Les protestations se propagent à travers l’Irak
Par Alex Lantier
24 février 2011
Les protestations se sont étendues la semaine dernière à différentes
villes à travers l’Irak, les manifestants exigeant des emplois et des
services sociaux et exprimant leur opposition à l’encontre de certaines
autorités locales corrompues appuyées par le régime soutenu lui, par les
Etats-Unis. Il s’agit des plus récentes parmi une série de journées de
protestations inspirées par les luttes de masse révolutionnaires qui ont
renversé le président Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie et le président
Hosni Moubarak en Egypte.
Des préparatifs seraient engagés pour un rassemblement de la « révolution
de la rage irakienne », le 25 février à Bagdad, la capitale irakienne. Ceci
souligne l’opposition de masse grandissante contre les conditions sociales
atroces créées par le régime d’occupation mis en place par Washington après
l’invasion de 2003. Ces conditions comprennent le manque d’électricité et
d’eau potable, le chômage de masse et les hausses soudaines du prix des
denrées alimentaires – ainsi que la conduite dictatoriale des nouveaux
dirigeants mis au pouvoir par Washington.
Il y eut des protestations dans les régions majoritairement kurdes
situées dans le Nord de l’Irak, à Suleimaniyah et à Kirkuk, et qui ont
abouti à l’incident jusque là le plus sanglant de la vague de protestations
qui a déferlé sur le Moyen Orient.
A Suleinmaniyah, le personnel de santé a dit que neuf personnes avaient
été tuées et plus de 47 blessées lorsque les forces peshmerga kurdes ont
tiré sur une foule d’au moins 3.000 personnes qui manifestaient devant le
siège du Parti démocratique du Kurdistan (KDP) dirigé par Massoud Barzani.
Les manifestants avaient protesté contre la corruption du KDP, le manque
d’emploi et de services de base. Ils ont scandé « Gouvernement démission, »
« du travail pour les chômeurs » et « les corrompus doivent être passés en
justice. »
L’AFP a rapporté que, dans la soirée, des forces de sécurité avaient pris
position dans les rues de Suleimaniyah, autour du quartier général du KDP et
de l’Union patriotique du Kurdistan (PUK). Le PUK est le parti du président
irakien Jalal Talabani.
A Kirkuk, quelque 400 personnes ont protesté devant les bâtiments du
gouvernement en réclamant de meilleurs services pour les veuves et les
orphelins. Un journaliste local a dit au New York Times qu’ils avaient
scandé, « Nous voulons la justice. Où sont nos droits ? Protégez les
orphelins contre les voleurs. Nous avons faim dans un pays plein de
pétrole. »
Il y eut aussi des protestations dans le Sud de l’Irak, à dominance
chiite. A Basra, un port et un pivot pétrolier qui est la deuxième ville
d’Irak, 600 manifestants avaient organisé une grève avec occupation de
locaux, érigeant des tentes devant les bâtiments gouvernementaux gardés par
la police.
Les manifestants ont promis de rester devant les bâtiments jusqu’à ce que
leurs revendications soient satisfaites – y compris des projets
d’approvisionnement en électricité et en eau potable. Ils ont également
réclamé le renvoi de responsables locaux. Mohammed Ali Jasim a dit à l’AFP,
« Nous exigeons que le gouverneur de Basra soit licencié parce qu’il n’a
rien fait de bien à Basra. »
A Nasir, une petite ville au Nord de la capitale provinciale de
Nassiriyah, les manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment municipal
pour revendiquer des emplois et des services publics. Ils ont jeté des
pierres contre le bâtiment et y mis le feu au milieu d’affrontements avec la
police. Les autorités de Nasir ont imposé un couvre-feu et interpellé
plusieurs personnes.
A Kut, une ville de 850.000 habitants dans la province de Wasit, les
manifestants se sont rassemblés et ont érigé des tentes devant le bâtiment
gouvernemental, exigeant de rencontrer les autorités provinciales et
centrales. Ils ont réclamé des subventions sur le prix des produits
alimentaires de base, un approvisionnement en électricité et des emplois.
Des manifestants ont aussi scandé des slogans contre l’occupation
américaine et les autorités nationales : « A bas [le premier ministre Nouri]
al-Maliki, à bas les voleurs. » Se référant aux années qui se sont écoulées
depuis l’invasion américaine en 2003, une banderole disait : « Huit ans de
souffrance, où sont vos promesses ? »
Les protestations d’hier sont survenues après des heurts violents, la
veille, à Kut lorsque trois personnes ont été tuées et 27 autres blessées au
cours d’affrontements avec la police alors que les manifestants exigeaient
la démission du gouverneur de la province de Wasit, Latif Hamad al-Tarfa.
Al-Tarfa aurait fui par la porte de derrière avec ses garde du corps au
moment où les opposants s’emparaient du bâtiment.
Les manifestants ont se sont moqués de al-Tarfa en écrivant
« gouverneur » sur le flanc d’un âne. Ils ont réclamé son renvoi, l’accusant
d’avoir volé des fonds publics. Akel Salah, un manifestant de 27 ans, a dit
au New York Times : « Nous resterons ici dans la rue jusqu’à ce que le
gouverneur quitte ses fonctions. Tout est mauvais dans cette province. Pas
d’essence. Pas d’électricité. Pas d’emplois. Rien. »
Salah a aussi rapporté que plusieurs manifestants avaient été arrêtés,
dont son frère et qu’il était sans nouvelle d’eux. Il a dit, « J’essaie de
le joindre sur son téléphone, mais il est débranché. Sa femme et son fils
sont en train de devenir fous. »
Ces manifestations ont suivi une série de protestations identiques qui se
sont passées ces derniers jours dans d’autres parties du pays. Mardi, selon
des rapports de la chaîne de télévision Al-Sumaria, des manifestants
s’étaient rassemblés à Fallujah – une ville que l’armée américaine avait
attaquée à plusieurs reprises en 2003 et en 2004, en recourant à des armes
chimiques dont le phosphore blanc. Leurs revendications comprenaient des
emplois, la fourniture de services sociaux, le renvoi des étrangers du
gouvernement irakien et la démission de responsables locaux.
A Fallujah, une banderole protestait contre les tensions sectaires
acerbes entre Chiites et Sunnites et que l’occupation américaine de l’Irak
avait exacerbées : « Non au sectarisme, oui à l’unité, à bas le gouvernement
al-Maliki. » Une autre pancarte disait, « Pas de restriction à la liberté
d’expression, non aux détentions arbitraires et aux rafles, non aux
politiciens corrompus et aux voleurs. » Sur une troisième : « Nous voulons
de meilleurs services de base : électricité, pétrole et de meilleures
rations alimentaires. »
Il y avait également eu des manifestations à Sadr Ville, un énorme
bidonville de Bagdad. Des bulletins d’information mentionnent que les
manifestants y avaient scandé, « Non à la corruption du gouvernement » et
« Nous avons voté pour vous, où sont vos promesses ? »
(Article original paru le 18 février 2011)