime bourgeois. En écartant les syndicats,
Rajapakse a ouvert la voie à la révolte des travailleurs de l’industrie du
vêtement qui, dans les conditions sociales de poudrière qui règnent sur
l’île, menacent de déclencher un soulèvement plus général. Après 25 ans de
privation due à la guerre, le gouvernement impose le fardeau de la crise
économique à la population laborieuse. Depuis la fin des combats, en 2009,
il continue à imposer un gel officiel des salaires malgré la hausse des
prix.
Les syndicats et les partis d’opposition sont à présent montés au créneau
en organisant des protestations limitées et en promettant de mener une
lutter sans merci contre le projet des retraites. Derrière la rhétorique
combative, ils se préparent à négocier avec le gouvernement qui, loin
d’abandonner la loi, est déterminé à l’appliquer sous une forme amendée.
Tous les partis – gouvernement, opposition et syndicats – sont parfaitement
conscients que le FMI, agissant pour le compte du capital financier
international, ne tolérera aucune opposition à ces exigences.
Si les syndicats ne parviennent pas à maîtriser les protestations,
l’armée est prête à les réprimer. Des soldats étaient présents en force
samedi pour les funérailles de Ratnasekera, le jeune travailleur de la FTZ
tué, pour entourer l’église, empêcher la foule endeuillée de se rassembler
et exécuter une ordonnance judiciaire interdisant les discours funéraires.
Après avoir massacré des milliers de civils tamouls durant les derniers mois
de la guerre communautaire dans l’île, le gouvernement Rajapakse n’hésitera
pas à recourir à des méthodes similaires à l’encontre de la classe ouvrière
– tant cinghalaise que tamoule.
Ces expériences renferment d’importantes leçons pour les travailleurs au
Sri Lanka et internationalement. S'ils ne brisent pas la camisole de force
des syndicats, les travailleurs ne pourront faire de pas en avant pour
défendre leurs droits fondamentaux. Une fois cela accompli, toutefois, ils
auront immédiatement à faire face à une lutte politique contre le
gouvernement et l’appareil d’Etat, posant des tâches révolutionnaires comme
c’est le cas en Egypte.
De plus, les travailleurs de la FTZ sont pleinement conscients que leurs
exploiteurs ne sont pas juste des entreprises locales mais d’importants
groupes internationaux qui peuvent aisément délocaliser leurs entreprises
ailleurs. Toute lutte pour la défense des salaires et des conditions de
travail, que ce soit au Sri Lanka, au Bangladesh, en Chine, en Egypte ou
dans les pays industrialisés, requiert que l’on se tourne vers les
travailleurs internationalement pour mener une lutte pour défendre les
intérêts de classe communs fondés sur la perspective de l’internationalisme
socialiste.
Seule la prise du pouvoir par la classe ouvrière à la tête des masses
opprimées mettra fin à un ordre social qui condamne les jeunes travailleurs
de la FTZ à un semi-esclavage pour moins d’un dollar de l’heure tout en
générant d’énormes profits pour les groupes transnationaux. Pour mener une
telle lutte, de nouveaux partis révolutionnaires de masse de la classe
ouvrière sont requis. Au Sri Lanka, ceci signifie adhérer et construire le
Parti de l’Egalité socialiste.
(Article original paru le 7 juin 2011)