Le sommet de l’UE se range derrière Washington au sujet de l’Egypte
Par Ulrich Rippert
8 février 2011
La réunion de vendredi à Bruxelles des dirigeants européens s'est
déroulée dans le contexte des manifestations de masse en Egypte et de la
contre-offensive brutale du régime Moubarak. Pour sa part, l’UE joue un
double jeu cynique. Dans des déclarations officielles, l’UE appelle à la fin
de la violence et à « une transition pacifique vers la démocratie », tout en
signalant en même temps sa coopération et son soutien continus au régime
dictatorial de Moubarak et de l’armée.
Les manifestations de masse de ces dernier jours qui ont atteint leur
point culminant mardi avec la « Marche de millions » au Caire, remplissent
de terreur les puissances européennes. La dynamique et le caractère
révolutionnaire du mouvement les ont pris à l’improviste. Comme dans un
réflexe commun, elles ont cherché à resserrer les rangs avec le gouvernement
impérialiste le plus fort, c'est à dire le gouvernement Obama à Washington.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle (Parti
libéral démocrate, FDP), qui, il y a quelques semaines à peine passait ses
vacances de Noël dans une station balnéaire idyllique de la Mer Rouge en
Egypte, a admis jeudi lors d’une émission du matin à la télévision
allemande : « L’Union européenne et les Etats-Unis sont actuellement engagés
dans d’intenses pourparlers. » Ceci ne peut que signifier que le
gouvernement allemand et les institutions européennes avaient été informés
par avance que le gouvernement américain était prêt à soutenir les actions
brutales perpétrées par les nervis de Moubarak.
Dans la même interview, Westerwelle a mis en garde contre une nouvelle
intensification de la violence en Egypte, en ajoutant qu’il craignait « une
aggravation de la situation. » Que se cache-t-il derrière ces indices
lugubres ? Qu’est-ce qui a été discuté avec Washington ? Il est évident que
les appels répétés à renoncer à la violence et les avertissements concernant
la liberté d’expression et de protestation n’ont rien à voir avec le soutien
de la population égyptienne. Au lieu de cela, les gouvernements européens
tentent de détourner l’attention du fait que pendant des décennies ils ont
soutenu le régime despotique au bord du Nil au même titre que les autres
dictatures au Moyen Orient.
Lundi et mardi, lors de sa visite en Israël, la chancelière allemande,
Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, CDU), a souligné
qu'il ne fallait pas mal interpréter son « soutien au mouvement
démocratique » en Egypte. Elle a rejeté avec indignation les allégations
avancées par ses interlocuteurs israéliens qu’elle était en train
d’abandonner Moubarak, en se référant aux nombreuses années d’étroite
coopération économique et militaire existant entre Berlin et Le Caire.
A Bruxelles, le haut représentant pour la politique étrangère de l’UE,
Catherine Ashton, a réclamé que Moubarak réagisse « le plus vite possible »
à la volonté de la population égyptienne. Des commentaires identiques ont
été faits par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, qui séjourne
actuellement à Londres.
Mercredi, le premier ministre britannique, David Cameron, a prononcé un
discours hypocrite devant le parlement en disant, « Nous sommes du côté de
ceux dans ce pays qui veulent la liberté, qui veulent la démocratie et les
droits de l’homme dans le monde entier. » Cameron a souligné qu’il fallait
qu'une transition démocratique commence « maintenant » et qu'on ne pouvait
pas la remettre à un avenir lointain.
Ce que Cameron n’a pas mentionné c’est la position partagée par tous les
gouvernements de l’UE à savoir que cette soi-disant « transition
démocratique » ne soit pas déterminée par les foules qui manifestent au
Caire ou dans d’autres villes de l’Egypte. Mais, qu’elle doit être mise en
place sous le strict contrôle des gouvernements d'Europe et des Etats-Unis.
Les discussions au sommet de l’UE à Bruxelles se sont donc surtout
centrées sur qui serait le mieux placé pour remplacer Moubarak, 82 ans, et
comment ceci devrait se faire pour garantir que la brutale machine du
pouvoir existante soit préservée et que toute implication et participation
sérieuses de la population soient exclues. C’est cela la principale
préoccupation des gouvernements européens qui par là espèrent être en mesure
de sauvegarder leur influence dans la région.
Selon Bruxelles, ce rôle pourrait incomber à l’une des personnalités,
entre plusieurs autres, qui sont actuellement élevées au rang de
porte-parole du mouvement d’opposition. L’un des favoris est Mohamed El
Baradei, l’ancien négociateur en chef de l’Agence internationale de
l’énergie atomique. Mercredi, ce diplomate de carrière s’est longuement
entretenu par téléphone avec le ministre allemand des Affaires étrangères,
Guido Westerwelle. La veille, il avait déjà été impliqué dans des
négociations avec les ambassadeurs britannique et américain sur ses
propositions quant à une alternative à Moubarak.
El Baradei a suggéré qu’Omar Suleiman, récemment nommé au poste de
vice-président par Moubarak, pourrait servir de président intérimaire.
« Durant son mandat, les deux chambres du parlement pourraient être
dissoutes et la constitution révisée en vue des élections présidentielles et
parlementaires, » c'est ainsi que Spiegel Online a résumé les idées d’El
Baradei. Bien qu’El Baradei, qui entretient aussi d’excellents contacts avec
le régime de Téhéran, soit tenu en haute estime par l’élite politique
européenne, il jouit de peu de popularité en Egypte.
Contrairement à El Baradei, le secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr
Moussa est décrit comme l’un des politiciens les plus populaires en Egypte.
Au début de cette semaine, lors d’une interview avec la chaîne américaine
CNN, il a annoncé avoir l’intention de briguer la présidence égyptienne. Le
gouvernement allemand est en contact avec lui depuis un certain temps. Au
mois d’octobre dernier, il se trouvait à Berlin pour discuter du processus
de paix au Moyen Orient. Suite à cela, un porte-parole du gouvernement
allemand l’a remercié pour « l’échange de vues franc et amical ».
Almut Möller, experte de l’UE pour les questions méditerranéennes à la
Société allemande pour les relations internationales (DGAP), a été citée par
Spiegel-Online pour avoir dit, « Amr Moussa est une personnalité reconnue
internationalement qui est intégrée dans le système de valeurs occidental. »
L’occident a reconnu en Moussa un partenaire fiable dans son rôle de
secrétaire général de la Ligue arabe. « Si Moussa venait à jouer un rôle
influent en Egypte, des points de contact seraient rapidement établis pour
le gouvernement [allemand], » a dit Möller.
Ayman Nour est mentionné comme éventuelle partie prenante en Egypte pour
les gouvernements occidentaux. L’avocat libéral s'était fait connaître en
occident il y a six ans après avoir été condamné à cinq ans de prison pour
avoir falsifié des documents en rapport avec l’agrément de son parti pour
les élections présidentielles. Son interdiction de mener des activités
politiques n’a toujours pas été levée, ce qui signifie qu’il pourrait ne pas
être éligible pour participer aux élections présidentielles à venir.
Le débat concernant des « alternatives démocratiques » en Egypte ayant eu
lieu la veille du sommet de l’UE montre clairement que les classes
dirigeantes en Europe et aux Etats-Unis sont déterminées à imposer un
dirigeant pro impérialiste au Caire qui garantira leurs intérêts non moins
conséquemment et, si cela s'avérait nécessaire, non moins brutalement que
Moubarak.
Mercredi, lors d’une visite en Tunisie, la représentante de la politique
étrangère communautaire, Catherine Ashton, a exigé du nouveau chef d’Etat
intérimaire du pays que les intérêts européens dans le pays – et notamment
la libéralisation économique et l'interdiction de l’immigration de Tunisiens
pauvres vers l'Europe– soient respectés par le gouvernement remanié.
Tous les discours pompeux sur la démocratie, la liberté et les droits de
l’homme visent à dissimuler le fait que les gouvernements européens partent
de l’idée qu’en concertation avec les Etats-Unis se sont eux – et non pas le
peuple égyptien – qui décideront du futur gouvernement au Caire.
(Article original paru le 5 février 2011)