L'éruption de la révolution égyptienne, à la suite des
événements de Tunisie, est une inspiration pour les populations du
Moyen-Orient et d'Afrique du Nord.
Les protestations sur la question des conditions sociales se
sont propagées à l'Irak cette semaine, où des manifestations se sont
déroulées dans de nombreuses villes. Entre temps, un rassemblement de masse
était prévu à Algers samedi. En Tunisie même, la population est toujours en
ébullition, les mêmes structures de pouvoir restant toujours en place malgré
la fuite de Zine El Abidine Ben Ali. La Jordanie, le Yémen et le Maroc sont
aussi la scène de protestations.
La population irakienne commence à manifester ouvertement
son opposition aux conditions misérables qui ont été crées par huit années
d'occupation américaine et alliée, ainsi qu'un conflit sectaire acharné.
Le week-end dernier, des manifestants ont ont pris d'assaut
des bâtiments gouvernementaux et un poste de police à Hamza, communauté
défavorisée à forte proportion shiite du sud de l'Irak, pour protester
contre des pénuries d'électricité, de nourriture et d'emplois et contre la
corruption politique. Des représentants de la sécurité auraient ouvert le
feu sur les manifestants, en tuant un et en blessant quatre autres.
Le National, des Emirats arabes unis, a cité le commentaire
de Abu Ali qui aurait aidé à organiser la manifestation: « Il y aura une
révolution des affamés et des chômeurs, comme cela s'est produit en
Egypte, » a-t-il dit. « C'était une marche de chômeurs, de ceux qui ont
perdu espoir et qui voient Nouri al Maliki [le premier ministre] et le
nouveau gouvernement se transformer en une nouvelle dictature. »
Le 10 février, des protestations de taille variée se sont
produites à Bagdad, Basra, Mosul, Karbala, Diwaniyah, Kut, Ramadi, Samawah
et Amara. A Sadr City, dans Bagdad, des manifestants sont descendus dans la
rue pour protester contre le manque de services publics, le chômage et la
corruption gouvernementale. Des employés du secteur public ont rejoint les
résidents. Un groupe d'employés du ministère de l'Industrie a dénoncé la
décision de réduire de 20 pour cent leur salaire.
A Karbala, des résidents ont aussi demandé une amélioration
des services municipaux et une enquête sur le gouvernement local. Sur une
pancarte on pouvait lire, « Nous n'avons rien. Nous avons besoin de tout. La
solution: Nous immoler par le feu, » en référence au suicide d'un jeune
homme, qui a embrasé le soulèvement en Tunisie. A Najaf, des fermiers ont
demandé davantage d'aide de la part du gouvernement et la démission du chef
du gouvernement local. Des manifestants à Basra ont expliqué que les
changements concernant la politique des rations de nourriture avaient laissé
des familles dans l'incapacité d'acheter suffisamment de nourriture car le
prix des denrées alimentaires de base avait presque doublé ces derniers
mois.
Une des protestations les plus importantes a fait descendre
quelque 3 000 avocats dans les rues d'un quartier musulman sunnite de Bagdad
ouest. Ils ont appelé à la fin de la corruption judiciaire et du mauvais
traitement des prisonniers dans les prisons irakiennes. La presse canadienne
a cité le commentaire de Kadhim al-Zubaidi, porte-parole du syndicat
d'avocats de Bagdad: « C'est en solidarité avec le peuple irakien... Nous
voulons que le gouvernement renvoie les juges corrompus. » Il a ajouté,
« Nous demandons aussi que les ministères de l'Intérieur et de la Défense
nous autorisent à entrer dans les prisons secrètes [dont l'existence a été
récemment révélée]... Nous voulons obtenir des informations sur ces
prisons. »
A Karbala, le chef de l'association locale des avocats a
ridiculisé la pitance que le gouvernement donne chaque mois au lieu des
rations qui comprenaient de l'huile, du riz, de la farine et du sucre.
« Nous rejetons ce montant d'argent, » a dit Rabia al-Masaudi, et il a
ajouté à l'Agence France Presse (AFP), que « les députés sont payés 11 000
dollars par mois, alors que les nombreuses familles, parmi les six millions
que compte le pays, dépendant des rations du gouvernement, recevaient à
présent 12 dollars par mois au lieu de leurs provisions. »
Vendredi, d'autres manifestations se sont produites de par
l'Irak. Une des manifestations de Bagdad est allée jusqu'à la zone verte où
se trouvent les bâtiments du gouvernement et les ambassades, revendiquant
une amélioration des services de base. Selon Reuters il y avait des
pancartes portant des messages variés, comme « Où sont vos promesses
électorales, les rations de nourriture et les services de base? » et « Place
Tahrir n°2 », en référence aux événements du Caire.
A Bab-al-Sham, quartier défavorisé de Bagdad, dimanche
dernier un manifestant, ingénieur de profession, a dit aux médias, « C'est
une tragédie. Même au Moyen-Age les gens ne vivaient pas dans cette
situation. » Reuters a fait remarquer, « Près de huit ans après l'invasion
conduite par les Etats-Unis, l'infrastructure irakienne reste gravement
endommagée. Le pays souffre de pénurie chronique d'eau, l'approvisionnement
en électricité est intermittent et les eaux usées ne s'écoulent pas. »
En Algérie, l'appareil de sécurité se prépare à une
importante manifestation, peut-être autour de dizaines de milliers de
personnes prévue pour le 12 février par la Coordination nationale pour le
changement et la démocratie (CNCD), groupement de défenseurs des droits de
l'Homme, de syndicats et de partis « d'opposition » officiels tolérés par le
régime du président Abdelaziz Bouteflika.
Le gouvernement a officiellement interdit la manifestation
et devrait déployer quelque 30 000 agents de police pour bloquer la
manifestation. Un porte-parole de l'opposition, Said Sadi a dit aux médias
que le régime avait mis un cordon de sécurité autour de la capitale pour
empêcher les gens de participer. « Les trains ont été arrêtés et les autres
transports en commun seront arrêtés aussi, » a-t-il dit.
L'AFP rapporte: « De grandes quantités de grenades
lacrymogènes ont été importées, a ajouté [Sadi]. On a vu des véhicules
anti-émeute garés non loin de la place d'où le rassemblement est censé
partir samedi, et la police en uniforme patrouille les rues adjacentes.
Des protestations ont eu lieu dans un certain nombre de
villes algériennes le 8 février. Dans la ville d'Annaba, 600 kms à l'est
d'Alger, une centaines de jeunes hommes au chômage ont manifesté devant la
préfecture de la ville et dans les rues. Dans un acte particulièrement
désespéré, dans la ville voisine de Sidi Ammar, sept hommes sans emplois se
sont infligés des blessures à l'arme blanche et ont menacé de se suicider en
masse devant la mairie.
Un journal algérien rapporte que dans la même région, les
résidents du village de Raffour sont aussi descendus dans la rue. Ces
dernières semaines, près de 20 personnes ont tenté de s'immoler par le feu.
Trois sont morts des suites de leurs blessures.
En Tunisie où Mohammed Bouazizi, 26 ans, s'est immolé par le
feu à la mi-décembre et a contribué à lancer les protestations de masse, une
femme a tenté de s'immoler par le feu jeudi devant les bureaux
gouvernementaux de Monastir, lieu de naissance du dictateur en place depuis
longtemps, Habib Bourguiba. La femme, originaire de Sfax, seconde plus
grande ville de Tunisie, a entrepris cette action du fait de difficultés à
obtenir un médicament pour son époux souffrant de cancer. Son état reste
« sérieux » avec des brûlures au troisième degré.
Des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes
tunisiennes cette semaine, exigeant la démission des officiels associés au
régime Ben Ali. A Kasserine, à 250 kms au sud ouest de Tunis des centaines
de gens ont bloqué une artère principale pour attirer l'attention sur leurs
problèmes sociaux. A Gafsa aussi mardi des manifestants ont réclamé la
démission du nouveau gouverneur.
Au Yémen, deux manifestations ont eu lieu vendredi dans la
capitale de San'a et dans le port d'Aden en solidarité avec la révolution
égyptienne. Des centaines de jeunes manifestants se sont rassemblés dans
l'après-midi à Aden. Selon le Wall Street Journal, « Selon des témoins, il y
a eu des échauffourées entre la police et des manifestants et une dizaine de
manifestants ont été arrêtés. Un agent de la sécurité d'Aden a dit que la
police prenait des mesures pour assurer la sécurité dans la ville. »
Des étudiants de San'a ont aussi organisé une protestation,
fermant l'accès aux artères principales pendant près de trois heures
vendredi. Ils ont terminé leur manifestation devant l'ambassade d'Egypte. La
manifestation a exprimé son soutien au peuple égyptien mais a aussi appelé
le dictateur Ali Abdullah Saleh, qui jouit du soutien des Etats-Unis, à
démissionner. Les manifestants ont dénoncé les mauvais traitements et la
torture infligés aux détenus dans le quartier général de la police secrète.
Au sud Yémen, plusieurs milliers de personnes ont manifesté
vendredi en faveur de la sécession et exigé aussi le départ de Saleh. Des
tanks de l'armée, dit Reuters, « sont entrés dans Zinjibar, capitale
d'Abyan, où des militants soupçonnés de faire partie d'Al Qaida sont actifs,
et plus d'un millier de manifestants se sont rassemblés vendredi. Des
centaines d'hommes se sont assis devant la maison d'un ancien dirigeant du
sud Yémen, portant des linceuls blancs, symbolise de leur volonté de
combattre jusqu'à la mort.
Ils scandaient, « Ali, Ali, rattrape Ben Ali, » impliquant
par là que Saleh devrait suivre l'ancien président tunisien Zine al-Abidine
Ben Ali en exil en Arabie saoudite.
A Amman en Jordanie, deux manifestations ont eu lieu, l'une
(organisée par des organisations de gauche) exigeant la démission du nouveau
premier ministre Marouf al-Bakhit, et la seconde en soutien à la lutte pour
renverser Moubarak. Lors de celle-ci, organisée par des islamistes, Hamzeh
Mansour, secrétaire général du Front islamique d'action, le bras armé du
mouvement des Frères musulmans, a dit à la foule, « Les dirigeants arabes
devraient écouter la voix de leur peuple et cesser de parier sur les
Etats-Unis. »
Le syndicat des agriculteurs jordaniens a organisé une
protestation vendredi, lançant des cageots de tomates sr l'autoroute
Karak-Aqaba pour protester contre la chute des prix.
A Rabat, capitale marocaine, plus d'un milliers de
manifestants s'est rassemblé vendredi pour exiger des emplois dans le
secteur public. Un organisateur de la manifestation a dit aux médias qu'à
une réunion le 24 janvier, le gouvernement avait appelé à une trêve du fait
de l'agitation dans la région. La trêve a pris fin le 10 février, date
butoir du gouvernement pour le recrutement de 4 500 diplômés hautement
qualifiés. Le taux de chômage des diplômés de l'université est autour de 18
pour cent.
Selon le ministre de la Communication Khalid Naciri, au
moins 21 manifestations ont lieu chaque jour au Maroc, nation assaillie par
les inégalités sociale et la corruption gouvernementale.