Après des dizaines d'années durant lesquelles le syndicat United Auto
Workers (UAW) a collaboré avec les sociétés automobiles pour détruire
les gains obtenus par des générations de travailleurs, l'UAW se prépare
maintenant à jeter par dessus bord le principe des augmentations du salaire
horaire.
D'après le Wall Street Journal, « l'United Auto Workers est prêt à
discuter d'un usage plus large des plans de participation aux bénéfices en
remplacement des augmentations de salaire fixes pour ses membres, une
évolution cruciale à l'approche des négociations syndicales avec les
constructeurs automobile de Detroit. » En particulier, le journal note que,
« GM pousse à ce que les augmentations de salaires soient liées à la
qualité, à la rapidité et au rendement du travail sur les chaînes
d'assemblage, plutôt que d'avoir des augmentations de salaires uniquement en
fonction de l'ancienneté. »
Dans un entretien avec ce journal qui est le principal représentant du
monde des affaires, le président de l'UAW, Bob King, a dit, « ce serait un
avantage si on pouvait garantir aux compagnies certaines choses sur les
coûts fixes pour qu'elles restent compétitives. »
En appliquant ce plan, le niveau de vie des travailleurs de l'automobile
sera l’otage des bénéfices des dirigeants de l'automobile et des grands
investisseurs. Tous les risques liés aux mauvaises décisions patronales, à
des chutes des ventes, ou à une mauvaise passe économique seront transférés
de la direction et des investisseurs de Wall Street sur le dos des
travailleurs. Si aucun bénéfice n'est réalisé, ce sont les travailleurs qui
subiront la perte. Pendant ce temps, la richesse extraite des travailleurs à
bas salaire continuera à s'accumuler dans les poches des dirigeants des
compagnies, des investisseurs de Wall Street et des dirigeants de l'UAW qui
ont des parts substantielles dans les actions de ces entreprises.
L'UAW avait introduit la « participation aux bénéfices » dans les années
1980, dans le cadre de ses efforts pour diminuer la conscience de classe et
convaincre les travailleurs qu'ils avaient les mêmes intérêts que les
dirigeants des entreprises. Cela allait de paire avec des concessions
dévastatrices sur les salaires, la perte de centaines de milliers d'emplois
et des augmentations importantes de la productivité, que l'UAW avait
déclarées nécessaires pour augmenter les bénéfices des entreprises.
Les maigres primes de participation aux bénéfices qui ont été versées
venaient s'ajouter à l'augmentation du salaire de base. Sous le nouveau
schéma, le salaire de base sera fixe et jusqu'à 15 pour cent du salaire
horaire pourra être déterminé par les primes de productivité et de maigres
versements conditionnés par les bénéfices.
Les salaires horaires resteront gelés quelle que soit l'augmentation du
coût de la vie pour les travailleurs et leurs familles. Pour les nouveaux
travailleurs, le salaire restera à 14 dollars de l'heure, un salaire si bas
que les représentants de l'UAW admettent qu'il rendra beaucoup de jeunes
travailleurs dépendants de l'aide alimentaire publique.
Tout cela est parfaitement dans la lignée des exigences des financiers de
Wall Street, à qui la Maison Blanche a confié la mission de restructurer
l'industrie automobile en 2009 lors de la banqueroute forcée de GM et
Chrysler. Pour garantir un retour sur investissement maximal aux grands
investisseurs quelles que soient les conditions du marché, ils se sont
débarrassés des « coût à long terme » des aides médicales pour les
retraités, ont fermé de nombreuses usines et insisté sur les coûts fixes, et
surtout pour que les salaires, ne puissent pas augmenter même quand ces
entreprises sont redevenues rentables.
Dans cet accord, l'UAW a accepté une clause d'interdiction des grèves et
de recours obligatoire à l'arbitrage dans les négociations à venir cet été.
D'après cet accord, toute « amélioration des salaires et des retraites doit
être basé sur le fait que GM maintiendra un coût total horaire du travail
comparable à ses compétiteurs américains, y compris les constructeurs
automobile étrangers installés aux États-Unis. »
Les grands médias ont chanté les louanges de cette proposition salariale
comme d'une nouvelle transformation des relations de travail aux États-Unis.
Dans un éditorial du 14 juin, le Washington Post a cité les
commentaires de King en les qualifiant de « bon signe d'espoir pour le pays,
» ajoutant que « lier les revenus des travailleurs au succès des entreprises
peut changer une relation antagoniste en une relation coopérative. »
Il notait cependant que les travailleurs s'étaient historiquement opposés
aux participations aux bénéfices « pour la raison évidente que les
travailleurs n'en reçoivent aucune quand la compagnie ne fait pas de
bénéfices, et pour une autre, moins évidente, que le syndicat n'a jamais
vraiment fait confiance à l'entreprise pour rendre compte honnêtement de ses
bénéfices. »
Le journal a exprimé des inquiétudes sur le fait que les travailleurs de
l'automobile voulaient revenir sur les 7000 à 30 000 dollars de concessions
par personne faits depuis 2005, particulièrement dans la mesure où les
entreprises font à nouveau des profits élevés et versent des primes records
à leurs PDG. « M. King et d'autres dirigeants syndicaux sont confrontés à
une pression énorme pour qu'ils exigent le retour des concessions déjà
faites. C'est l'approche traditionnelle des syndicats, bien sûr. Mais dans
un monde où Volkswagen vient d'annoncer des plans pour une nouvelle usine au
Tennessee qui paiera près de la moitié de ce que gagnent les travailleurs de
l'UAW, ce genre d'évolution serait suicidaire. Le syndicat devrait plutôt
accepter de prendre en charge une plus grande part des risques des
entreprises, ainsi que plus de responsabilités pour s'assurer qu'elles
réussissent. »
Cette proposition salariale est une répudiation complète des protections
les plus élémentaires pour lesquelles les travailleurs de l'automobile ont
lutté. Après 113 jours d'une grève très dure contre GM en 1945-46, l'UAW
avait obtenu le Taux d'augmentation annuel [
] dans le contrat de 1948. Cela donnait une
augmentation du salaire garantie chaque année et un ajustement trimestriel
lié à l'indice du coût du "panier de la ménagère" pour protéger le niveau de
vie des ravages de l'inflation. Cela et d'autres gains obtenus par les
travailleurs de l'automobile au début des années 1970 a permis de faire
monter le niveau de vie des travailleurs dans tous les États-Unis.
Ayant purgé les militants socialistes et de gauche qui l'avaient
construite et ayant lié son sort à celui du capitalisme américain, l'UAW a
réagi au fort déclin de l'industrie américaine et à l'apparition de
concurrents puissants en Europe et en Asie en abandonnant toute lutte pour
les intérêts indépendants des travailleurs. Dans les années 1980, l'UAW a
officiellement adopté la doctrine corporatiste du « partenariat entre le
travail et la direction, » ouvrant la voie à trois décennies de coupes dans
les salaires et autres concessions et à la perte de plus de 600 000 emplois
à GM, Chrysler et Ford.
De nos jours, l'UAW déclare dans son accord collectif sur les
négociations, « afin de promouvoir le succès de nos employeurs, l'UAW se
consacre à l'innovation, à la flexibilité, aux méthodes de production
dégraissées [lean manifacturing, inventé chez Toyota au Japon, ndt],
à la meilleure qualité au niveau mondial et aux améliorations continuelles
des coûts. Par le travail d'équipe et la résolution créative des problèmes,
nous construisons une relation avec les employeurs qui s'appuie sur des
fondations faites de respect, d'objectifs partagés et d’une mission commune.
Nous avançons sur un chemin qui n'implique plus un environnement de travail
antagoniste avec des règles de travail strictes, des qualifications étroites
des emplois ou des stipulations contractuelles compliquées. »
Une organisation de ce genre ne peut pas être considérée comme un «
syndicat » au sens de l'unification des travailleurs pour la défense de
leurs salaires, de leurs conditions de travail et des emplois contre les
entreprises. Au contraire, les chefs d'entreprises qui constituent à présent
la direction de l'UAW en sont arrivés à s'unir aux véritables chefs
d'entreprises qui dirigent GM, pour s’opposer à la classe ouvrière.
Il est de plus en plus admis que pour lutter contre les entreprises, les
travailleurs doivent mener une lutte contre leurs agents à l'UAW. Todd,
travailleur à l'usine de transmissions de GM à Defiance dans l'Ohio, a
déclaré au WSWS, « Tout ce qui arrive chez nous est un ‘accord commun’ -
c'est ce qu'ils nous dictent. L'UAW ne fait rien avec l'argent de ma
cotisation. »
« Je ne crois pas que GM était en faillite et qu'il était nécessaire de
nous retirer le COLA et de faire disparaitre 4000 emplois dans mon usine au
cours des cinq dernières années. L'économie s'est totalement effondrée et
tous ces types d'AIG [1] et des banques ont déguerpi aux Bermudes les poches
pleines. Je fabrique 15 000 vilebrequins par an, qu'est-ce qu'ils font, eux
? »
« Quant au président, j'entends les républicains critiquer Obama – mais
je leur dis qu'il est de leur côté, à réformer la sécurité sociale au profit
des assurances et à tout faire pour satisfaire Wall Street. »