L'article qui suit est basé
sur une conférence donnée durant les vacances de Pâques 2011 par Peter Schwarz,
secrétaire du Comité international de la Quatrième Internationale, lors d'un
séminaire de la section allemande du Parti de l'Egalité sociale.
Les conséquence de la crise
financière internationale
Tous les chiffres fournis jusque-là se
réfèrent à la période précédant le déclenchement de la crise financière
internationale de 2008. Cette crise marque un tournant historique. Toutes les
contradictions économiques qui s'étaient accumulées sous la surface ont éclaté
au grand jour suite aux importants chocs politiques et sociaux et à leurs
implications révolutionnaires. Tout comme au cours des périodes précédant la
Première et la Deuxième Guerre mondiale, l'intensification des conflits
inter-impérialistes va de pair avec l'assaut à l'encontre de la classe ouvrière.
Même avant la crise, le niveau de vie de la
classe ouvrière avait commencé à stagner et les systèmes de sécurité sociale
avaient systématiquement été démantelés. En Europe de l'Est, la restauration du
capitalisme a eu des conséquences catastrophiques. Il ne reste rien des
systèmes d'éducation et de santé relativement efficaces. Bien que le niveau des
prix se soit rapidement adapté à ceux de l'Europe de l'Ouest, les travailleurs
et les employés ne gagnent dans certains cas qu'un dixième des salaires payés à
l'Ouest.
Les statistiques suivantes indiquent le
revenu annuel moyen d'un employé à temps plein travaillant en 2006 dans une
entreprise de dix salariés ou plus. Les salaires varient de 43.000 euros au
Danemark à 1.900 euros en Bulgarie. Donc, un travailleur bulgare gagne vingt
fois moins que son collègue danois. La Grèce et l'Espagne se situent avec
20.000 euros quelque part entre les deux. Ce montant est moins que la moitié du
salaire danois mais encore dix fois plus que celui du salaire bulgare moyen.
Après la crise financière internationale,
les attaques contre les conditions de vie des travailleurs ont pris des formes
dévastatrices. Des sommes à hauteur de milliers de milliards octroyées aux
banques pour couvrir leurs pertes spéculatives sont à présent récupérées aux
dépens de la classe ouvrière. Ce processus qui a commencé à la périphérie de
l'Europe continue de progresser vers le centre.
La Hongrie, la Roumanie, la Grèce, l'Irlande
et le Portugal ont déjà été soumis aux mesures d'austérité du FMI qui a réduit
de 20 à 30 pour cent le niveau de vie de la population, en relevant les prix à
des niveaux astronomiques par une hausse des taxes à la valeur ajoutée, en
détruisant les emplois dans le secteur public et en procédant à des coupes
sociales. La vie devient intolérable dans ces pays déjà pauvres.
En Grèce, le gouvernement Papandreou vient
tout juste d'annoncer un nouveau programme d'austérité après que les deux
premiers ont déjà baissé de 30 pour cent le niveau de vie de la population. Le
Portugal doit concrétiser un programme d'austérité identique après voir demandé
une assistance financière à l'UE et au FMI.
Au Royaume-Uni, le gouvernement Cameron a
adopté un programme d'austérité qui anéantira le système de santé public,
l'enseignement gratuit et d'autres acquis de la classe ouvrière britannique.
En Allemagne et en France, les attaques
sociales se concentrent actuellement sur l'allongement de l'âge de départ à la
retraite, sur une flexibilité accrue du marché du travail, sur une pression croissante
exercée sur les allocataires de prestations sociales et sur l'extension de la
main d'ouvre à bas salaire. Mais, cette liste ne s'arrêtera pas là.
En 1923, Léon Trotsky décrivait l'Europe
comme un asile de fous déchiré, divisé, brisé, désorganisé et balkanisé. De nos
jours, ces tendances deviennent à nouveau dominantes. L'époque où les
exportations allemandes bénéficiaient de l'euro et où des pays plus pauvres
avaient accès à des prêts bon marché en donnant l'impression que leur économie
était en bonne santé est révolue. La classe dirigeante se détourne de son
projet d'une Europe unifiée et poursuit agressivement des intérêts nationaux.
Le coût du déclin économique et de la militarisation croissante qui en
découlent est imposé à la classe ouvrière.
Au sein des élites dirigeantes en Allemagne
et dans d'autres pays d'Europe du Nord, les voix s'élevant pour dire que l'euro
est trop cher et qu'il faudrait abandonner la monnaie unique dans les plus
brefs délais se multiplient. L'idée que la monnaie unique devrait être réservée
à un petit nombre de pays d'Europe du Nord - jusqu'à présent un point de vue
partagé par quelques individus comme Hans-Olaf Henkel, dans son livre
« Sauver notre argent » - est en train de gagner du terrain. Des
partis populistes droitiers tels le parti des Vrais Finlandais (True Finns) ou
le Front national en France, qui sont opposés à la fois à l'UE et à l'euro ont
le vent en poupe grâce au soutien des médias. En Allemagne, les populistes
droitiers tels Henkel et Thilo Sarrazin se sont vus accorder une tribune
publique dans de nombreuses émissions de télévision.
Des conflits majeurs existent entre la
France et l'Allemagne quant à la forme du mécanisme européen de stabilisation
pour préserver la stabilité financière (European Financial Stabilization
Mechanism, EFSM). Alors que l'Allemagne préconise une restructuration de la
dette qui couperait la Grèce de crédits privés et conduirait à un effondrement
de son secteur bancaire, la France rejette avec véhémence une telle voie par
crainte d'être elle-même touchée.
L'abandon de l'euro va de pair avec une
réorientation de l'économie et de la politique étrangère. Il n'existe pas de
données exhaustives disponibles jusqu'à ce jour, mais certaines tendances sont
visibles.
En 2009, les exportations allemandes ont
chuté de 19 pour cent du fait de la crise économique. En 2010, elles ont comblé
ces pertes et presque atteint le chiffre record de 2008. Mais, alors que les
exportations vers la zone euro n'ont grimpé que de 14 pour cent en restant
inférieures à celles d'avant la crise, les exportations allemandes vers la
Chine ont progressé de 44 pour cent et celles vers la Russie de 28 pour cent.
L'Allemagne est aussi en train d'élargir son
champ d'action pour son Investissement direct étranger au-delà de l'Europe.
C'est l'une des causes des litiges concernant la guerre contre la Libye. Cette
guerre est principalement menée pour le pétrole mais aussi pour les marchés
d'exportation, pour l'exportation de capitaux et pour la répression des
révolutions dans l'ensemble de la région arabe. Le retour de la France, de la
Grande-Bretagne et de l'Italie à une politique coloniale agressive doit être vu
dans ce contexte. Compte tenu de la crise au sein de l'Union européenne, ces
pays reviennent aux méthodes traditionnelles qui dans le passé leur avaient
permis de l'emporter sur leur rival allemand.
Dans le domaine militaire, la
Grande-Bretagne et la France sont toujours supérieures. L'Allemagne ne dépense
que 1,3 pour cent de son PIB en dépenses militaires. La France dépense 1,6 pour
cent et la Grande-Bretagne 2,8 pour cent, soit plus du double. Les deux pays
sont toutefois éclipsés par les Etats-Unis qui consacrent presque 5 pour cent
de son PIB aux dépenses militaires.
Comme c'était le cas en 1890, lorsque
l'Allemagne se sentait « isolée » de tous côtés, elle recherchera
d'autres moyens pour défendre ses intérêts. Une réorientation de la politique
étrangère est tout aussi inévitable qu'un rôle actif accru de l'armée
allemande. La poursuite de ces deux objectifs ne peut toutefois se faire sans
conflits et crises internes.
La crise politique en Europe
Les changements survenus en Europe ont
entraîné une crise profonde au sein de tous les partis bourgeois. Etant donné
que les classes moyennes vont à la dérive, la base sociale des soi-disant
« partis populaires » se désagrège et la réorientation de la
politique étrangère et économique doit inévitablement générer des tensions
politiques. Les gouvernements conservateurs de France, d'Allemagne et de
l'Italie se trouvent tous dans une crise profonde. Mais s'il y avait des
élections imminentes, il est peu probable qu'ils parviendraient à garder le
pouvoir.
Jusqu'ici, les classes dirigeantes ont été
en mesure de maîtriser cette crise parce que la classe ouvrière n'a ni une
direction indépendante ni une perspective politique. Depuis le milieu des
années 1990, les classes dirigeantes se sont surtout appuyées sur des partis
sociaux-démocrates et sur les syndicats pour garantir leur régime - sur le New
Labour de Tony Blair au Royaume Uni, sur la coalition entre le SPD et les Verts
de Schröder et de Fischer en Allemagne, sur le gouvernement Jospin en France et
sur Prodi en Italie. Du fait de ce processus, les sociaux-démocrates se sont
discrédités eux-mêmes et ne s'en sont pas remis.
Depuis lors, la bourgeoisie se tourne de
plus en plus vers les anciennes forces gauchistes, petites bourgeoises pour
maintenir la classe ouvrière sous contrôle et empêcher un mouvement
révolutionnaire indépendant. Les pablistes français qui ont réussi à tirer
profit du déclin du parti socialiste et à remporter d'importants succès
électoraux jouent un rôle clé à ce sujet. Ils ont réagi à leur
« succès » en rompant tout lien, même de pure forme, avec le
trotskysme et en fondant le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qui opère
encore plus ouvertement comme un parti bourgeois, pro-impérialiste. Le NPA a
joué un rôle crucial dans la suppression du mouvement de grève contre Sarkozy
et justifie actuellement la guerre de l'OTAN contre la Libye.
En Allemagne, un rôle identique est joué par
le parti La Gauche (Die Linke), fondé par des sociaux-démocrates, des
responsables syndicaux et d'anciens staliniens pour endiguer le déclin de la
social-démocratie. Il a attiré tous les radicaux petits bourgeois dans ses
rangs.
Entre-temps, la décrépitude de la politique
bourgeoise a atteint un stade tel que des mouvements droitiers et fascistes
peuvent prospérer. En France les sondages accordent au Front national plus de
soutien qu'à l'UMP de Sarkozy. En Finlande, les True Finns ont remporté un
cinquième des voix lors des dernières élections. En Hongrie, le Fidesz au
pouvoir relance les traditions autoritaires du régime Horthy. En Italie, en
Autriche, au Danemark, aux Pays-Bas et en Suisse, les partis populistes
droitiers jouent également un rôle important.
Ils doivent leur succès au fait que la
« gauche » et l'« extrême gauche » bourgeoises ont pris un
fort virage à droite et ont permis à l'extrême droite de manipuler la vague
montante de protestations sociales. Marine Le Pen, par exemple, qui a pris en
janvier la place de son père aux commandes du Front national, a recentré
l'action du parti sur sur les questions sociales et - selon certains sondages -
a recueilli le soutien de certaines sections de travailleurs.
Parallèlement, l'extrême droite bénéficie de
l'appui significatif des médias et des partis bourgeois traditionnels. Ces
derniers ouvrent la voie à de tels mouvements en adoptant leur programme
xénophobe ou en collaborant directement avec eux. En France l'islamophobie et
la xénophobie font partie de la politique gouvernementale officielle ; des
décisions telle l'interdiction du port du foulard à l'école et de la burqa sont
soutenues par des gens qui se disent « gauchistes. » Une aile de
l'UMP préconise des alliances électorales avec le Front national.
Pour la classe ouvrière, ce soutien pour
l'extrême-droite doit être un avertissement. La volonté de la bourgeoisie de
recourir à des méthodes fascistes pour réprimer la classe ouvrière est en train
de croître.
En Allemagne, il y a également eu des
campagnes délibérées visant à cultiver la xénophobie et le racisme. Un exemple
en est la vaste tribune mise par les médias à la disposition de Thilo Sarrazin
pour répandre ses obscénités racistes. La principale source de soutien de
Sarrazin est venue d'une riche section de la classe moyenne. Mais, actuellement
un autre développement politique prédomine : la montée du parti des Verts.
Les racines politiques des Verts se trouvent
dans le mouvement de protestation de la fin des années 1960 et 1970. A cet
égard, il y a des parallèles avec l'ex-gauche française bien que les Verts se
soient déjà transformés à la fin des années 1990 en un parti ouvertement
impérialiste. En tant que parti au pouvoir à l'époque, ils avaient joué un rôle
décisif dans la relance du militarisme allemand et dans l'imposition de
l'Agenda 2010, en soutenant le chancelier social-démocrate, Gerhard Schröder,
contre l'opposition au sein de son propre parti. A présent, dans une situation
de crise générale de tous les autres partis bourgeois, on a besoin d'eux pour
mobiliser les couches de la petite bourgeoisie contre la classe ouvrière. C'est
là le contenu de leur programme qui associe des éléments disparates de
l'écologie, de la politique identitaire et alternative à une stricte austérité
fiscale.
Les tâches du PSG
L'état avancé de la crise en Europe
confronte le Parti de l'Egalité sociale (Partei für soziale Gleichheit, PSG) et
ses condisciples européens à des défis politiques majeurs. Il est difficile de
prédire exactement comment se développera le prochain stade de la crise. Ce qui
peut être dit avec certitude toutefois est que cette crise va s'intensifier et
durer.
La classe ouvrière n'acceptera pas les
assauts contre ses droits sociaux et démocratiques sans opposer de résistance
même si les vieilles organisations l'ont poignardée dans le dos. L'on a
constaté ces derniers mois un regain significatif des protestations et des
luttes des travailleurs. Les révolutions en Tunisie et en Egypte ainsi que le
renouveau de la lutte de classe aux Etats-Unis revêt une signification
internationale.
La responsabilité d'assurer la direction et de proposer une perspective
à ces luttes incombe au Comité international de la Quatrième Internationale et
à sa section allemande, le PSG. Notre travail durant ces 25 dernières années
nous a préparés à cette tâche.
En 1985-86 nous avons rompu avec les
renégats du Workers Revolutionary Party britannique qui s'était écarté de
l'internationalisme et s'était tourné vers le stalinisme, la bureaucratie
syndicale et le nationalisme petit bourgeois. Sans cette scission, nous nous
serions trouvés aujourd'hui dans le camp du Parti Die Linke (La Gauche). Depuis
lors, nous avons développé et élaboré notre analyse sur les syndicats et les
mouvements de libération nationale, fondé le PSG et mis en place le World
Socialist Web Site.
Nos luttes contre le parti Die Linke, le NPA
français et nos polémiques contre les tentatives d'introduire l'idéologie de
l'Ecole de Francfort dans notre mouvement nous ont également préparés politiquement
et idéologiquement pour la situation actuelle. Les conférences réussies
organisées par le Socialist Equality Party aux Etats-Unis sous le slogan
« La lutte pour le socialisme aujourd'hui », a souligné que notre
programme trouvait un écho grandissant au sein de la classe ouvrière.
La construction en Europe du Comité
international de la Quatrième Internationale requiert une lutte politique et
idéologique permanente contre les partis de la pseudo-gauche et petits
bourgeois, tels les Verts ainsi qu'une offensive systématique au sein de la
classe ouvrière. Ces deux tâches sont indissolublement liées entre elles.
Notre participation aux élections régionales
en septembre à Berlin jouera à cet égard un rôle crucial. A bien des égards,
toutes les questions sociales et politiques de l'Europe se traduisent
concrètement à Berlin. La ville est caractérisée par le chômage et la
main-d'ouvre bon marché. Dans le camp bourgeois, les Verts sont confrontés à
une coalition entre les sociaux-démocrates et le parti Die Linke, soutenue par
la petite bourgeoisie et les ex-gauchistes. La CDU (Christlich-Demokratische
Union, Union chrétienne démocrate) et le FDP (Freie Demokratische Partei, Parti
libéral-démocrate) ne jouent quasiment aucun rôle significatif.
Notre campagne se concentrera sur le
recrutement de nouveaux membres pour mener une lutte politique et idéologique
systématique contre les deux camps, et pour former politiquement ces nouveaux
membres.
Nous mènerons cette campagne sur la base
d'une perspective européenne et internationale. La perspective des Etats
socialistes unis d'Europe joue un rôle vital dans la lutte contre les partisans
de l'UE et de ses adversaires de l'extrême-droite. Du point de vue de la classe
ouvrière, l'union économique de l'Europe est absolument indispensable. Mais
cette tâche ne peut être confiée à la bourgeoisie et à ses institutions
européennes dont la politique accentue les divisions et les conflits en Europe.
Elle est indissolublement liée à la conquête du pouvoir politique par la classe
ouvrière et à la réalisation d'un programme socialiste.
Dans son discours « Europe et
Amérique » prononcé en 1926, Léon Trotsky déclarait : « Où
qu'éclate la révolution et quel que soit le rythme auqu'elle se développe,
l'union économique de l'Europe est la condition première de sa refonte
socialiste. C'est ce qu'a déjà proclamé l'Internationale communiste en
1923 : il faut chasser ceux qui ont morcelé l'Europe, prendre le pouvoir
pour unifier cette dernière et créer les Etats unis socialistes d'Europe. »