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Afrique et
Moyen-OrientDes dizaines de milliers de personnes
défilent en Egypte contre le régime de Moubarak
Par Johannes Stern et Stefan Steinberg
27 janvier 2011
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La police au pas de charge contre les manifestants
La dictature du président Hosni Moubarak en place depuis trente ans et
soutenue par les Etats-Unis a été secouée mardi par une vague de
manifestations de masse sans précédent exigeant la fin du régime. L’on
évalue à 20.000 le nombre de manifestants, en majorité des jeunes et des
travailleurs jeunes qui ont défié une police antiémeute et des troupes
paramilitaires massivement déployées dans le centre du Caire et à des
milliers les autres manifestants s’étant rassemblés partout dans le reste du
pays.
Les manifestants ont acclamé les protestations de masse qui ont évincé le
14 janvier Zine El Abidine Ben Ali, de longue date l’homme fort tunisien, et
exigé que Moubarak démissionne et suive l’exemple de Ben Ali. La police a
attaqué les rassemblements au Caire et dans d’autres villes, tirant des
grenades lacrymogènes, faisant usage de canons à eau et brandissant des
matraques. Il est fait état de deux manifestants tués à Suez, à l’Est du
Caire.
La journée avait commencé au Caire par une forte concentration de
policiers et d’unités paramilitaires dans le centre la ville. Des camions
des forces de sécurité centrales étaient déployés devant la Haute cour de
justice dans le centre ville du Caire et la police avait bouclé de vastes
portions du centre ville.
Au Caire, les manifestants ont défilé en arrivant depuis les banlieues en
forme d’étoile pour converger au centre ville. A midi, des rapports sont
apparus que des centaines de personnes manifestaient à Dar El-Salam, au Sud
du Caire, en scandant « pain et liberté. » La manifestation a été rapidement
dispersée par la police.
Les marcheurs ont manifesté devant le bâtiment du quartier général du
Parti national démocrate (PND) au Caire en scandant, « Nous voulons un
gouvernement libre » et « A bas Moubarak. » Plus tard, la foule s’est
dirigée vers le Square Tahrir et essayé de prendre d’assaut le parlement
égyptien. Elle fut accueillie par des vagues de policiers et de forces de
sécurité faisant usage de canons à eau, de gaz lacrymogène et de matraques
pour la repousser.
Parfois, les heurts entre les manifestants et la police ressemblaient à
une guerre civile. Des manifestants ont grimpé sur les voitures de pompier
et ont tenté de perturber les canons à eau de la police. Par moment, la
police était dépassée et se retirait dans les rues adjacentes. Des dizaines
d’arrestations ont été effectuées et de nombreux manifestants ont été
blessés au moment où la police armée de matraques s’est ruée sur la foule.
Dans le même temps, l’Etat a cherché à bloquer la couverture médiatique
des protestations. Les cartes d’accréditation des journalistes auraient été
confisquées par la police dans un certain nombre de villes. Des sites web
indépendants couvrant les protestations ont été fermés et le site Twitter a
été perturbé en Egypte.
La journée d’action anti-gouvernementale en Egypte fait partie d’une
révolte grandissante à l’encontre des régimes arabes bourgeois et de leurs
partisans impérialistes de la classe ouvrière et des masses opprimées en
Afrique du Nord et au Moyen Orient. En plus, des protestations continuelles
en Tunisie, des manifestations de masse ont eu lieu en Algérie, au Yémen, en
Jordanie et au Soudan.
La police recourt aux canons à eau contre les manifestants
en Egypte
L’Egypte, le plus peuplé et le plus puissant des Etats arabes et le
bénéficiaire de centaines de milliards de dollars d’aide militaire
américaine, est le principal rempart de la domination impérialiste dans le
monde arabe. Cela augmente considérablement l’enjeu de ce que sera le
résultat des événements d’Egypte pour les élites dirigeantes arabes et
l’impérialisme d’un côté et pour la classe ouvrière de l’autre.
Le soulèvement en Afrique du Nord et au Moyen Orient est une puissante
expression de l’entrée des masses dans la lutte révolutionnaire et de
l’immense pouvoir social de la classe ouvrière. Toutefois, elle est
confrontée à de grands dangers étant donné que les Etats-Unis et
l’impérialisme européen et leurs alliés dans la bourgeoisie arabe cherchent
à se regrouper et à enrôler le soutien de forces d’opposition purement
nominales – parmi lesquelles on trouve les bureaucraties syndicales, les
groupes islamistes, les staliniens et les nationalistes bourgeois – pour
contenir, déstabiliser et finalement écraser ce mouvement.
La question cruciale est le développement, partout dans la région, d’une
direction révolutionnaire armée d’une compréhension des expériences
historiques de la classe ouvrière au Moyen-Orient et internationalement pour
établir l’indépendance politique de la classe ouvrière par rapport à toutes
les sections de la bourgeoisie et afin de rassembler tous les opprimés sur
la base de la perspective socialiste de la révolution permanente.
Le gouvernement américain, qui a cherché à masquer son hostilité au
mouvement populaire en Tunisie par des discours creux sur des réformes
démocratiques, a réagi aux protestations de masse en Egypte en réitérant son
soutien à Moubarak. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a dit aux
journalistes à Washington : « Notre jugement est que le gouvernement
égyptien est stable en recherchant les moyens de répondre aux besoins et aux
intérêts légitimes du peuple égyptien. »
Ceci montre que Washington est déterminé à mettre une limite à ce
mouvement en Egypte et est prêt à soutenir les mesures de répression
brutales de Moubarak.
Mardi, les manifestants ont soulevé une série de revendications sociales
et démocratiques : pour des emplois, contre la pauvreté et pour la fin des
lois d’urgence dans le pays. Les organisateurs des protestations, qui furent
coordonnées via Facebook et des sites Internet, avaient appelé à une
« journée de révolte contre la torture, la pauvreté, la corruption et le
chômage » pour coïncider avec un jour férié en honneur de la police, mais
servant traditionnellement aux dissidents pour protester contre la brutalité
policière.
Redoutant un soulèvement social d’une envergure identique à celle de la
Tunisie, les principaux partis d’opposition en Egypte et les figures
politiques ont boycotté les manifestations en publiant des déclarations pour
encourager leurs partisans à ne pas y participer.
Immédiatement après les événements de Tunisie, Mohamed El Baradei, qui
s’était présenté contre Moubarak aux dernières élections présidentielles, a
exprimé son intention de faire son possible pour que le « changement se
produise de façon ordonnée et non pas selon le modèle tunisien. » Il a
annoncé qu’il ne participerait pas aux protestations du 25 janvier, en
disant cyniquement lors d’une interview accordée la semaine passée au
magazine Der Spiegel : « Je ne veux pas leur voler leur tonnerre. »
Les protestations ont également été boycottées par les Frères musulmans.
Sobhi Saleh, un ancien membre du bloc parlementaire du parti, a dit on ne
peut plus clairement que son organisation était opposée à un mouvement de
masse populaire capable de renverser le gouvernement. Saleh a déclaré :
« Une participation massive avec toutes nos forces conduira au chaos et nous
ne voulons pas cela. Nous essayons de l’éviter. »
Un autre membre dirigeant de l’organisation, Essem el-Erian a été plus
loin en indiquant que les Frères musulmans étaient prêts à se solidariser ce
jour précis avec la police contre les manifestants au moment où « nous
devrions tous célébrer ensemble. »
Le parti réformiste national El Tagammu (Parti du rassemblement national
progressiste unifié), qui est décrit à tort comme socialiste, a aussi
déclaré qu’il ne soutiendrait pas les protestations.
Des travailleurs et les jeunes des quatre coins du pays ont rejeté la
position de ces organisations en défiant les forces de sécurité pour
manifester leur détermination à renverser la dictature. Outre au Caire, des
manifestations s’étaient déroulées dans de nombreuses villes et cités, dont
Alexandrie, Sinaï Giza, Port Saïd et Suez. Au Sinaï, les manifestants ont
bloqué la route menant à l’aéroport utilisé par les observateurs de la Force
multinationale. A Alexandrie, les manifestants ont arraché des affiches de
Moubarak et une de son fils, Gamal, qui est formé pour prendre le pouvoir
dès que son père prendra sa retraite ou mourra.
Des points de contrôle de la police ont été mis en place dans le district
de Mahalla à l’Est du Caire. Le 6 avril 2008, des dizaines de milliers de
résidents de Mahalla avaient organisé une manifestation contre la hausse des
prix et les bas salaires. Mardi, Mahalla a été une fois de plus le théâtre
de heurts entre les travailleurs et la police, alors que les ouvriers
d’usine de Ghazl el-Mahalla rejoignaient la manifestation.
En Tunisie, les manifestations contre le gouvernement intérimaire se sont
poursuivies mardi et l’armé est intervenue pour disperser les manifestants
pour la première fois depuis l’éviction de Ben Ali. Des soldats ont tiré en
l’air pour disperser des centaines de manifestants dans le centre de la
ville de Gefsa, en signe de protestation, un jeune homme s’est immolé par le
feu devant le quartier général du syndicat local.
Des partis trotskystes du Comité International de la Quatrième
Internationale doivent être construits dans toute l’Afrique du Nord et au
Moyen Orient pour unifier les masses laborieuses sous le drapeau des Etats
socialistes unis du Moyen-Orient et du Maghreb, comme partie intégrante de
la révolution socialiste mondiale.
Cette lutte doit être reliée aux luttes montantes des travailleurs dans
les pays capitalistes avancés dont beaucoup ont une nombreuse population de
travailleurs arabes et originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
(Article original paru le 26 janvier 2011)
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