Une atmosphère de pathos national a dominé le parlement allemand lors de
sa séance au Reichstag jeudi. Le parlement s'était réuni pour voter le
projet de loi de sortie du nucléaire de l’Allemagne d’ici 2022.
Le ministre de l’Environnement, Norbert Röttgen (du parti conservateur au
pouvoir, l’Union chrétienne démocrate, Christlich-Democratische Union, CDU),
a parlé à profusion de ce « projet de génération et d’unité nationale ». Il
a loué le consensus « qui a caractérisé le pays après 30 ans de débats
irréconciliables. » Le journal conservateur Frankfurter Allgemeine
Zeitung (FAZ) a titré son commentaire « La fin de la guerre de trente
ans, » le Frankfurter Rundschau a parlé d’une « décision historique »
et le journal taz, l’organe de presse des Verts a titré à la Une
« L’oeuvre nationale commune. »
La CDU, CSU (Union chrétienne-sociale en Bavière, Christlich-Soziale
Union) et le FDP (Parti libéral-démocrate, Freie Demokratische Partei), le
SPD (Parti social-démocrate allemand, Sozialdemokratische Partei
Deutschlands) et les Verts ont presque voté à l’unanimité en faveur du
projet gouvernemental. Seul le parti La Gauche (Die Linke) a voté contre, en
ne critiquant que quelques détails de la loi. La querelle au parlement n’a
concerné que la question de savoir qui devrait pouvoir s’attribuer le mérite
pour la sortie du nucléaire. Röttgen a revendiqué les droits d’auteur pour
le gouvernement tandis que le SPD et les Verts ont maintenu qu’ils étaient
les véritables parrains de la mesure.
Par leur vote jeudi au parlement, la génération protestataire de 1968
incorporée dans le parti des Verts a finalement fait la paix avec la nation
et l’Etat allemands. La FAZ a évalué la décision parlementaire comme
« la fin de la dernière grande bataille idéologique entre les Allemands et
qui a souvent revêtu des traits religieux. » La lutte concernant le
nucléaire a « façonné politiquement des générations, monté les générations
les unes contre les autres et changé de façon permanente le paysage
politique. »
Les conflits au sujet des usines nucléaires, des usines de retraitement
et des déchets nucléaires à Wyhl Wackersdorf, Kalkar et Gorleben ont souvent
pris le caractère d’une guerre civile. Des viticulteurs, des agriculteurs et
des militants écologistes de tout bord s’étaient livrés à de violents
combats avec la police. « Au cours des 40 dernières années, rien n’avait
dans ce pays poussé les citoyens dans la rue comme l’a fait le nucléaire, »
a déclaré le journal Süddeutsche Zeitung.
En fait, la véritable signification de la sortie du nucléaire réside
précisément dans cette réconciliation nationale avec les militants
écologistes et les Verts. Elle est d’une importance considérable pour le
gouvernement. La chancelière Angela Merkel a dû surmonter une forte
opposition dans ses propres rangs, et la fermeture de toutes les centrales
nucléaires en l’espace de dix ans est liée à de considérables risques
économiques. Alors que les exploitants des systèmes d’énergie renouvelable
espèrent qu’il y aura un boom, les entreprises à forte consommation
d’énergie craignent des pénuries d’énergie et une augmentation des prix,
mettant en péril leur potentiel d’exportation. Ceux-ci ont été quelque peu
amadoués par l’ajout d’une nouvelle loi concernant des engagements à hauteur
d’un demi milliard d’euros de subventions annuelles.
Du point de vue environnemental, la sortie du nucléaire n’a pas beaucoup
de sens. Les voisins français qui approvisionnent de plus en plus
l’Allemagne en énergie, exploitent environ 70 réacteurs nucléaires, dont
certains ne sont situés qu’à quelques kilomètres de la frontière allemande.
En Allemagne, il y a tout juste 17 centrales nucléaires, dont huit sont déjà
à l’arrêt.
Alors que les partis fédéraux se rapprochent sur la question du nucléaire
et célèbrent la réconciliation nationale, la société en général se polarise
de plus en plus. Près d’un habitant sur dix en République fédérale est
tributaire de l’aide publique et bien davantage vivent d'emplois précaires à
bas salaire.
Les dernières mesures d’austérité en Grèce représentent le début d’une
nouvelle offensive du capital financier à l’encontre des travailleurs en
Europe. Les coupes sociales, les réductions de salaires et les augmentations
des impôts imposées à la population grecque dans le but de satisfaire les
exigences des banques serviront à l’avenir de critères pour tous les pays
européens, y compris l’Allemagne. Dans le même temps, la crise financière
intensifie les tentions nationales en Europe et partout dans le monde.
Dans ce contexte, les élites dirigeantes resserrent les rangs. Les Verts
notamment sont à présent indispensables pour la formation d’un gouvernement
d’union nationale et pour renforcer l’Etat et le gouvernement lors de
conflits à venir. Les attaques contre les travailleurs requièrent un régime
qui soit suffisamment stable pour résister à la pression d’en bas.
C’est à cette fin que les Verts proposent leurs services. L’ancien parti
écologique est l’un des défenseurs les plus farouches d’une stricte
consolidation fiscale même si ceci nécessite de brutales coupes sociales. Le
parti est même un ferme défenseur du déploiement de l’armée allemande aux
quatre coins du monde. De leur point de vue, les récentes suggestions du
ministre de la Défense, Thomas de Maizière (CDU), ne vont pas assez loin.
Le débat sur le nucléaire n’est qu’un moyen pour parvenir à une fin. La
sortie du nucléaire dans un seul pays ne suffira pas à limiter le risque de
catastrophes comme celle de Fukushima ou la destruction de l’environnement,
tant que la vie économique et sociale est dominée par les intérêts de profit
des banques et du patronat.
Lorsque l’Allemagne était entrée dans la Première Guerre mondiale et que
le SPD avait voté les crédits de guerre allemands en 1914, l’empereur
allemand Guillaume II avait déclaré, « Je ne connais plus de partis, je ne
connais que des Allemands. » Aujourd’hui, le pathos de l’unité nationale
vise à préparer une guerre de classe contre la classe ouvrière.
(Article original paru le 4 juillet 2011)