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L’opposition égyptienne met en garde contre une « explosion des masses »

Par Johannes Stern
27 janvier 2011

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Depuis le début des émeutes en Tunisie, il y a eu des mises en garde continuelles dans les médias et de la part des politiciens quant au danger que les protestations pourraient se propager à d’autres pays de la région ou à l’ensemble du monde arabe. C’est avant tout l’Egypte qui se trouve au centre de telles craintes.

C’est l’allié le plus important de l’impérialisme américain dans la région et le pays le plus peuplé, comptant 80 millions d’habitants. La crainte est que si les masses égyptiennes venaient à se mettre en mouvement, l’intégralité de la stratégie impérialiste et tous les régimes bourgeois de la région seraient menacés.

Dans ce contexte, les avertissements venant de l’opposition officielle égyptienne se sont renforcés ces derniers jours. Tout comme le régime dictatorial de Moubarak lui-même, les dirigeants de l’opposition s’efforcent d’empêcher la propagation de la contestation populaire.

Une indication de leur inquiétude est le fait qu’ils se sont sentis obligés d’appeler à une journée nationale de protestation mardi.

Le régime de Moubarak a renforcé ses forces de sécurité aux endroits clé tout en essayant de maintenir les subventions sur les denrées alimentaires. L’opposition, citant l'exemple de la Tunisie, insiste pour dire que la stabilité ne peut être garantie par des méthodes violentes et autoritaires.

La semaine passée, Mohamed El Baradei, politicien d’opposition égyptien le plus connu, avait mis en garde dans les pages du journal britannique The Guardian que l’Egypte était confrontée à une « explosion de type tunisien. » En lançant un appel direct aux puissances impérialistes et à la classe dirigeante en Egypte, il a écrit, « Ce qui a transpiré en Tunisie n'est pas une surprise et devrait être très instructif à la fois pour l’élite politique en Egypte et les élites en occident qui soutiennent les dictatures. Il a ajouté, « Répression ne veut pas dire stabilité et quiconque pense que l’existence de régimes autoritaires est le meilleur moyen de maintenir le calme, se trompe. »

Avec les développements survenus en Tunisie, il devient de plus en plus clair de voir où se situent El Baradei et l’ensemble de l’opposition officielle égyptienne. Malgré leurs critiques occasionnelles soi-disant démocratiques contre le président Hosni Moubarak, ils sont violemment opposés a tout mouvement des masses opprimées. El Baradei a dit espérer « que le changement se produira de façon ordonnée et non pas selon le modèle tunisien. »

« Ces choses doivent être organisées et correctement planifiées, » a-t-il ajouté. « J’aimerais employer les moyens disponibles dans le cadre du système pour effectuer le changement. »

La position de l’opposition égyptienne exprimée dans la déclaration constitutive du soi-disant « Parlement alternatif » est encore plus explicite. Elle dit : « Nous annonçons la création du parlement comme un moyen pacifique pour le changement en Egypte et pour empêcher les dangers de ce que pourrait être autrement une explosion spontanée des masses, dont les conséquences risqueraient de ne pas être maîtrisées. »

L’objectif de ce parlement « alternatif » nouvellement fondé ou « Parlement populaire » est d’empêcher un mouvement de masse en Egypte avec ses éventuelles conséquences pour le régime bourgeois.

Le parlement alternatif implique presque tous les principaux partis et groupes d’opposition, y compris les parti conservateurs et libéraux tel Al-Wafd et El-Ghad ainsi que les partis de « gauche » Al-Tagammu et al-Karama et des tendances « communistes » de nom. Il comprend aussi la National Association for Change non-partisane, (Association nationale pour le changement) d’El Baradei, des groupes de la base syndicale tel le mouvement Kefaya et le plus grand groupe d’opposition du pays, le réseau des Frères musulmans. Même d’anciens membres du parti dirigeant de Moubarak, le Parti démocratique national (NDP) est impliqué dans ce « parlement. »

La crainte d’une action de la population égyptienne peut aussi être observée dans une déclaration séparée publiée par les Frères musulmans mercredi dernier. Elle déclare que les conditions qui ont conduit à la révolte en Tunisie existent aussi dans de nombreux autres pays de la région. La déclaration conseille au gouvernement de lever immédiatement les lois d’urgence à l’aide desquelles Moubarak gouverne depuis qu’il a pris le pouvoir en 1981, de dissoudre le parlement, de tenir des élections parlementaires libres et équitables, et de garantir que les prochaines élections présidentielles prévues se tiendront. Alors seulement une « révolution » pourra être empêchée en Egypte, affirme le mouvement des Frères musulmans.

Les conditions sociales pour la grande masse de la population sont pires en Egypte qu’en Tunisie, comme le documentent les statistiques révélées dernièrement lors d’un symposium national de l’Organisation arabe du Travail (ALO). Alors qu’en Tunisie 6,6 pour cent de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, en Egypte ce chiffre s’élève à plus de 40 pour cent. Un expert de l’ALO, Amin Fares, a rapporté que quelque 43 pour cent de la population vit dans la pauvreté en Egypte.

Dans le même temps, ce symposium a montré de quel côté les soi-disant « organisations des travailleurs » tel l’ALO, se trouvent. L’événement était intitulé « Empêcher que la crise tunisienne et algérienne ne se propage aux autres pays arabes. » Les représentants des Etats contrôlés par la Fédération syndicale égyptienne (ETUF) qui est totalement dominée par le NDP de Moubarak, participait au symposium.

Dès le début, l’ETUF a soutenu la politique de libéralisation économique de Moubarak, imposée sous la pression du Fonds monétaire international (FMI). Ce programme a jeté des millions de travailleurs égyptiens dans une pauvreté abjecte.

Avec un cynisme non dissimulé, le président de l’ETUF, Hussein Mogawer a déclaré au symposium que les travailleurs étaient responsables de la hausse du chômage parce qu’ils évitaient certains emplois qu'ils considéraient comme « inférieurs. »

Dans le contexte, des développements de la Tunisie ainsi que de la hausse des prix en Egypte, l’ETUF a annoncé qu’elle augmentera sa « présence au sein des travailleurs. » On ne peut interpréter ceci que comme une menace.

Abdel Halim le président du syndicat général des travailleurs agricoles, a dit au journal indépendant Al Masry Al Youm qu’il était à présent nécessaire « afin de stabiliser le pays, » d’empêcher que « les doléances des travailleurs » ne soient « exploitées par des groupes et des mouvement d’opposition. »

L’ETUF utilise des méthodes policières pour stopper les travailleurs égyptiens de mener la lutte de classe et est, de ce fait, totalement discréditée.

Il y a à peine quelques jours, Chuobaki Amr, un expert du Al-Ahram Centre for Political and Stratégiques Studies, a dit que les syndicats étaient « morts » en Egypte. Il n’y a personne pour représenter la population en général et les travailleurs, a-t-il déclaré en ajoutant que la même chose valait pour les partis et les groupes d’opposition qui cherchent à présent à empêcher un soulèvement de masse par l’établissement d’un « parlement alternatif ».

Il a averti qu’aucun des partis ne dispose d’une base sociale parmi les travailleurs ou la population rurale appauvrie, et qu'il serait donc improbable qu’ils réussissent à détourner un mouvement de masse.

Selon des reportages de presse, au moins cinq personnes se sont immolées par le feu en Egypte ces derniers jours afin d’attirer l’attention sur leur situation désespérée. En Tunisie, un seul de ces gestes a déclenché les protestations qui ont forcé le dictateur Ben Ali à fuir en Arabie saoudite.

(Article original paru le 24 janvier 2011)

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