La France a reconnu cette semaine avoir livré des armes aux opposants qui combattent en Libye les forces du colonel Mouammar Kadhafi.
Le Figaro a dit que les livraisons consistaient en « lance-roquettes, fusils d’assaut, mitrailleuses et surtout missiles antichars. » Les armes ont été parachutées aux combattants de l’opposition – principalement des Berbères – dans les montagnes de la Nafusa, en Libye occidentale, à la frontière tunisienne.
Cette démarche a été critiquée par la Russie, la Chine et l’Inde. L’envoyé russe auprès de l’OTAN, Dmitry Rogozin, a dit que ceci signifie que « des pays individuels de l’OTAN ont en fait commencé à fournir une aide militaire directe à l’un des camps belligérants, » et que c’était « une ingérence directe dans un conflit interne. »
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavro, a dit que ceci représentait une « violation flagrante » de la résolution 1970 du Conseil de sécurité des Nations unies qui a imposé en février un embargo sur les armes à la Libye. Elle précède la résolution 1973 du 17 mars du Conseil de sécurité des Nations unies imposant une zone d’exclusion aérienne et sanctionnant la guerre fondée sur la conception qu’elle protège des civils.
L’Union africaine (UA) a aussi condamné le parachutage d’armes. Le président de la commission de l’UA, Jean Ping, a dit que la démarche augmente le « risque d’une guerre civile, le risque de partition du pays, le risque d’une somalisation du pays, le risque de prolifération des armes avec le terrorisme, » ce qui préoccuperait « toutes les régions avoisinantes. »
Ceci a été rejeté par l’ambassadeur de France auprès des Nations unies, Gérard Araud, qui a déclaré : « Nous avons décidé de fournir des armes défensives aux populations civiles parce que nous considérons que ces populations sont menacées. »
Le porte-parole de l’état-major des armées françaises, Thierry Burkhard, a indiqué que les livraisons ne consistaient qu’en armes pouvant « être maniées par des civils… pour éviter que les civils soient massacrés » et qu'il s'agissait seulement « de l'armement léger et des munitions. »
La France a nié que la démarche est une violation des mandats de l’ONU. Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a dit que la démarche se situait « dans le cadre des résolutions [1970 et 1973] du Conseil de sécurité de l’ONU. » La résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies autorise à « prendre toutes mesures nécessaires » pour protéger des civils, « nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 », allusion claire à l’embargo sur les armes.
Dès le début de l’attaque contre la Libye, des motifs « humanitaires » ont été utilisés comme prétexte cynique pour l’objectif de changement de régime qui est poursuivi par les puissances occidentales.
Durant cinq mois, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, aidés par 14 autres pays, ont cherché à cette fin à exploiter et à exacerber la guerre civile en Libye. Des centaines de sorties sont faites tous les jours par l’aviation pour assister diverses forces rebelles, sous l’égide du Conseil national de Transition dont le but est d’anéantir les forces de Kadhafi et d’intimider la population.
Le journal spécialisé Army Times a rapporté que depuis le 31 mars, les Etats-Unis « ont fait au total 3.475 sorties pour soutenir l’opération Protecteur unifiée [Operation Unified Protector, OUP]. 801 de ces sorties étaient des sorties de frappe, dont 132 en fait avec largage de matériel militaire. »
Néanmoins, les forces s’opposant à Kadhafi restent divisées et faibles. Elles manquent de tout soutien significatif dans le pays en général, la principale base de l’opposition a été dans la ville de Benghazi, dans l’Ouest libyen, et qui abrite le CNT. Considéré être le gouvernement en puissance de la Libye, il est présidé par d’anciens membres du régime Kadhafi et d’agents du renseignement occidental.
Le largage d’armement français a cherché à ouvrir pour les puissances de l’OTAN un autre front dans la guerre civile. Il vise à renforcer une offensive menée par les rebelles de Nafusa – soutenue par des avions de combat de l’OTAN – qui les a fait arriver à 50 miles de la capitale.
La guerre civile est considérée ici être stratégique à la capture de Tripoli et Nafusa offre une voie d’accès pour entrer dans la capitale par le Sud. Une autre cible est la ville de Zawiya, actuellement contrôlée par les troupes gouvernementales et où se situe la dernière raffinerie opérationnelle de Kadhafi.
Il a été rapporté la semaine passée que les rebelles de Nafusa ont fermé un oléoduc approvisionnant la ville. Selon l’Economist, si le gouvernement « devait perdre Zawiya et sa raffinerie, la partie serait probablement terminée. »
Bien qu’il soit bien connu que le Qatar et les Emirats arabes unis ont fourni des armes aux rebelles dans l’Ouest de la Libye, c’est la première fois qu’un pays membre de l’OTAN a reconnu l’avoir fait.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont cherché à se distancer de cette démarche, mais Juppé a dit que la France avait « informé le Conseil de sécurité et nos partenaires de l’OTAN » au sujet de ces livraisons.
Ceci a été confirmé par un article du Financial Times citant un responsable britannique qui a dit que le Royaume-Uni était « informé depuis quelques semaines » de la décision française. « Je suis surpris que les Français aient rendu la chose publique, » a-t-il dit au FT.
En fait, la divulgation française est généralement considérée être un moyen pour exiger une implication plus directe « sur le terrain » de la part des autres puissances militaires de l’OTAN.
Le FT a dit que « quelques responsables de l’OTAN » estiment que l’objectif était « de donner lieu à un débat au sein de l’OTAN pour savoir si davantage devait être entrepris à cette échelle. »
« Il y a beaucoup de gens qui pensent que le moment est venu de prendre les choses au sérieux », a rapporté le journal en citant un responsable de l’OTAN à Bruxelles. « Le fait que les Français sont prêts à ce que les médias sachent qu’ils font ce genre de chose en est la preuve. »
Compte tenu des bombardements quotidiens, des efforts systématiques entrepris pour assassiner Kadhafi et sa famille et du recours politiquement motivé aux accusations de crimes de guerre pour menacer ses plus proches alliés, la demande de « prendre les choses au sérieux » marque une intensification effrayante de l’intervention de l’OTAN.
Mahmoud Jabril du CNT a exigé que les livraisons étrangères de munitions soient immédiatement faites aux forces anti-Kadhafi pour « pour décider rapidement de la tournure de cette bataille. »
Jeudi, il a été annoncé que l’opposition à Misrata avait dit qu’elle aussi était impliquée dans des pourparlers avec la France pour des livraisons d’armes et de munitions. Les rebelles basés à Misrata – situé à 130 miles à l’Est de Tripoli – n’ont pas réussi à progresser malgré le soutien de l’OTAN.
« Nous sommes en pourparlers avec la France pour qu'elle nous livre des fusils, » a dit le porte-parole militaire, Ibrahim Betalmal. « Nous essayons de faire de notre mieux pour obtenir des munitions et des fusils de la France et, inchallah [si dieu le veut], nous allons obtenir ces fusils. Il s’agit de négociations avec la France, pas avec l’OTAN. »
La confirmation du parachutage d’armes françaises a coïncidé avec la divulgation que des responsables du Département britannique pour le développement international (Department for International Development) ont rédigé un document de 50 pages conseillant le CNT au sujet d’un gouvernement de l’après-Kadhafi en Libye.
Le document qui n’a pas été publié aurait été transmis au CNT en début de semaine pour être débattu le mois prochain lors de sa réunion à Istanbul par le « groupe de contact » sur la Libye.
Le document est l’œuvre de la nouvelle Equipe d’intervention de stabilisation internationale du Royaume-Uni (International Stabilisation Response Team) qui comprend « des spécialistes des domaines tels que l’économie, l’infrastructure, les services publics essentiels, la sécurité, les systèmes de justice et la politique. »
Le dossier classe les efforts de « stabilisation » dans le pays en trois phases – avant la chute de Kadhafi, les 30 jours immédiatement après, et « l’avenir à moyen terme. »
Andrew Mitchell, secrétaire d’Etat britannique au Développement international, a dit que le dossier ne donnait pas d’ordres au CNT quant à la manière de faire la transition vers un nouveau gouvernement. L’ensemble du processus doit être « propre à la Libye » a-t-il dit.
Ceci a été démenti par sa déclaration selon laquelle les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’ONU apporteraient une « forte contribution » aux arrangements politiques de l’après Kadhafi. Selon le Guardian, Mitchell a aussi dit que l’OTAN, l’ONU et l’Union européenne « prendraient les initiatives en matière de sécurité et de justice ; l’Australie, la Turquie et l’ONU apporteraient leur aide pour les services de base ; la Turquie, les Etats-Unis et les institutions financières internationales montreraient l’exemple en matière économique. »
Conformément au caractère fragmenté de l’opposition, le dossier traite apparemment de questions allant « de la lutte contre le pillage et les représailles à la fourniture de services de base et à l’assurance de liaisons efficaces pour garantir que les citoyen libyens sachent ce qui se passe en cette période d’incertitude. »
Mitchell a dit que la question centrale est de tirer les leçons des erreurs commises dans la guerre en Irak. Ceci signifie en particulier ne pas répéter l’erreur de « de-Ba’athification » qui a eu lieu en Irak après le renversement de Saddam Hussein en 2003. Il est par contre jugé nécessaire de maintenir l’armée et les forces de sécurité pour réprimer l’opposition populaire. « Quand Tripoli tombera, quelqu’un devra téléphoner à l’ancien chef de la police à Tripoli pour lui dire qu’il a du travail, » a dit Mitchell.
Le Guardian a rapporté que « Des observateurs non armés de l’ONU maintiendraient très probablement un cessez-le-feu si l’environnement était « favorable » mais il y a des débats sur une force de maintien de la paix plus lourde. La Turquie, seul Etat membre musulman de l’OTAN, devrait jouer un rôle clé. »
(Article original paru le 2 juillet 2011)
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