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Economie mondiale
La crise en Europe et l’aristocratie financière
Par Stefan Steinberg
26 janvier 2011
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La dernière réunion en date des ministres des Finances
européens a une fois de plus révélé augrand jour la servilité totale et
absolue de l’establishment politique envers les cartels bancaires et
financiers internationaux.
Commentant les relations existant entre les gouvernements
européens et les marchés financiers, l’économiste britannique Phillipe
Legrain a écrit : « A ce jour, les gouvernements communautaires ont décidé
que les porteurs d’obligations de banques doivent être protégés à tout prix,
préférant imposer les pertes aux contribuables – même si cela engage la
solvabilité des gouvernements jusqu’au point de rupture. »
Pour ce qui est des magnats du monde de la finance, rassurés
d’avoir l’entier soutien des ministères des Finances européens, ils peuvent
entreprendre leur travail destructeur avec une vigueur accrue.
Un éditorial paru au début de l’année dans le quotidien
allemand Süddeutsche Zeitung décrit ainsi l’activité de l’espèce moderne de
spéculateurs financiers:
« A peine rentrés de leurs deux semaines de vacances de ski,
les opérateurs de marché et les directeurs financiers ont repris leurs
spéculations contre des pays européens fortement endettés. Leur première
victime de la nouvelle année est le Portugal… »
L’éditorial fait ensuite référence au « rituel fixé de
longue date » du côté des spéculateurs qui parient contre les monnaies et
les obligations des pays endettés pour les obliger à se placer sous la
protection du parapluie financier de l’Union européenne. La Grèce et
l’Irlande avaient été l’année dernière les premières victimes de telles
opérations financières, tandis que le Portugal, l’Espagne et l’Italie se
trouvent début de 2011 dans la ligne de mire des spéculateurs.
L’un après l’autre, ces pays sont obligés d’accepter des
prêts de l’Union européenne et du Fonds monétaire international pour
lesquels ils doivent verser des taux d’intérêt punitifs. La principale
fonction des prêts s’élevant à plusieurs milliards d’euros (110 milliards
d’euros dans le cas de la Grèce, 90 milliards d’euros dans le cas de
l’Irlande) est de remplir les coffres des banques européennes qui sont
criblées de mauvaises créances suite à leurs pratiques d’investissement
criminelles durant ces deux dernières décennies. L’ensemble du processus de
renflouement de dette souveraine à taux d’intérêt zéro pour des spéculateurs
souhaitant lever des fonds a ouvert des opportunités totalement nouvelles de
faire des profits hors normes.
Selon les plus récentes données de Dealogic, Deutsche Bank a
dépassé pour la première fois la JP Morgan Chase américaine en termes de
revenus issus de ce genre de transactions. Plus d’un tiers des bénéfices
européens de Deutsche Bank, la plus grande banque en Allemagne, provient du
crédit industriel et du négoce d’obligations d’Etat.
Barclays Capital, la branche d’investissement de Barclays
Bank, figurait en tête des dix grands groupes financiers pour les activités
de négoce des obligations d’Etat européen en 2010 (Deutsche Bank arrivant en
deuxième position.
Dans l’ivresse du succès de ses opérations en Europe, le
directeur général Bob Diamond, a défendu d’un air provocateur la pratique du
profit et des primes en vigueur dans sa banque. Il y a un peu plus d’une
semaine, il a dit au Comité spécial des Finances du parlement britannique
que pour les banquiers « la période du remords et des excuses devrait être
terminée. »
En fait, il n’y a pas eu le moindre remords de la part de
l’aristocratie financière pour avoir précipité le monde au bord de la
catastrophe. Après une courte baisse des recettes fin 2008 et début 2009,
les salaires et les primes des directeurs financiers ont à nouveau rebondi
pour atteindre des niveaux époustouflants.
Le propre salaire de Diamond pour cette année devrait
totaliser 8,5 millions de livres sterling – une coquette somme mais qui fait
pâle figure face par exemple au revenu moyen de 1 milliard de dollars versé
en 2009 aux 25 premiers gestionnaires de fonds spéculatifs. Cette somme
dépasse le record précédent payé aux directeurs des principaux fonds
spéculatifs en 2007, avant le krach de Wall Street et la crise financière
mondiale de 2008.
A la tête de la meute engrangeant des primes bancaires se
trouve Goldman Sachs de Wall Street qui a révélé en début de semaine avoir
versé 15,4 milliards de dollars de salaires et de primes l’année dernière –
une augmentation de 3,5 pour cent par rapport au total de l’année dernière.
Cette ploutocratie qui amasse des niveaux record de profit
et de primes de part et d’autre de l’Atlantique est déterminée à s’assurer
que la source de ses activités spéculatives effrénées reste les populations
laborieuses de par le monde. En Europe, ceci prend la forme d’une
destruction systématique des acquis sociaux conquis au cours de décennies de
lutte de la classe ouvrière.
Dans un certain nombre de pays européens, les programmes
d’austérité commandités par l’Union européenne et le Fonds monétaire
international ont réduit de 5 à 15 pour cent les salaires des travailleurs
du secteur public et des fonctionnaires. Ce n’est pas assez, s’exclament les
marchés. D’ores et déjà, l’on réclame dans les médias financiers des
réductions de salaire de 30 pour cent. Dans le même temps, les travailleurs
sont confrontés à des baisses de salaire auxquelles s’ajoutent des factures
en hausse pour les denrées élémentaires au fur et à mesure que les
gouvernements augmentent les taxes sur la consommation telles la TVA.
Dans un pays après l’autre, les systèmes sociaux sont
démantelés et la couverture des soins de santé est détruite. En réitérant
l’exigence des marchés monétaires, la chancelière allemande a réclamé la
semaine passée l’augmentation de l’âge de départ à la retraite à 67 ans pour
l’ensemble de l’Europe.
La tactique de la terre brûlée préconisée par l’élite
financière et introduite par des gouvernements serviles partout en Europe
sont en train d’appauvrir rapidement les travailleurs et la classe moyenne.
Le caractère prédateur et totalement irresponsable de cette couche apporte
un élément nouveau et explosif dans la politique mondiale.
Les récentes protestations et les soulèvements sociaux en
Tunisie qui, en l’espace de quelques jours, ont renversé un dictateur haï
représentent une réponse puissante de la population laborieuse à la
réduction du niveau de vie que les pays imposent aux quatre coins du globe.
La leçon à en tirer en Europe est cependant de ne pas
accorder la moindre confiance aux partis et aux syndicats qui autrefois
affirmaient défendre la classe ouvrière, ou à leurs alliés dans les groupes
petits bourgeois qui représentent le spectre gauche de la politique
officielle.
En fait, se sont les gouvernements « socialistes » et
sociaux-démocrates traînant à leur suite les syndicats qui ont été les plus
actifs à appliquer les programmes de rigueur au nom des banques en Grèce, au
Portugal et en Espagne. Afin de détourner l’attention du rôle joué par les
banques et de leur propre complicité avec l’aristocratie financière, ces
mêmes gouvernements cherchent à attiser les formes les plus pernicieuses de
nationalisme et de chauvinisme.
Seule une intervention indépendante de la classe ouvrière
peut empêcher que se renouvelle une catastrophe pour l’humanité en
conséquence des activités de cette mafia financière internationale et de ses
complices dans les gouvernements et les syndicats. Ceci signifie une lutte
pour la socialisation des banques et des principales institutions
financières internationales sous la supervision et le contrôle démocratiques
de la classe ouvrière.
(Article original paru le 21 janvier 2011)