Le même jour, une nouvelle loi entrait en
vigueur en Hongrie, plaçant les médias publics et privés sous le contrôle du
gouvernement en éliminant pratiquement la liberté de la presse. La coïncidence
de ces deux événements est significative. La liberté d'expression et la
démocratie en général sont en train de se désintégrer partout en Europe.
Le gouvernement conservateur hongrois n'a
pas perdu de temps pour manifester son pouvoir sur les médias. A peine la loi
entrait-elle en vigueur que le Conseil des médias nouvellement créé engageait
des poursuites contre la petite radio de gauche Tilos Radio. Elle a été
accusée d'avoir diffusé il y a quatre mois une chanson du rappeur Ice-T. Etant
donné que peu de Hongrois comprendraient l'argot américain du rappeur, le
Conseil des médias a publié en même temps une traduction hongroise du texte
contesté afin de prouver son effet soi-disant nocif sur les enfants.
La cible suivante du Conseil des médias a
été la chaîne de télévision RTL Klub. Cette chaîne de télévision est
également considérée être relativement libérale et critique du gouvernement.
Elle est accusée de « sensationnalisme » dans son reportage sur le
« fratricide brutal survenu dans un village au Sud de la Hongrie. »
La photo d'un drap maculé de sang qu'elle avait publiée aurait été
préjudiciable aux jeunes gens et même aux adultes. »
Les deux cas montrent que la nouvelle loi
donne au gouvernement un blanc seing pour réduire au silence les organes de
presse sur la base de n'importe quel prétexte. Alors que le Conseil des médias
se sert d'accusations morales telles la « glorification de la
violence, » la « mise en danger des jeunes» et la « pornographie »
pour poursuivre des organes de presse ciblés, les médias pro-gouvernementaux
qui empoisonnent au quotidien le climat social avec des tirades de haine contre
les Roms, les Juifs, les homosexuels et les « communistes, » ne
craignent pas d'être sanctionnés.
Jusqu'à ce jour aucune amende n'a été
infligée à Tilos Radio ou TRL Klub, mais le Conseil des médias a
le pouvoir de leur retirer leur licence ou de les ruiner en leur imposant des
amendes draconiennes. Le Conseil ne comprend que des membres issus du parti
dirigeant, le Fidesz. A sa tête se trouve Anna Maria Szalai, une confidente de
longue date du premier ministre Viktor Orban.
La Commission européenne, qui est
responsable de l'application des traités de l'UE a jusque-là réagi timidement à
la violation de la liberté de la presse en Hongrie, malgré le fait qu'il y ait
eu des discussions au sujet de la nouvelle loi pendant des mois, et qu'au sein
de l'UE même quelques voix critiques isolées se soient élevées.
Juste avant Noël, la commissaire aux
Télécommunications et Médias, Neeli Kroes, avait envoyé une lettre au
gouvernement hongrois pour exprimer sa préoccupation quant à savoir si la
composition du Conseil des médias était compatible avec les directives
communautaires existantes. Mais, jusque-là, elle a refusé de vérifier si la loi
elle-même était compatible avec la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne qui garantit la liberté d'information et la liberté d'expression.
Il y a plusieurs raisons à la réaction
poltronne de la Commission communautaire. D'abord, elle tient à éviter à tout
prix de mettre en question la présidence de l'UE de la Hongrie. Compte tenu des
conflits tenaces qui sévissent au sein de l'UE au sujet des questions
monétaires et économiques, un défi à la présidence de la Hongrie déclencherait
inévitablement une nouvelle crise.
Une chose plus fondamentale encore est le
fait que la Hongrie n'est pas un cas isolé. Les mesures d'austérité dictées par
l'UE à la Hongrie, la Grèce, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et bien d'autres
pays encore sont incompatibles avec les droits démocratiques.
Dans bien des pays européens, la liberté de
la presse est quasiment lettre morte. En Italie, Silvio Berlusconi possède et
contrôle presque tous les organes de presse privés et, en tant que chef du
gouvernement, il contrôle les chaînes publiques. En Espagne aussi, le groupe
Mediaset de Berlusconi est depuis le début de l'année le plus grand diffuseur
de télévision.
En France, Nicolas Sarkozy, entretient
d'étroites relations personnelles avec des éditeurs de presse influents et, en
tant que président, musèle les médias publics. Il a veillé personnellement à ce
que des journalistes critiques perdent leur emploi. Berlusconi et Sarkozy sont
considérés comme des modèles pour le premier ministre hongrois Orban.
Dans d'autres pays, des magnats de la presse
financièrement puissants dictent la politique au gouvernement. En
Grande-Bretagne, depuis Tony Blair, aucun premier ministre n'a osé contredire
la volonté de l'empire Murdoch.
En Hongrie, des groupes allemands dominent
le paysage médiatique. Le groupe droitier Axel Springer est la plus grande
maison d'édition du pays. Le groupe de presse allemand WAZ, qui est proche de
l'aile droite du Parti social-démocrate, et les chaînes de télévision Pro
Sieben, Sat1 et RTL sont fortement représentés en Hongrie. Il
est à remarquer que tous ont étonnamment fait preuve de retenue dans leurs
critiques à l'égard de la nouvelle loi sur les médias.
La Commission de l'UE a réagi à une autre
mesure prise par le gouvernement hongrois de façon bien plus sèche qu'elle ne
l'a fait contre l'abolition de la liberté de la presse. En automne de l'année
dernière, le gouvernement Orban pour soulager le déficit budgétaire avait
introduit une soi-disant taxe de crise s'appliquant principalement aux grands
groupes du secteur du commerce, de la finance, des télécommunications et de
l'énergie. Ceci avait déchaîné l'indignation en Allemagne, en France, aux
Pays-Bas et en Autriche, aux sièges des entreprises qui ont lourdement investi
en Hongrie et qui ont bénéficié durant des années d'abattements de taxes et de
subventions.
Mi décembre, les patrons de 13 entreprises,
dont Deutsche Telekom, la société d'assurances Allianz, les groupes
énergétiques E.oN, RWE et EnBW ainsi que le groupe de la distribution
alimentaire REWE - ont envoyé une lettre sévère à la Commission de l'UE pour se
plaindre de la tentative d'équilibrer le budget « sur le dos de secteurs
choisis et d'entreprises étrangères. » Ce faisant, dit la lettre, le
gouvernement hongrois, est en train de détruire « toute base de confiance
pour un investissement futur. »
La Commission de l'UE a immédiatement réagi.
Dès octobre, deux jours après l'annonce de la nouvelle taxe, elle a contraint
le gouvernement hongrois à justifier sa position. En décembre, en réponse à la
lettre des patrons des groupes, elle initiait une enquête officielle.
Le gouvernement allemand lui aussi s'est
associé à l'action. Le ministre de l'Economie, Rainer Brüderle, du Parti
libéral démocrate, a exprimé son « inquiétude » en mettant en garde
que les frais encourus principalement par les entreprises étrangères étaient
« fondamentalement problématiques. »
Le gouvernement Orban qui est venu au
pouvoir sur la base d'une campagne populiste droitière et nationaliste, se sert
de la taxation des entreprises étrangères avant tout pour apaiser sa propre
base politique. Il est soumis à une pression économique considérable. Au cours
du prochain mois, le gouvernement doit présenter un projet de restructuration
budgétaire. Si les marchés financiers internationaux ne sont pas convaincus,
les agences de notation abaisseront la note de la Hongrie en catégorie
« junk ». L'économiste de Budapest, Gyorgy Barta, a résumé la
situation en disant, « Nous sommes à deux doigts de l'abîme. »
En dépit de sa rhétorique nationaliste, le
régime d'Orban est totalement dépendant des marchés financiers internationaux.
Quelque 80 pour cent de l'ensemble des investissements en Hongrie viennent de
l'UE, dont un quart rien que de l'Allemagne.
Avec l'abolition de la liberté de la presse
et d'autres mesures dictatoriales, le régime se prépare à imposer son programme
d'austérité sur le dos de la classe ouvrière. La Commission de l'UE et les
gouvernements européens le savent et soutiennent tacitement tout ou partie des
mesures destinées à supprimer l'opposition populaire.
La situation sociale en Hongrie est déjà
catastrophique. Une étude récente a montré que plus d'un million sur les dix
millions d'habitants que compte le pays ne sont plus en mesure de payer à temps
leurs factures d'électricité, de gaz ou de chauffage. S'ils sont en retard de
trois mois, ils risquent des coupures.
La défense des droits démocratiques telle la
liberté de la presse est indissociable de la défense des droits sociaux de la
classe ouvrière. Ceci requiert une lutte commune de la classe ouvrière
européenne sur la base d'un programme socialiste révolutionnaire contre la
dictature des grands groupes et des banques.