Des milliers de personnes ont défilé dans les principales villes
égyptiennes pour exiger des sanction judiciaires contre les policiers qui
ont tué des manifestants durant le mouvement révolutionnaire qui a contraint
à la démission le dictateur de longue date, Hosni Moubarak. La police a tué
29 personnes et blessé plus de 1.000 entre le 25 janvier et le 11
février, mais pas un seul policier ni responsable du régime n’a été traduit
en justice.
Quatorze policiers sont actuellement jugés devant le tribunal criminel de
Suez pour meurtre et tentative de meurtre durant les 18 jours de troubles
politiques qui ont conduit à la démission du président Moubarak le 11
février. Tout comme la place Tahrir au Caire, Suez a été le théâtre de la
répression la plus sanglante de la part de la dictature de Moubarak, avec 29
personnes tuées et plus de 1.000 blessées. Les policiers jugés sont accusés
d’avoir tué 17 personnes et blessé 350.
Cette nouvelle vague de protestations a été déclenchée au Caire lundi par
la décision du juge de libérer sept policiers accusés du meurtre de
manifestants dans la ville industrielle de Suez.
Dans ses remarques faites à l’audience, et signalées par l’agence
d’information égyptienne MENA, le juge semblait avoir adopté une ligne dure
à l’égard des accusés en déclarant, « Le sang de ceux qui ont été tués
n’aura pas été versé en vain. » Mais il a ensuite ordonné leur mise en
liberté sous caution en attendant le procès qui se tiendra le 15 septembre,
et les a placés sous la protection du conseil militaire au pouvoir.
Les familles des victimes, présentes dans la salle d’audience, ont
explosé de colère, attaquant les agents de sûreté et essayant de
s’introduire dans le bureau du juge pour être ensuite refoulées par les
soldats. Puis, elles ont défilé sur la principale autoroute reliant Le Caire
à Suez qu’elles ont bloquée pendant plusieurs heures et ont été rejointes
par des conducteurs de poids lourds et des habitants de Suez.
Pour finir, la foule a poursuivi son chemin vers Suez où elle a occupé la
place Arbein dans le centre ville, bloquant la circulation et scandant des
slogans tels « A bas la junte militaire », à l’adresse des successeurs de
Moubarak au Conseil Suprême des forces armées (SCAF) qui est au pouvoir. Une
manifestation identique a débuté à Alexandrie, deuxième plus grande ville d’Egypte,
où des manifestants ont défilé le long de la Corniche et occupé une
importante mosquée.
Un porte-parole du ministère public a dit qu’un effort serait fait
mercredi pour convaincre la cour d’invalider sa décision et de remettre les
policiers en prison mais les manifestants à Suez n’ont pas été apaisés et
ont promis de poursuivre toute la semaine leur occupation de la place Arbein.
Mardi matin, les manifestants ont combattu une attaque violente d’une bande
de gros bras pro-régime armés d’épées et de gourdins.
Dans la période précédant les manifestations prévues vendredi sur la
place Tahrir, et qui devraient être les plus importantes depuis l’éviction
de Moubarak, la libération provocatrice de la police à Suez ne fera
qu’attiser la colère populaire dans le pays.
La répétition générale d'une telle violence
a eu lieu dimanche soir lorsque des gros bras, se faisant passer pour des
vendeurs ambulants, ont subitement lancé une attaque non provoquée contre
les manifestants occupant la place Tahrir. Ils ont brandi des couteaux, des
barres de fer et des bonbonnes de gaz, et incendié plusieurs tentes
utilisées pour le sit-in.
Trois rapports ont été publiés ces derniers jours par des organisations
égyptiennes de droits humains soulignant l’ampleur à la fois de la
répression politique par l’armée et la résistance de la classe ouvrière à la
répression.
Le Réseau arabe pour l’Information sur les Droits humains a relaté lundi
qu’au moins 10.000 civils ont été jugés et condamnés par des tribunaux
militaires depuis l’éviction de Moubarak. Plusieurs milliers se trouvent
encore en prison, purgeant leur peine, a dit le groupe.
« Ce ne sera pas une exagération de dire que [le] pouvoir judiciaire est
le seul domaine à n’avoir connu aucun changement après la révolution du 25
janvier, » a précisé le groupe.
Un rapport publié mardi par la commission d’établissement des faits du
Conseil national des Droits humains a trouvé que les affrontements des 28 et
29 juin sur la place Tahrir avaient été prémédités. Alors que les familles
des martyrs de la révolution de janvier ont réagi spontanément contre la
provocation, l’intervention de la police contre elles a été une escalade
délibérée de la violence. Ceci a inclus dans certains cas le recours à des
balles réelles tirées contre des gens non armés.
Finalement, un rapport publié par l’Association des Droits humains Awlad
Al-Ard a constaté que durant la première moitié de 2011, il y a eu 338
sit-ins, 158 grèves, 259 manifestations et 161 protestations de
travailleurs, exigeant tous de meilleures conditions de travail. Durant ce
mouvement de grève, plus de 11.000 travailleurs ont perdu leur emploi et 12
se sont suicidés en raison des conditions brutales dans lesquelles ils
travaillaient.
Le mouvement de grève a joué un rôle décisif dans le renversement de
Moubarak et les confrontations continuent entre la classe ouvrière et le
régime militaire. Lundi, la police militaire a arrêté cinq travailleurs qui
avaient pris part à une grève contre les Autorités du Canal de Suez. Les
cinq travailleurs ont été nommés dans la presse égyptienne comme étant
Nasser El Berdessy, Nadia Youssef, Metawei Harb, Mohamed Haggag et Mahmoud
Shaaban.
La grève avait débuté le 14 juin dans sept entreprises contrôlées par les
Autorités pour exiger le renvoi de son directeur général, le général Ahmed
Fadel qui avait refusé d’appliquer un accord du 19 avril réclamant une
augmentation de salaire de 40 pour cent pour tous les travailleurs à compter
de juin. Le Canal de Suez est une énorme source de revenu qui va en grande
partie dans les coffres de l’armée.
Le principal partisan du régime militaire en Egypte est le gouvernement
Obama qui oeuvre consciemment et délibérément pour écraser ce mouvement de
masse et maintenir la domination du capital égyptien et international dans
ce pays semi-colonial.
Le 30 juin, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton a annoncé que le
gouvernement américain avait établi un contact direct avec les Frères
musulmans, principal groupe islamiste, qui avait autrefois été interdit par
Moubarak.
La déclaration de Clinton a été faite après la visite en Egypte d’une
délégation de haut rang d’hommes d’affaires américains dont les cadres
dirigeants d’ExxonMobil, de Coca Cola et de Citigroup, et conduite par deux
sénateurs américains, l’ancien candidat présidentiel démocrate John Kerry et
l’ancien candidat présidentiel républicain, John McCain. Ces deux sénateurs
venaient tout juste de soutenir une résolution approuvant l’attaque
militaire américaine contre la Libye, voisin de l’Egypte à l’Ouest.
Washington a identifié les Frères musulmans comme un allié potentiel du
conseil militaire contre la classe ouvrière égyptienne. Ce rapprochement a
été facilité par l’adoption manifeste de la politique d’austérité par les
Frères musulmans.
Le Parti de la Liberté et de la Justice, bras électoral mis en place par
les Frères musulmans pour les prochaines élections parlementaires de
septembre, a publié un plan économique pour rassurer les investisseurs
étrangers. La déclaration déplore le « large déficit budgétaire », soutenant
les efforts de l’armée pour réduire des dépenses sociales.
En vertu d’une révision budgétaire publiée par le ministère des Finances,
approuvée par le gouvernement et appuyée par Mohamed Hussein Tantawi, le
commandant en chef des forces armées et le chef de la junte militaire, les
dépenses consacrées aux services essentiels pour les masses égyptiennes vont
en fait, suite au renversement de Moubarak, diminuer plutôt que d’augmenter.
Les dépenses totales consacrées à l’éducation chuteront pour passer de 55
milliards de livres égyptiennes à 52 milliards, celles du logement de 21
milliards de livres à 16,7 milliards et de la santé de 24 milliards de
livres à 23,8 milliards.
Ces coupes sont faites dans une situation où 32 millions de personnes,
soit 40 pour cent de la population égyptienne, vivent sous le seuil officiel
de pauvreté, soit avec 2 dollars par jour. 12,2 millions d’entre eux vivent
dans des bidonvilles autour du Caire, d’Alexandrie et d’autres villes.
(Article original paru le 6 juillet 2011)