Des
milliers de personnes ont manifesté samedi dans les centres villes de France en
soutien au soulèvement populaire qui a forcé le dictateur tunisien Ben Ali à
fuir il y a deux jours. 8 000 personnes ont défilé à Paris et quelque 2 000 à
Marseille.
Six
cent mille ressortissants Tunisiens vivent en France; il y a aussi peut-être
tout autant de Français naturalisés, d'origine tunisienne. Ils formaient le
plus important contingent de manifestants.
Dans
la manifestation, la fierté d'avoir chassé du pouvoir Ben Ali après 23 ans de
règne, durant lesquels sa famille et particulièrement celle de son épouse Leila
Trabelsi ont accaparé de larges parts des richesses du pays, se mêlait à
l'anxiété quant à l'avenir.
Des
manifestants à Marseille tenaient avec une fierté combative une banderole sur
laquelle on pouvait lire: « Ne pas confisquer notre révolution. » Une
pancarte attaquait le premier ministre Mohamed Ghannouchi, qui était toujours
officiellement président de la Tunisie samedi avant d'être remplacé par Fouad
Mebazza. On pouvait lire: « Ben Ali - Trabelsi = Ghannouchi = Mafia: Tous
dehors!»
Mohamed Amami, professeur des écoles et réfugié
politique, manifestant à Nîmes, a exprimé les sentiments de nombreux
manifestants. Il a dit à la presse: « Je crains que le gouvernement
manoeuvre afin de récupérer le régime de Ben Ali sans Ben Ali. »
Le
soutien aux manifestants de la part de la gauche bourgeoise et
petite-bourgeoise française, tels le Parti socialiste (PS), le Parti communiste
français stalinien (PCF) , le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et le Parti
de Gauche, est totalement frauduleux. Craignant que la contagion révolutionnaire
des masses tunisiennes ne se propage au reste du monde arabe et au
Moyen-Orient, ils cherchent tous, avec les gouvernements français, américain et
l'Union européenne à stopper le mouvement par des appels à la
« démocratie. »
Ces
gouvernements apportent leur plein soutien au régime d'intérim conduit par
Mohammed Ghannouchi, le premier ministre de Ben Ali en poste depuis longtemps,
et le président de la Chambre des députés Foued Mabazaa qui administrent l'état
d'urgence décrété par Ben Ali une heure seulement avant de prendre la fuite.
Dans une position reprise par les partis petits-bourgeois français de
« gauche », les gouvernements européens essaient de présenter les
négociations avec les partis officiels d' « opposition », le
syndicat Union générale tunisienne du travail (UGTT) et d'autres piliers de la
dictature de Ben Ali, comme étant la « démocratie. »
Les appels à la « démocratie » et à un
gouvernement d'unité nationale ne remettent nullement en question le contrôle
de l'économie par le capitalisme national, français et international, ni le
contrôle de l'Etat par la police et l'armée qui ont maintenu Ben Ali au pouvoir
par la terreur. Ces forces, plus déchaînées que jamais par l'état d'urgence,
ont poursuivi et même accéléré leur frénésie meurtrière depuis le départ de Ben
Ali. Quelques heures seulement après sa fuite, il y a eu 42 morts quand la
police a refusé de relâcher des prisonniers pris dans le brasier de leur
prison.
Les sympathisants du WSWS ont distribué la
déclaration Le conflit
social au Maghreb a des implications internationales dans les manifestations de Marseille et Paris. Cette déclaration
remet en cause la possibilité même de la mise en place d'un programme
démocratique alors que l'armée et la police ont le contrôle et déclare: « Les seuls gouvernements qui peuvent représenter
authentiquement les intérêts de la grande masse de la population sont des
gouvernements ouvriers, qui doivent se construire au cours de la lutte pour le
renversement de tous les régimes dictatoriaux du Maghreb. »
Banderole à la manifestation parisienne
A
Paris, Fidé a dit au WSWS: « Je pense que le départ de Ben Ali est un
grand progrès. La manifestation et les partis politiques ne sont pas très bien
organisés. Les slogans ne sont pas clairs. Il faut des réformes sociales pour
les plus démunis, les pauvres. J'aimerai bien que de vrais socialistes puissent
représenter les besoins de la population. Je ne sais pas trop si le mouvement
de révolte va continuer. Je serai d'accord avec un gouvernement d'unité
nationale, mais sans le RCP.
Il y a une grande fracture sociale entre les riches et les pauvres. »
Faisant
remarquer l'impact de la religion sur la population, elle a ajouté: « Il y
a un grand manque d'éducation politique de la population. Moi aussi je sais que
c'est mon cas, je connais mal la politique. » Elle a aussi dit que ce
mouvement pourrait faire boule de neige et que certains gouvernements arabes
avaient de ce fait baissé le prix des denrées alimentaires. Elle a dit que
c'était une honte que la ministre des Affaires étrangères française ait proposé
d'envoyer des policiers français pour aider Ben Ali confronté au mouvement
populaire.
Dans
la manifestation de Marseille, Houssamani, franco-tunisien, a dit: « Il
faut éliminer Ghannouchi et la Tunisie doit partir sur de nouvelles bases et
surtout la démocratie. »
Manifestation de Marseille
Houssamani
a dit qu'il pensait que les manifestations allaient se propager à d'autres
pays: « Je pense que l'on va être un petit modèle pour l'Algérie, le Maroc,
c'est à eux de faire leur chemin et de suivre les Tunisiens. »
Il
a ajouté, « Je ne suis pas d'accord avec le NPA qui présente le mouvement
comme une Intifada. Ca fait un mois que je suis revenu du pays, j'y vais
souvent en vacance et les jeunes Tunisiens ne travaillent pas, c'est la misère,
ils se lèvent le matin, il n'y a aucun objectif, ils ne travaillent pas et
voient d'autres gens qui profitent de la situation et ont plein de sous avec
l'argent du pays. »
Nejmedine
qui est en Master d'économie a dit: « On veut un gouvernement pour le
peuple, un gouvernement démocratique. On veut un gouvernement libre, plus de
répression et l'égalité sociale pour tout le monde. »
Il
a ajouté: « Le mouvement peut ce propager ailleurs. Les Tunisiens sont
arrivés à supprimer ce gouvernement corrompu, pourquoi pas les autres. Il faut bien sûr un mouvement indépendant de la classe ouvrière et
j'espère que le gouvernement pense à la classe ouvrière en premier lieu et aux
égalités sociales. C'est la pauvreté, le chômage et la liberté qui sont les
principaux problèmes en Tunisie. Il y a eu de la
croissance en Tunisie mais qui a été mal répartie. Dans les autres pays c'est
plus grave et j'espère qu'ils feront comme en Tunisie et que les peuples
prendront leur destin en mains. »
Sophien,
chef d'entreprise d'origine tunisienne a dit: « On le voit à la tête de
l'Etat français, il se tait, ils sont tous dégoûtés que Ben Ali soit parti. Ben
Ali était un soutien financier de la France. . La France va bien sûr se mêler
pour ses ressortissants, pour les grandes multinationales; sinon la France se
fout de la Tunisie. C'est une révolution. On ne pouvait
pas penser qu'un Tunisien saccage un commissariat. Il n'y a que du bonheur qui
arrive. Les peuples d'occident critiquent ce mouvement mais vous verrez que
dans les prochaines années, la démocratie sera en Tunisie. »
Un
autre manifestant a dit au WSWS qu'il voulait la fin des conditions de vie
existant sous le régime de Ben Ali: « C'est une catastrophe sociale. Il y
avait des emprisonnements massifs et des disparités énormes entre les très
riches et les très pauvres. On ne veut pas d'une solution provisoire. De
nombreuses organisations ne veulent pas aller jusqu'au bout, jusqu'à la
victoire finale. Ce n'est que le commencement, on ne va pas abandonner. On
trouve les mêmes problèmes en Algérie et au Maroc. »