L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a annoncé qu'une
quantité record de 30,6 gigatonnes de dioxyde de carbone avait été libérée dans
l'atmosphère l'an dernier. Ces nouvelles données indiquent que la température
moyenne globale va maintenant très certainement augmenter de 2 degré Celsius -
un niveau considéré par plusieurs climatologues au-delà duquel des changements
climatiques dangereux et ingérables peuvent se produire. L'économiste en chef
de l'AIE Faith Birol concluait que chercher à éviter ce niveau de
réchauffement n'était plus qu'une « belle utopie ».
La situation représente une mise en accusation terrible du système
capitaliste. Les scientifiques ont émis des avertissements répétés à propos des
dangers du réchauffement global. Ces avertissements ont été accompagnés
d'estimations claires sur les sévères réductions d'émission de gaz à effet de
serre requises pour éviter les catastrophes. Malgré tout, une série de sommets
internationaux des dirigeants du monde - incluant le sommet de Bali en
Indonésie, en 2007, celui de Copenhague au Danemark, en 2009 et le sommet de
Cancun au Mexique en 2010 - se sont terminés en farce. Aucune entente
contraignante sur la réduction des émissions n'a été possible, les
gouvernements agissant les uns contre les autres dans le but de tirer un
avantage géostratégique et doper les profits de leurs grandes compagnies
nationales.
Le processus doit se répéter encore ce décembre alors que les
dirigeants mondiaux se réuniront à Durban en Afrique du Sud. Les discussions
préparatoires sont actuellement en cours à Bonn en Allemagne, mais les
principaux dirigeants syndicaux américains et européens ont déjà exclu toute
possibilité que les participants y négocient une entente légalement
contraignante sur les émissions.
Les dernières données de l'Agence internationale de l'énergie
démontrent que les émissions de carbone étaient légèrement inférieures en 2009
qu'en 2008 - le reflet d'une baisse de la consommation énergétique suite au
krach financier. Mais en 2010, la pollution augmente de nouveau, pour dépasser
de 5 pour cent le précédent record de 2008. Cela a mis fin aux espoirs
exprimés par certains climatologues que la crise économique allait réduire les
émissions durant une période suffisamment longue pour laisser une « marge
de manoeuvre » aux gouvernements de la planète et le temps de négocier une
solution.
Un examen des données sur les émissions révèle la sévérité de la
crise climatique. Pour stabiliser la concentration des gaz à effet de serre à
450 parties par million de gaz carbonique - un niveau auquel les
scientifiques estiment à seulement une chance sur deux la possibilité d'éviter
un réchauffement de 2 degrés Celsius - les émissions annuelles ne doivent
pas dépasser 32 gigatonnes d'ici 2020. Avec des émissions l'an dernier de 30,6
gigatonnes, l'AIE explique que « cela signifie qu'au cours des dix
prochaines années, l'augmentation totale des émissions ne doit pas dépasser
celle entre 2009 et 2010 ». De plus, l'organisme conclut que 80 pour cent
des émissions projetées au cours de la prochaine décennie du secteur de
l'énergie sont déjà déterminés, parce qu'ils proviennent d'usines en place ou
en construction.
Les conséquences précises d'un réchauffement global moyen de la
planète de deux degrés Celsius sont imprévisibles. Le changement climatique
n'est pas un phénomène linéaire : une augmentation de la température peut
soudainement produire de brusques changements dans l'environnement de la Terre,
comme la fonte de la calotte glaciaire de l'Arctique, ce qui pourrait en retour
entraîner une accélération du réchauffement.
Les scientifiques prévoient néanmoins des extinctions, des
déforestations et des désertifications de masse, une augmentation du niveau des
océans qui menacera l'existence même de pays près du niveau de la mer, et des
événements climatiques extrêmes - incluant des sécheresses, des tempêtes et des
inondations - provoquant des migrations de masse en raison des famines et des
inondations côtières.
Les changements climatiques vont également intensifier les
tensions entre les puissances impérialistes. Les changements dans les scénarios
climatiques modifieront des voies maritimes importantes et ouvriront de
nouvelles régions riches en matières premières et augmentera la valeur
stratégique des zones agricoles fertiles. La situation de l'Arctique est
indicative à cet effet. Tandis que la calotte glaciaire disparaît, les
États-Unis, le Canada, le Danemark et la Russie entrent dans une concurrence
acharnée pour le contrôle de réserves de pétrole nouvellement accessibles et de
nouvelles voies navigables. Les câbles diplomatiques américains récemment
rendus publics par WikiLeaks notaient que le gouvernement danois discute
ouvertement d'une « division » de l'Arctique pendant que la Russie se
prépare à la guerre.
Nicholas Stern du London School of Economics a réagi aux données
sur les émissions de 2010 en prédisant qu'au rythme actuel, il y aura 50 pour
cent de chance d'atteindre un réchauffement de 4 degrés Celsius d'ici la fin du
siècle. « Un tel réchauffement va perturber la vie de centaines de
millions de personnes à travers la planète, menant à des migrations et des
conflits migratoires de masse », a-t-il déclaré au Guardian.
En 2006, Stern avait avisé le gouvernement travailliste de
l'époque en Grande-Bretagne que le réchauffement climatique représentait
« l'échec du marché le plus important que le monde ait connu ».
Depuis, toutes les tentatives pour en arriver à une solution « du libre
marché » à la crise ont été des échecs lamentables. La conversion de la
pollution des gaz à effet de serre en marchandise échangeable dans le cadre
d'un marché du carbone a enrichi divers spéculateurs financiers et augmenté le
coût de la vie des travailleurs tout en n'ayant strictement aucun effet sur la
réduction des émissions au niveau requis. Des études récentes ont conclu que la
réduction minime des émissions de gaz carbonique en Europe et dans les autres
économies avancées est en grande partie due au déménagement de la production
manufacturière vers la Chine et ailleurs où la main d'ouvre est à bon marché.
Le changement climatique est une autre expression destructrice de
la contradiction fondamentale entre le système des États-nations, base sur
laquelle repose le capitalisme, et l'économie mondialement intégrée. La crise
environnementale nécessite une solution internationale. Cependant, aucun plan
rationnel ne peut être développé alors que les rivalités entre les grandes
puissances augmentent avec l'érosion rapide de l'hégémonie mondiale des
États-Unis et la montée de la Chine et d'autres prétendants à l'hégémonie.
Au même moment, la propriété privée des moyens de production
s'impose comme un obstacle insurmontable à l'utilisation rationnelle des
technologies disponibles pouvant résoudre le problème. Les principaux
conglomérats transnationaux du pétrole et les autres compagnies pollueuses
sabotent énergiquement l'adoption de toutes mesures bénéfiques à
l'environnement perçues comme une menace à leurs profits.
Le problème n'est pas un manque de ressources. L'Agence
internationale de l'énergie estime que des dépenses additionnelles en recherche
et développement énergétique de 10 à 100 milliards annuellement réduiraient les
émissions globales de moitié d'ici 2050. Le montant le plus élevé, 100
milliards, est moins que ce que les militaires américains dépenseront durant
cette année financière pour la guerre en Afghanistan. Ce montant représente
également moins du tiers de la richesse combinée des dix individus les plus
riches aux États-Unis.
La seule perspective réaliste pour faire face à la crise du
changement climatique est celle basée sur un programme internationaliste et
socialiste. Dans une économie mondiale démocratiquement planifiée - orientée
vers la satisfaction des besoins sociaux plutôt que la maximisation des profits
et l'accumulation de richesses privées - les ressources scientifiques et
technologiques du monde pourront être utilisées de façon rationnelle. Afin de
réduire adéquatement les émissions de carbone, une restructuration à grande
échelle de la production d'énergie, de la production industrielle et agricole,
du transport urbain et international est requise et ce, tout en assurant une
augmentation significative du niveau de vie de la population mondiale. Il est
nécessaire comme premier pas que la classe ouvrière internationale développe sa
propre direction révolutionnaire dans sa lutte contre le système de profit.