La dynamique et la rapidité des événements révolutionnaires,
d’abord en Tunisie et à présent en Egypte, ont surpris et troublé tous les
partis politiques en Allemagne. Les profondes racines sociales du mouvement
et le rôle joué par la classe ouvrière comme sa force motrice les ont
choqués tout particulièrement.
Cette évaluation s’applique aussi au parti allemand La
Gauche (Die Linke). La tempête révolutionnaire au Moyen Orient a
littéralement coupé le souffle aux fonctionnaires de Die Linke, dont le
siège se trouve dans la Maison Karl-Liebknecht à Berlin. Il aura fallu toute
une semaine, jusqu’à fin janvier, pour que le comité exécutif publie un bref
communiqué appelant le gouvernement allemand « à renoncer à son double jeu à
l’égard des Etats arabes. » Selon la présidente du parti Gesine Lötzsch, ce
qui est nécessaire à présent, c’est que « les Etats européens et leurs
alliés portent assistance au changement démocratique. »
Oskar Lafontaine – qui a quitté l’année dernière la
présidence du parti pour des raisons de santé, mais qui continue de jouer un
rôle important dans le parti – avait également été à court de mots lorsqu’il
s’était adressé le 4 février à une conférence regroupant des comités
d’entreprise à Stuttgart. Il s’est limité à exhorter le gouvernement à
prendre au sérieux les événements en Egypte tout en prenant ses distances
par rapport aux intervenants précédents qui avaient critiqué la politique
israélienne.
Lafontaine a déclaré que le parti La Gauche soutenait
inconditionnellement le droit à l’existence de l’Etat israélien, répétant
par là la formule qui se trouve au centre de la politique étrangère
officielle allemande. Il y a à peine une semaine, la chancelière Angela
Merkel, s’était rendue à Jérusalem précisément pour souligner cette position
devant le gouvernement israélien.
De manière générale, Die Linke a réagit au développement
révolutionnaire au Moyen Orient en resserrant les rangs avec le gouvernement
et en offrant son soutien. Wolfgang Gehrcke, le porte-parole des Affaires
étrangères pour le parti a joué un rôle clé dans ce processus. Lundi
dernier, Gehrcke avait convoqué une séance extraordinaire de la Commission
des Affaires étrangères du Bundestag allemand. Seul sujet à l’ordre du
jour : la situation actuelle au Moyen Orient.
Gehrcke a informé les membres des autres partis au sein de
la Commission qu’il venait de rentrer d’un voyage de deux semaines dans
plusieurs pays du Moyen Orient. « J’étais en Egypte, en Syrie, en Jordanie,
en Israël et en Palestine, » a-t-il dit dans une interview accordée
immédiatement après au journal Neues Deutschland, et ajouta, « La région
ressemble à un volcan sur le point d’entrer en éruption. »
Gehrcke a dit aux membres de la Commission que la politique
actuelle du gouvernement sur le Moyen Orient avait échoué et que de nombreux
dirigeants politiques en étaient conscients. Mais, il leur était tout à fait
difficile de le reconnaître, d’en parler et d’imposer des changements. Selon
un communiqué de presse publié par Die Linke : « Ce dilemme est la raison de
l’indécision et du désarroi avec lesquels Merkel, Westerwelle & Cie ont
réagi aux développements en Egypte. » Tel était « le jugement de Wolfgang
Gehrcke après la séance extraordinaire de la Commission des Affaires
étrangères tenue aujourd’hui à l’initiative de Die Linke [La Gauche] ».
Gehrcke a offert au gouvernement des conseils concrets. Ce
dernier devait enfin « sauter par-dessus son ombre et appeler à la démission
immédiate du président égyptien, » a-t-il dit. Ce n’était qu’ainsi qu’une
extension des manifestations et des grèves pouvait être évitée et que la
situation pouvait être stabilisée. Dans le même temps, les exportations
d’armement allemand vers l’Egypte devaient être annulées et pas seulement
gelées et la coopération allemande en matière de formation de la police et
de l’armée devrait être revue. »
De telles mesures à elles seules, étaient toutefois
insuffisantes et ne représentaient que le début d’une nouvelle politique au
Moyen Orient basées sur de nouvelles forces politiques, a dit Gehrcke. Il a
fait état d’un nombre de « discussions très sérieuses » qu’il avait eues
avec des groupes politiques et des personnes individuelles dans la région.
En dépit d’efforts considérables, il n’avait pas été en
mesure de rencontrer Mohamed El Baradai au Caire qui avait alors été assigné
à résidence à son domicile par les autorités égyptiennes. Mais, il existait
des éléments civils qui étaient intéressés par une coopération avec Berlin
et Bruxelles, a dit Gehrcke. Cela ne faisait aucun doute selon lui. Les
groupes et des partis, communistes et socialistes, s’étaient aussi montrés
coopératifs et prêts à entamer des discussions, a-t-il dit.
Afin d’empêcher un vide de pouvoir et de regagner la
crédibilité perdue suite à des décennies de coopération avec le régime
corrompu de Moubarak, Gehrcke a dit que les gouvernements seraient bien
conseillés de s’excuser auprès de la population égyptienne pour leurs
erreurs passées.
Gehrcke, qui a près de 70 ans est un vieil apparatchik
stalinien rusé et qui a joué un rôle important durant bien des périodes
cruciales de la politique ouest-allemande.
A l’âge de 18 ans, il avait rejoint le Parti communiste
d’Allemagne (KPD) alors illégal et était l’un des membres fondateurs du SDAJ
(Jeunesse ouvrière socialiste allemande, liée au KPD) dont il fut le
secrétaire général pendant de nombreuses années. A l’apogée du mouvement de
protestation étudiant en 1968, il fut un membre fondateur du Parti
communiste allemand (DKP) qui avait été légalisé après son interdiction en
1956 par la cour constitutionnelle en Allemagne de l’Ouest. Gehrcke a dirigé
le DKP à Hambourg pendant de nombreuses années. Immédiatement après la
réunification de l’Allemagne en 1990, il rejoignait le Parti du socialisme
démocratique (PDS) formé par les restes du parti d’Etat stalinien, le Parti
socialiste unifié d’Allemagne (SED). Il grimpa les échelons au sein du PDS
pour devenir son secrétaire général et participa activement, il y a quatre
ans, à la formation de Die Linke, pour lequel il siège à présent au
parlement.
Gehrcke sait que le gouvernement allemand, tout comme les
autres gouvernements européens et celui des Etats-Unis, sont fortement
isolés en Egypte et au Moyen Orient. Du fait de la répression de toute
opposition par le régime de Moubarak, ces gouvernements étrangers ne
disposent d’aucun contact avec d’autres mouvements politiques sur lesquels
ils peuvent compter. Die Linke propose à présent ses services comme lanceur
de pont pour leur politique impérialiste. C’est ce qui a été reconnu et
apprécié à Berlin.
On peut dire sans ambages que le soulèvement naissant de la
classe ouvrière au Moyen Orient est dirigé contre l’impérialisme. Le
président Moubarak est haï parce qu’il est un agent de l’impérialisme
américain et aussi parce qu’il jouit du soutien actif de tous les
gouvernements européens. Ceci signifie que le soutien de la classe ouvrière
au Moyen Orient requiert la mobilisation des travailleurs européens et
américains contre leur propre gouvernement sur la base d’un programme
socialiste international.
Die Linke fait exactement le contraire. Ce parti propose au
gouvernement ses services d’arbitre afin de maintenir et de renforcer
l’influence et le contrôle impérialiste sur le Moyen Orient.
L’objectif principal du voyage de Gehrcke au Moyen Orient a
été de raviver et de réactiver les vieilles organisations staliniennes – ou
ce qu’il en reste. Ceci explique pourquoi lui et les autres responsables du
parti La Gauche diffusent un communiqué du « Parti communiste égyptien. » La
député de Die Linke, Annette Groth, a lu l’intégralité de ce communiqué lors
du rassemblement de Stuttgart mentionné ci-dessus et où Lafontaine avait
pris la parole.
Dans ce communiqué, le PC égyptien appelle à un régime
intérimaire afin de freiner l’enthousiasme des masses et de maintenir le
régime et l’influence de la bourgeoisie égyptienne et des puissances
impérialistes. Il réclame un « accord entre les différents partis
d’opposition afin d’établir un comité de salut public » sur la base des «
revendications des masses. » Il poursuit en proposant que Moubarak soit
remplacé par un « conseil présidentiel durant une période intérimaire »,
« la formation d’une coalition gouvernementale prenant la direction du pays
pendant une période transitionnelle, » et la convocation d’une assemblée
constituante.
Le parti La Gauche espère que personne ne connaît le rôle
criminel joué par le PC stalinien en Egypte qui prône maintenant cette
politique.
Créé au début des années 1920, le Parti communiste égyptien
était rapidement passé sous l’influence grandissante de Staline et de son
adaptation à la bourgeoisie nationale. Le Parti égyptien a soutenu la
« théorie des deux étapes » qui stipule que dans les pays coloniaux et semi
coloniaux tel l’Egypte, la lutte pour le socialisme doit d’abord passer par
une étape de « capitalisme démocratique. » Sur la base de cette théorie les
staliniens ont rigoureusement réprimé les aspirations révolutionnaires des
masses en faveur de mesures socialistes.
C’est également sur cette base que le Parti communiste a
soutenu le régime de Gamal Abdel Nasser dans les années 1950 et 1960 en
décrivant sa politique comme du « socialisme arabe. » Même lorsque la
politique de Nasser avait échoué lamentablement et que le pouvoir fut repris
par son suppléant, Anwar Sadate, les staliniens influents, tels Fouad Morsi
et Ismail Sabri Adb Allah ont participé au gouvernement Sadate. Cette
collaboration se poursuivit durant de nombreuses années jusqu’au jour où, en
1975, ils démissionnèrent du gouvernement, au moment où Sadate adoptait
ouvertement un programme économique néo libéral.
Les tentatives de Wolfgang Gehrcke et de Die Linke de
mobiliser les restes des vieux partis staliniens dans le but de mener le
mouvement révolutionnaire dans l’impasse d’un prétendu capitalisme
démocratique ne sont pas seulement réactionnaires mais vouées à l’échec.
Contrairement aux années 1940 et 1950, de tels partis ne sont plus en mesure
de compter sur une puissante bureaucratie stalinienne en Union soviétique.
La révolution en Egypte et l’émergence de la classe ouvrière
n’a pas seulement choqué les élites dirigeantes, elles ont aussi révélé au
grand jour les véritables couleurs des partis et groupes politiques. Le rôle
véritable joué par Die Linke se révèle comme n’étant rien moins que celui de
conseiller et de laquais du gouvernement allemand.