La révolte populaire tunisienne et la « gauche » petite bourgeoise
française
Par Alex Lantier
2 février 2011
Les protestations de masses qui ont évincé le président Zine El Abidine Ben
Ali ont porté un coup aux prétentions des groupes petit-bourgeois de
« l’extrême gauche » en France, ancienne puissance coloniale de la Tunisie.
Des forces, telles le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier
Besancenot, s’empressent de camoufler leurs liens avec le régime tunisien.
Le NPA est un laquais politique du Parti socialiste (PS.) Le PS était
affilié au Rassemblement démocratique constitutionnel (RCD) de Ben Ali du
fait que tous deux étaient membres de l’Internationale socialiste
social-démocrate. Conformément à leur politique anti-ouvrière à l’intérieur
du pays, le PS soutenait Ben Ali lorsque son gouvernement d’Etat policier
supprimait les emplois et réduisait les dépenses publiques selon les
exigences du Fonds monétaire international.
Des responsables socialistes de haut rang ont joué un rôle crucial dans
l’élaboration d’une telle politique, vu que le FMI est dirigé par Dominique
Strauss-Kahn du PS. Principal prétendant du PS pour les élections
présidentielles de 2012, Strauss-Kahn était l'instigateur de l'imposition
par le FMI des coupes sociales – notamment en Grèce, en Irlande et en
Espagne – durant la crise de la dette européenne. Pour récompenser les
services passés et futurs rendus à l’aristocratie financière, Ben Ali avait
décoré Strauss-Kahn en 2008 de la médaille de grand officier de l’ordre de
la République tunisienne.
Rien de tout cela n’a découragé le NPA de soutenir le PS. Au moment où
Ben Ali fuyait la Tunisie, le 14 janvier, le parti d’« extrême gauche »
cosignait une déclaration creuse du PS réclamant que le régime de Ben Ali
permette « une véritable transition démocratique. »
Les protestations populaires se sont cependant poursuivies contre la
« transition démocratique » envisagée par le PS et le NPA – une transition
durant laquelle des assistants de Ben Ali tels Mohamed Ghannouchi ou Fouad
Mebazza ont continué à gouverner tandis que des figures « d’opposition » et
des fonctionnaires syndicaux étaient nommés à des postes mineurs.
L’establishment de « gauche » français a alors décidé de dissimuler ses
liens avec l’appareil d’Etat de l’ancien dictateur. Le 18 janvier, quatre
jours après la fuite de Ben Ali de Tunis, le PS a demandé à ce que le RCD
soit expulsé de la Seconde Internationale.
Le NPA a fait une volte-face en dénonçant les forces mêmes qu’il avait
invitées à peine quelques jours plus tôt à diriger la « transition
démocratique ». En faisant l’éloge de la « révolution démocratique » dont il
affirmait qu’elle venait d’avoir lieu, il a écrit : « Le peuple tunisien ne
doit pas se faire voler sa révolution. »
Il a proposé que le système judiciaire tunisien s’en prenne au régime Ben
Ali : « Les membres du clan Ben Ali-Trabelsi doivent être jugés pour toutes
les exactions commises et leurs biens confisqués, les différentes polices à
la solde du dictateur dissoutes. Il faut que les responsables des massacres
passent en procès. »
Comme le NPA l’a lui-même fait remarquer, toutefois, c’est un projet
chimérique. L’identité du premier ministre – Ghannouchi, un officiel du
régime Ben Ali qui a gardé son poste – suggère que « rien de tout cela n’est
annoncé ». Après avoir admis cela, le NPA ajoute sans conviction : « La
vigilance et la mobilisation doivent se poursuivre. »
Le NPA tente de tromper ses lecteurs en prétendant que ce qu’il faut pour
obtenir justice c’est de gagner le contrôle des tribunaux et du gouvernement
tunisien au moyen de quelques protestations anti Ben Ali bien se déroulant
au moment opportun.
Les anciens acolytes de Ben Ali mobilisent la police anti émeute pour
écraser les protestations de masse qui continuent tandis que le dictateur et
sa belle-famille, les Trabelsi, se cachent en Arabie saoudite – avec 1,5
tonne d’or, selon les rapports de presse, et autre butin volé à la
population. Cet élément jouit encore du soutien des politiciens aux
Etats-Unis et en Europe qui redoutent une explosion des protestations contre
les dictatures pro-occidentales de par le Moyen-Orient.
En luttant contre Mebazza et Ghannouchi et pour le démantèlement de
l’ensemble de l’organisation politique et économique tunisienne, la classe
ouvrière doit entreprendre une lutte révolutionnaire pour renverser
l’appareil d’Etat de la dictature de Ben Ali et de ses partisans
impérialistes en Europe et aux Etats-Unis. Son principal allié dans cette
lutte est la classe ouvrière mondiale – qui rejette aussi les coupes
sociales et les guerres impérialistes au Moyen-Orient.
Dans une récente déclaration, Les manifestations de masses en Tunisie et
la perspective de la révolution permanente , le World Socialist Web Site
écrivait : « Le seul programme viable pour la classe ouvrière et les masses
opprimées de Tunisie de l'ensemble du Maghreb et du Moyen-Orient est le
programme mis en avant par le Comité international de la Quatrième
Internationale pour une révolution socialiste. Ce n'est que par la lutte
indépendante de la classe ouvrière, conduisant toutes les sections opprimées
de la société contre la bourgeoisie locale et l'impérialisme, que les droits
démocratiques et sociaux peuvent être gagnés et que l'égalité sociale peut
être établie comme fondement de la vie politique.
« Cette lutte ne peut être conduite simplement à l'échelle nationale. Des
partis trotskystes doivent être construits dans toute l'Afrique du Nord et
le Moyen-Orient pour unifier les masses travailleuses sous la bannière des
États socialistes unis du Moyen-Orient et du Maghreb, faisant partie de la
révolution socialiste mondiale. »
La perspective guidant les permanents syndicaux, les activistes des
« droits humains », les universitaires et les étudiants carriéristes qui
composent le gros de « l’extrême gauche » française est totalement
différente. La perspective qui motive ces couches – issues des sections plus
privilégiées de la classe moyenne – a été formulée le 14 janvier dans une
interview accordée au journal Le Monde par l’activiste tunisien des droits
humains, Larbi Chouikha.
Au moment où Ben Ali fuyait Tunis, Chouikha a lancé un appel pour une
« révolution de velours, » en se référant à la restauration du capitalisme
en 1989 dans la Tchécoslovaquie dirigée par les staliniens, une transition
durant laquelle le nouveau régime s’était étroitement aligné sur les
exigences de la finance internationale.
Chouikha s’est plaint: « La question pour nous désormais est: ‘Comment
arrêter cette hémorragie d’actes de pillage, qui devient insupportable ?’
C’est une débandade qui nous effraie. Ces gosses ne s’attaquent plus
seulement aux biens de la famille Trabelsi, mais à des postes de police, aux
biens de tous. » »
Avec cette attaque contre les masses de travailleurs et de jeunes qui
combattent le régime Ben Ali, Chouikha a fait un aveu significatif
concernant le caractère de classe de l’opposition tunisienne officielle ou
quasi-officielle et de leurs partisans français de l’« extrême gauche ».
Ce sont des propriétaires immobiliers aisés, jaloux de l’enrichissement
de la famille Trabelsi, mais dont les craintes et l’hostilité à l’égard de
la classe ouvrière dépassent de loin leurs griefs à l’encontre de la
dictature. Alors que la dictature de Ben Ali vacille, leur première pensée
est de préserver la police du régime pour défendre leur propre fortune et
pour empêcher une radicalisation qui pourrait se propager au Moyen-Orient, à
l’Europe et au-delà.
Voilà ce qui sous-tend le soutien de l’« extrême gauche » française à
l’opposition tunisienne officielle et les manœuvres trompeuses du Parti
socialiste et de ses partisans.
(Article original paru le 25 janvier 2011)
Voir aussi:
Les manifestations de masses en Tunisie et la perspective de la révolution
permanente [18 janvier 2011]
Notre couverture sur les soulèvements en Afrique
du Nord et Moyen-Orient