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L'élite dirigeante tunisienne cherche à sauvegarder son régime après l'insurrection populaire qui a forcé le président Zine El Abidine Ben Ali à fuir le pays et à aller se réfugier en Arabie saoudite. Sa stratégie est de laisser espérer un gouvernement d'union nationale tout en imposant de fait un régime militaire.
La tentative initiale du premier ministre Mohamed Ghannouchi, un allié de longue date de Ben Ali, d'assumer le pouvoir comme président par intérim ont échoué et il a été remplacé par le président du parlement, Fouad Mebazaa.
Un autre homme loyal à Ben Ali, Mebazaa, a immédiatement annoncé que Ghannouchi avait été chargé de former un gouvernement d'union. Celui-ci comprendrait « tous les Tunisiens sans exception et exclusion, » y compris le parti de Ben Ali, a promis Mebazaa.
Cette fraude politique a été soutenue par Nejib Chebbi, un leader de l'opposition qui dirige le Parti démocratique progressiste (PDP) et par Ahmed Ben Brahim, le chef de l'ancien parti stalinien Ettajdid (Renouveau).
Cheddi a dit, après avoir rencontré Ghannouchi hier, que des élections pourraient être organisées sous contrôle international d'ici « six ou sept mois. »
Rached Ghannouchi, le chef en exil du parti islamiste tunisien, illégal, Ennahda, a lui aussi promis de participer à un gouvernement d'union. Son parti, étant un mouvement démocratique, a-t-il ajouté, ne représenterait pas un danger de militantisme.
Il est possible qu'on touche à la famille rapprochée de Ben Ali et à quelques partisans clé pour faire un exemple afin d'apaiser la colère populaire. Le chef des forces spéciales de Ben Ali, Ali Sériati, a été arrêté et accusé de fomenter la violence et de menacer la sécurité nationale.
Ces manoeuvres montrent qu'il est plus facile de se débarrasser d'un dictateur que de démanteler tout un régime dictatorial. C'est l'armée qui a le contrôle effectif de la Tunisie. Bien que présentée comme une alliée du peuple contre la police pro Ben Ali et l'appareil de la police secrète, ses fusils et ses chars sont là pour garantir que la classe capitaliste de la Tunisie soit protégée contre de la menace venue d'en bas. Un couvre-feu allant du crépuscule à l'aube reste en vigueur.
Il y a de plus la milice et des pilleurs apparemment organisés dont beaucoup pensent qu'ils sont des gens de Ben Ali. L'on estime qu'il y a un agent de police pour 40 adultes en Tunisie.
Des chars, des troupes et des hélicoptères ont été déployés pour boucler le centre de Tunis, la capitale et garder les bâtiments publics les plus importants. Des hélicoptères de l'armée survolent le centre ville. Des pilleurs par dizaines ont été emmenés de force. La plupart sont des gens poussés par la faim à commettre des actes désespérés. On rapporte qu'il y a des magasins manquant de denrées alimentaires.
Le fait que la brutalité du régime continue a été souligné par l'incident le plus mortel survenu samedi, lorsqu'un incendie a embrasé une prison à Monastir tuant 60 personnes. Les autorités ont refusé de laisser sortir les prisonniers, les condamnant à être brûlés et asphyxiés.
Angelique Chrisafis du Guardian a écrit qu'il y avait « des centaines de soldats et de chars » qui avaient « bouclé un centre de Tunis désert. » Elle a poursuivi en disant : « Au milieu des grenades lacrymogènes, des magasins saccagés et des trottoirs brûlés s'étale une mer de chaussures : une sandale gauche, une paire de basket déchirée, une pantoufle de femme fourrée, une chaussure brogue noire luisante. Ils avaient tous été laissés par des gens fuyant la police qui les pourchassait ou les tirait sur le sol et les frappait lors des protestations pacifiques qui avaient renversé le despote le plus répressif de la région. »
La chaîne d'informations CNN a posé cette question : « Est-ce que des bottes piétinent déjà la « Révolution du jasmin ? » Ben Wedeman de CNN a poursuivi : « Pour le moment il n'est pas clair si le mouvement apportera un vrai changement ou juste un changement au sommet. L'armée et les forces de sécurité tentent d'imposer l'ordre à Tunis. Un couvre-feu du crépuscule à l'aube est appliqué impitoyablement. Un fort sentiment d'une prise de pouvoir par l'armée est prévalant. »
L'objectif de l'élite dirigeante dans la répression de l'opposition est partagé par toutes les puissances impérialistes et les régimes arabes qui redoutent qu'une contagion révolutionnaire ne se propage au reste du Maghreb et dans tout le Moyen Orient.
La France, l'ancienne puissance coloniale, a pris la pose de celui qui soutient les protestations et appelé la Tunisie à organiser des élections libres dès que possible. Les Etats-Unis, après des jours de dérobade, ont envoyé Barack Obama au créneau pour applaudir le « courage » des manifestants tunisiens et leur lutte « vaillante. »
Le journal britannique The Telegraph a fait remarquer l'hypocrisie des deux gouvernements en remarquant qu'avant la chute de Ben Ali, « Les Etats-Unis venaient tout juste de voter un nouveau montant de 12 millions de dollars d'aide pour l'armée [tunisienne]. La France avait annoncé qu'il était trop tôt pour 's'ériger en donneur de leçons'. La ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avait dit il y a quelques jours que le message à la Tunisie devait être celui de « l'amitié » en offrant d'envoyer des forces de sécurité pour aider à 'régler les situations sécuritaires.'»
La Ligue arabe a appelé au calme et a demandé instamment à « toutes les forces politiques et aux responsables représentant la société tunisienne à s'unir et à ouvrer ensemble pour maintenir les accomplissements du peuple tunisien et réaliser la paix nationale. »
Le portail d'information en ligne du groupe allemand Deutsche Welle a montré clairement les préoccupations fondamentales des principales puissances et dit : « Ce qui s'est passé en Tunisie est un événement historique et un signal fort donné à l'ensemble du monde arabe. Cela montre que des populations peuvent réussir à se soulever contre des dirigeants autoritaires et corrompus et qu'elles peuvent obtenir un 'changement de régime' par leurs propres moyens - sans intervention armée de l'intérieur ou de l'extérieur et même sans être guidées par des politiciens d'opposition ou des acteurs de la société civile »
Son site Internet a dit clairement que ceci n'était pas un développement à saluer. « Une telle dynamique difficilement contrôlable n'est souhaitable que de manière conditionnelle, » a poursuivi Deutsche Welle. « Tous les acteurs de la Tunisie portent une responsabilité énorme qui dépasse symboliquement leur propre pays. Les forces restantes de l'ancien régime tout comme l'opposition, la société civile et la 'rue' ; tous ont la responsabilité d'initier un changement de pouvoir tant transparent qu'ordonné. »
Business Insider a été plus catégorique en posant dans son titre la question, « La Tunisie tombe en premier, qui tombera ensuite .? »
La déclaration la plus directe s'opposant au limogeage de Ben Ali est venue du voisin de la Tunisie, le dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi. « Je suis très peiné par ce qui se passe en Tunisie, » a-t-il dit. « La Tunisie vit désormais dans la peur. Des familles peuvent être attaquées et massacrées dans leurs lits et les citoyens tuent dans la rue comme s'il s'agissait de la révolution bolchévique ou de la révolution américaine. »
Il a continué en affirmant que les manifestants avaient été induits en erreur par les câbles divulgués par WikiLeaks montrant la corruption de la famille Ben Ali. Les câbles, a dit Kadhafi, avaient été « écrits par des ambassadeurs afin de créer le chaos. »
« Vous avez subi une grande perte, » a-t-il ajouté. « Il n'y a pas mieux que Zine (Ben Ali) pour gouverner la Tunisie. » Le dirigeant libyen a dit qu'il continuait à considérer Ben Ali comme « le président légal de la Tunisie. »
La préoccupation de Kadhafi n'est pas que platonique. Son allocution télévisée fut diffusée au moment où on rapportait des manifestations à Al-Bayda où des manifestants protestant contre les mauvaises conditions de logement s'étaient heurtés à la police et avaient attaqué des bureaux du gouvernement.
L'autre voisin de la Tunisie, l'Algérie, qui partage avec elle un millier de kilomètres de frontières, a déjà connu des émeutes au sujet du chômage et de la flambée des prix des produits de base et au cours desquelles cinq personnes ont été tuées. Ceci avait obligé le régime du président Abdelaziz Bouteflika à réduire les coûts du sucre et de l'huile. Mais sans apaiser l'opposition.
Samedi, un homme est mort après s'être immolé par le feu près d'un bâtiment gouvernemental - un événement rappelant le suicide par le feu qui avait déclenché les protestations en Tunisie. L'homme, Mohsen Bouterfif, s'était aspergé d'essence et avait mis le feu à son corps jeudi dernier après que le maire de Boudhadra lui ait dit qu'il ne pouvait lui procurer un emploi et une habitation.
Les médias algériens ont en général salué la chute de Ben Ali, Le Quotidien d'Oran faisant remarquer qu'elle avait donné « des sueurs froides à nos officiels, terrorisés qu'ils sont par la peur de l'effet de contagion que ces événements peuvent avoir en Algérie. »
En Jordanie, plus de 5.000 personnes avaient organisé des protestations la semaine passée dans ce qui a été décrit comme « une journée de la colère » contre la hausse des prix alimentaires et du chômage. Les protestations à Irbid, Karak, Salt et Maan avaient été menées par des partisans du Parti Baas qui avaient revendiqué que le premier ministre Samir Rifai démissionne. Les manifestants avaient scandé : « Classe unie, le gouvernement uni a sucé votre sang. »
La Jordanie a réagi en baissant cette semaine, sur ordre du roi Abdallah II, les prix et les impôts sur certaines denrées alimentaires et sur les carburants. Il a alloué plus de 200 millions de dollars au budget 2011 pour subventionner le pain, réduire le prix du carburant et créer des emplois. Le gouvernement Obama a augmenté de 100 millions de dollars son plan d'aide à la Jordanie pour cette année.
Ce qui préoccupe le plus les gouvernants dans le monde c'est le danger qu'un mécontentement social n'éclate en Egypte, le géant de la région. Le régime d'Hosni Moubarak a tenté de calmer les choses en déclarant son respect des « choix du peuple tunisien frère, » mais en précisant qu'il avait confiance dans « la sagesse des frères tunisiens [qui] les incitera à la retenue et empêchera la Tunisie de plonger dans le chaos. »
Vendredi, des protestations ont eu lieu dans la capitale égyptienne, Le Caire, où des manifestants ont scandé, « Ben Ali, dit à Moubarak qu'un avion l'attend aussi ! » A l'extérieur de l'ambassade tunisienne à Zamalek, au Caire, des manifestants ont crié, « A bas Hosni Moubarak ! », « Ben Ali, guignol! Moubarak, guignol! Kadhafi, guignol! » Des pancartes disaient, « Révolution à Tunis, demain en Egypte."
Le danger pour les masses tunisiennes est que les aspects acclamés par les médias comme étant les plus positifs de la « Révolution du Jasmin » - son caractère social hétérogène et son manque de direction - sont ses plus grandes faiblesses. Dans son éditorial, le Financial Times a présenté les événements en Tunisie comme formant un tout avec « les révolutions d'Europe de l'Est en 1989. »
Le Financial Times a appelé à la formation rapide d'un gouvernement d'union nationale et à d'autres mesures pour « guérir les plaies qui restent béantes dans la transition vers un nouvel ordre » avant d'insister pour dire que « Les Etats-Unis et l'Union européenne n'ont aucune raison de craindre les conséquences de la ' Révolution du Jasmin ' en Tunisie. »
Comme dans le cas de la chute des anciens Etats staliniens, un remplacement du régime de Ben Ali quel qu'il soit, laissé à la direction politique de la bourgeoisie et de ses partis, sera tout aussi hostile aux intérêts des masses et un allié tout aussi ferme des puissances impérialistes. Tout dépend de l'intervention politique consciente de la classe ouvrière tunisienne et de la construction de partis révolutionnaires en tant que sections du Comité International de la Quatrième Internationale.
(Article original paru le 17 janvier 2011)
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