L’Egypte, la Tunisie et la lutte contre l’impérialisme américain
Par Bill Van Auken
29 janvier 2011
Imprimez cet
article |
Ecrivez à
l'auteur
Deux semaines après que la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton,
a mis en garde les dirigeants arabes que dans « beaucoup d’endroits, les
fondations de la région s’enlisent dans le sable », le soulèvement
révolutionnaire des masses a révélé que les piliers de la propre politique
de Washington au Moyen Orient sont pourris et en train de s'effondrer.
Le soulèvement de masse qui a renversé le régime en place depuis 23 ans
du dictateur tunisien Zine al-Abidine Ben Ali est maintenant suivi par des
dizaines de milliers de jeunes manifestants en Egypte qui sont descendus
dans la rue, défiant les forces de sécurité et toujours plus nombreux à
risquer leur vie pour exiger la chute d’Hosni Moubarak et de son régime en
place depuis près de trois décennies. Des milliers d’autres ont manifesté
jeudi dans la capitale yéménite Saana, réclamant l’éviction d’Ali Abdullah
Saleh qui gouverne le pays depuis plus de 30 ans.
A chaque fois, les masses de jeunes et de travailleurs se sont soulevées
contre des régimes qui sont synonymes d’inégalité sociale, de corruption, de
répression politique et de torture et qui sont fermement alignés sur
l’impérialisme américain et largement financés par lui. Ils ont été poussés
à agir par les mêmes conditions de chômage, de hausse des prix et d’abus du
gouvernement qui ont conduit le jeune Tunisien Mohamed Bouazizi à s’immoler
par le feu en signe de protestation, inspirant les manifestations qui ont
déferlé sur son pays.
Ces conditions ont rendu la vie de plus en plus intolérable à des
millions de gens dans toute la région tout en privant la jeune génération
d’un avenir. Elles sont l’héritage d’une époque entière de domination
coloniale suivie par l’incapacité et par le manque de volonté de la part des
mouvements nationalistes bourgeois de la région de forger une quelconque
indépendance par rapport à l’impérialisme. A présent, ces conditions de
pauvreté de masse et d’oppression ont été sérieusement aggravées par une
crise historique du capitalisme mondial dont l'épicentre sont les Etats-Unis
eux-mêmes.
Cela fait près d’une décennie que le gouvernement de George W. Bush,
utilisant les attentats du 11 septembre 2001 comme prétexte, a commencé des
guerres, d’abord en Afghanistan puis en Irak, dans le but d’exploiter la
suprématie militaire américaine afin d’établir une hégémonie incontestée de
l’impérialisme américain dans la région. Ces guerres et occupations toujours
en cours, ayant coûté la vie à plus d’un million de gens et saigné
l’économie américaine de plus de mille milliards de dollars, n’ont atteint
aucun de leurs buts originaux mais ont renforcé la haine à l’égard de
Washington partout au Moyen Orient et internationalement.
Durant les jours grisants du triomphalisme impérialiste qui avait
accompagné le lancement de ces guerres, le gouvernement Bush avait proclamé
son soutien à un « calendrier pour la liberté». Il avançait la thèse qu’un
Irak « libéré » servirait d'inspiration poussant les masses de la région à
embrasser la « liberté » et la « démocratie » tout en s’alignant elles-mêmes
sur les intérêts des Etats-Unis et d’Israël.
Le prétendu soutien de Washington pour la démocratie et des élections
libres dans la région a été de courte durée. Une élection parlementaire dans
les territoires occupés palestiniens a donné une victoire absolue au
mouvement islamiste du Hamas qui a rejeté le cadre du « processus de paix »
parrainé par les Etats-Unis. Les Etats-Unis ont réagi en appuyant une
tentative de coup d’Etat, puis la séparation de la Cisjordanie et de Gaza,
soumettant ainsi le peuple palestinien à une punition collective incessante
pour leur choix fait dans les urnes.
De la même façon, la récente arrivée au pouvoir d’un gouvernement soutenu
par le mouvement du Hezbollah au Liban, conformément aux règles du système
parlementaire en vigueur dans le pays, a été traitée par Washington comme un
coup d'Etat illégitime et provoqué des menaces d'interruption des aides et
même d’agression militaire.
Dans une interview, jeudi, sur National Public Radio, Graeme Bannerman,
ancien expert du Moyen Orient au Policy planning Staff du Département d’Etat
américain, a exprimé la position réelle du gouvernement américain – sous
Bush comme sous Obama – dissimulée derrière toute la rhétorique de soutien
aux réformes et aux droits humains.
« L’opinion publique au Moyen Orient va tellement à l’encontre de la
politique américaine, » a-t-il dit, « que tout changement au sein de
n’importe quel gouvernement au Moyen Orient devenant plus populaire, aura
une orientation anti-américaine et certainement moins favorable à l’égard
des Etats-Unis, ce qui nous posera un sérieux problème politique. »
Ceci se vérifie en Egypte comme nulle part ailleurs. Depuis 34 ans, soit
depuis qu’Anwar Sadat s’est rendu à Jérusalem puis a signé les accords de
Camp David avec Israël, les Etats-Unis soutiennent la dictature militaire
dirigée d’abord par Sadat puis par son successeur, Moubarak.
L’Egypte a servi de clé de voûte à la politique américaine au Moyen
Orient. En échange, les Etats-Unis ont déversé tous les ans 1,3 milliards de
dollars d’aide militaire au régime égyptien. Les balles, les grenades
lacrymogènes, les matraques utilisées contre les jeunes et les travailleurs
qui manifestent au Caire et ailleurs portent clairement la marque « Fabriqué
aux Etats-Unis. »
Dès le début de la propagation de la révolte au Moyen Orient, la
hiérarchie de Washington a été déconcertée par les événements. En Tunisie, à
peine trois jours avant que Ben Ali ne prenne l’avion pour fuir la colère de
son propre peuple et être accueilli en exil en Arabie saoudite, la
secrétaire d’Etat américaine, Clinton, avait exprimé son inquiétude quant
aux « troubles et à l’instabilité » dans le pays, tout en prônant les
« aspects très positifs de nos relations » avec le dictateur de longue date
du pays. Elle avait insisté pour dire que Washington « ne prenait pas
parti » alors même que des troupes formées et équipées par les Etats-Unis
abattaient des manifestants dans les rues.
Ce n’est qu’après la chute de son allié Ben Ali que le gouvernement Obama
a découvert, selon les paroles du président, « le courage et la dignité du
peuple tunisien. » Dans son discours sur l’état de l’Union, il a proclamé
que les Etats-Unis « sont aux côtés du peuple tunisien. » Il n’a pas adressé
un tel soutien verbal au peuple d'Egypte, où le même jour les escadrons de
policiers anti émeute et les gros bras de la police secrète procédaient à
des arrestations de masse et matraquaient les manifestants comme les
journalistes.
Jeudi, le vice-président Joe Biden a clairement montré l’engagement
continu du gouvernement à l’égard de la dictature haïe d'Egypte. « Moubarak
a été notre allié dans un certain nombre de choses. Et il s’est montré très
responsable… en ce qui concerne les intérêts géopolitiques (américains) dans
la région… pour la normalisation des rapports avec Israël, » a déclaré
Biden. « Je ne le qualifierais pas de dictateur, » a-t-il ajouté en
insistant pour dire que Moubarak ne devrait pas démissionner.
Le message sans équivoque est que si le régime de Moubarak doit recourir
à un bain de sang pour éviter d’être renversé par les masses dans la rue, il
sera fermement soutenu par Washington. Tous les discours visant à pousser le
régime à se réformer sont totalement creux. L’époque où la dictature
égyptienne sclérosée de Moubarak, âgé de 82 ans, était capable de prendre de
telles mesures est révolue depuis longtemps.
Entre-temps, comme l’écrivait le Wall Street Journal jeudi, « Les
Etats-Unis tentent de réorienter la colère qui s’étend sur la région. » Ils
ont dépêché à Tunis Jeffrey Feltman, responsable de haut rang du Département
d’Etat américain en charge de la région, pour superviser les manœuvres
destinées à sauver la dictature de Ben Ali sans Ben Ali. En Egypte,
l’arrivée au Caire de Mohamed El Bararei, Prix Nobel de la Paix et ancien
chef de l’agence de régulation nucléaire de l’ONU, pourrait bien signaler le
lancement d’une initiative américaine visant à parvenir à un accord négocié.
Washington craint avant tout l’entrée dans la lutte politique de masse
des dizaines de millions de travailleurs égyptiens. Dans un pays où 40 pour
cent de la population vit au dessous du seuil de pauvreté avec 2 dollars ou
moins par jour, la « liberté » encouragée par les Etats-Unis a été livrée
sous la forme du capitalisme de « libre marché » qui a promu des
privatisations tous azimuts, l’ouverture des marchés et d'autres mesures qui
ont enrichi une mince couche au sommet tout en plongeant la masse de la
population dans une misère grandissante.
La crise capitaliste mondiale qui provoque les soulèvements au Moyen
Orient a son épicentre aux Etats-Unis même. La débâcle à laquelle est
confronté Washington dans cette région est un critère significatif du déclin
croissant de l’impérialisme américain.
Les travailleurs de Tunisie, d'Egypte, du Yémen, de Jordanie, d'Algérie
et d'autres pays de la région, qui entrent dans des luttes de masse
trouveront leur plus grand allié dans la classe ouvrière américaine qui est
confrontée aux attaques les plus importantes de son histoire contre les
emplois, le niveau de vie et les droits fondamentaux.
Les revendications des travailleurs et des jeunes qui sont descendus dans
la rue à Tunis, au Caire et dans d’autres villes arabes pour réclamer des
emplois, des salaires décents et des droits démocratiques ne peuvent être
satisfaites qu’au moyen d’une lutte révolutionnaire pour mettre fin au
capitalisme qui est incapable de satisfaire, dans n’importe quel pays, les
besoins les plus élémentaires des travailleurs.
La tâche urgente que posent ces événements est la construction d’une
nouvelle direction révolutionnaire qui lutte pour l’unification de la classe
ouvrière par-delà les frontières nationales sous la bannière des Etats
socialistes unis du Moyen Orient et du Maghreb comme partie intégrante de la
révolution socialiste mondiale. Ceci signifie la construction de sections du
Comité international de la Quatrième Internationale dans toute la région.
(Article original paru le 28 janvier 2011)
Voir:
Notre couverture sur les événements au
Maghreb